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Justice : Il faut sauver le juge d’instruction

Publié le jeudi 2 octobre 2014 à 19h21min

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Justice : Il faut sauver le juge d’instruction

Le présent article, publié à l’occasion de la rentrée judiciaire, est le premier d’une série consacrée à la réforme de la Justice au Burkina Faso. Il engage la réflexion sur une institution mal-aimée, celle du juge d’instruction, et dégage quelques repères pour l’avenir.

I. LE JUGE D’INSTRUCTION, UNE INSTITUTION MAL-AIMEE

Le malaise que traverse le juge d’instruction est un lourd héritage reçu du système judiciaire français qui nous sert de modèle historique. Il place le juge dans une profonde crise de sens et face à une montagne.

1. Le juge au pied de la montagne

a. Cinq cent dossiers par juge : mission impossible !

Chacun des sept cabinets d’instruction du Tribunal de grande instance de Ouagadougou gère environ cinq cent dossiers. Chaque dossier donnant lieu à l’accomplissement d’un minimum de dix actes d’instruction (interrogatoires de l’inculpé, audition des victimes, audition des témoins, contre-interrogatoires, avis des experts, perquisitions, commissions rogatoires, enquête de personnalité, transport sur les lieux), il peut bien s’écouler toute une année sans que le juge le plus industrieux n’ait fait le tour de ses dossiers.

Qui plus est, en vertu du « double degré d’instruction » en matière de crime, les dossiers criminels provenant des dix-huit cabinets d’instruction du ressort de la Cour d’appel de Ouagadougou confluent vers la chambre d’accusation qui ne compte que six juges pour ce travail herculéen.

b. Le juge dans un « non-lieu »

Confiné dans un « non-lieu », tant l’espace et les moyens qui lui sont affectés sont dérisoires, voire inexistants, le juge d’instruction doit agir sans le strict minimum que commandent les règles les plus élémentaires de la procédure pénale. Comment partager à plusieurs le même ordinateur, la même imprimante et les mêmes armoires sans porter atteinte au secret de l’instruction et aux droits fondamentaux de la défense ?

Justice sans lieu, autorité sans pouvoir. Les juges d’instruction ne bénéficient d’aucune flexibilité financière pour la prise en charge des actes qu’ils ordonnent. Aussi les experts judiciaires rechignent-ils à s’exécuter lorsque leur mission est prise en charge par le budget de l’Etat.

2. Une institution en crise de sens

Les conditions dans lesquelles exercent nos juges d’instruction réservent bien de surprises contre-nature.

a. Des dossiers instruits mais jamais jugés

Si, malgré tout, le juge d’instruction parvenait à « boucler ses dossiers », il devrait encore souffrir la frustration de ne jamais connaître l’épilogue de la procédure, puisque dans la majorité des cas, un jugement n’interviendra que longtemps après, sinon jamais, la tenue des audiences criminelles étant irrégulière, faute d’allocation budgétaire adéquate. Dès lors, le risque de prescription et d’impunité des crimes les plus graves reste permanent, et avec lui s’amenuisent les chances des victimes de connaître la vérité, et d’obtenir une juste réparation.

b. Des délits parfois plus sévèrement punis que des crimes

L’instruction en matière criminelle est à double degré : elle se réalise d’abord devant le juge d’instruction, puis devant la chambre d’accusation. L’engorgement de cette chambre et l’irrégularité des audiences criminelles créent une rupture dans la hiérarchie des infractions. Ainsi, une personne détenue pour crime aura plus de chance d’obtenir que sa détention « provisoire » ne soit pas prolongée indéfiniment, tandis qu’une personne détenue pour délit sera jugée et condamnée plus tôt et peut-être aussi à une peine plus lourde.

II. QUELS REPERES POUR L’AVENIR ?

1. Commencer par apurer le passif

Il n’est pas possible d’envisager sereinement l’avenir du juge d’instruction sans solder les comptes avec le passé. Il faut désengorger les cabinets d’instruction et les chambres d’accusation des milliers de dossiers déjà instruits et en attente de jugement.

Cela passe avant tout par la dotation des chambres criminelles de moyens importants pour la tenue régulière des audiences criminelles. Eu égard à la situation de blocage actuelle, l’on pourrait envisager une solution légale permettant de purger certains dossiers criminels déjà instruits suivant la procédure correctionnelle, moins lourde et plus rapide. La pratique prétorienne de la « correctionnalisation » des crimes pourrait suggérer utilement la voie légale à prospecter.

2. Réévaluer la fonction de l’instruction

Un audit de la fonction de l’instruction est indispensable pour la mettre en cohérence avec les enjeux qu’appellent la célérité des procédures, la protection des libertés et la lutte contre l’impunité. Il faut :
-  redéfinir les infractions pouvant justifier d’un recours à la procédure de l’instruction ;
-  réévaluer les quotas de dossiers par juge d’instruction pour une meilleure lisibilité dans la répartition des dossiers et la mobilisation des ressources humaines, matérielles et financières ;
-  clarifier la nomenclature budgétaire des actes d’instruction, en vue de faciliter l’engagement des dépenses de prise en charge des frais d’experts et autres frais de justice ;
-  mettre en place un mécanisme d’indemnisation des personnes relaxées après avoir fait l’objet d’une mesure de détention provisoire ;
-  réaliser l’opération annoncée de longue date mais toujours attendue : « Opération un magistrat, un ordinateur portable ». Cette opération apportera surement un bol d’air à une institution comprimée dans une lente asphyxie.

EN ATTENDANT LE PROCHAIN DOSSIER PENDANT !

Alors que notre justice est en retard d’une réforme urgente, la réflexion n’a jamais pu s’affranchir de l’émoi des « dossiers pendants ». C’est le nom attribué au Burkina Faso aux affaires rendues emblématiques par les circonstances de leur commission, la qualité des accusés ou des victimes, par l’écho médiatique et la mobilisation sociale qu’elles suscitent.

Mais qui jugera donc les dossiers non pendants ? Seule la réponse à cette question nous affranchira de toute hypocrisie pour nous orienter vers des solutions durables et pérennes et nous aidera enfin à oser réinventer une justice en tout temps performante, autant à l’égard des dossiers pendants que des dossiers non pendants.

Arnaud OUEDRAOGO Jurisconsulte
Expert en audit des services judiciaires
Auteur du Manuel juridique de la vie quotidienne

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Vos commentaires

  • Le 2 octobre 2014 à 19:56, par vérité no1 En réponse à : Justice : Il faut sauver le juge d’instruction

    Le vrai problème est que notre justice n’est pas crédible ! Les dossiers ne sont pas traités à cause de la mauvaise foi des juges, et c’est parce que la justice est pourrie que la police commence à sentir mauvais ! S’ il y avait une vraie justice, la police devrait répondre dans l’histoire des filateurs de Goughin. Merde à la justice !

  • Le 2 octobre 2014 à 20:49, par entre juge et parti En réponse à : Justice : Il faut sauver le juge d’instruction

    Le problème c’est que les gens ne laissent pas la justice faire son travaille,il donne peu de temps aux juges et veulent de gros résultat des résultat congrès et pire chacun veut être satisfait des résultats tout en oubliant que le traitement d’un dossier prend assez de temps,des mois et voir même des années.Il faut donc les aider a comprendre !!!!

  • Le 2 octobre 2014 à 21:01, par ZANGO En réponse à : Justice : Il faut sauver le juge d’instruction

    Très belle analyse Monsieur OUEDRAOGO. Votre réflexion expose les raisons techniques du non dénouement et de la lenteur dans le traitement de certains dossiers pendants ; elle permet aux justiciables que nous sommes de savoir que l’insuccès dans le traitement de certains dossiers n’est pas fortement imputables aux magistrats en charge de ces dossiers. Cependant je suis resté sur ma soif quand à l’origine réelle de cet état des choses. Osez poursuivre la réflexion jusqu’à terme.

  • Le 2 octobre 2014 à 21:02, par who are you ? En réponse à : Justice : Il faut sauver le juge d’instruction

    vive la justice , nous savons combien le métier est difficile le peuple Burkinabè vous encourage chers juges

  • Le 2 octobre 2014 à 21:25, par un politique En réponse à : Justice : Il faut sauver le juge d’instruction

    C’est le population qui est en train de pourrir la justice et nous voulons faire porter le chapeau aux dirigeants,lorsqu’il y’a un problème qui relève de la justice c’est mieux de les laisser faire le travaille si non comment est ce que cette justice va fonctionner ?

  • Le 3 octobre 2014 à 11:34, par Le Pic de la Mirandole En réponse à : Justice : Il faut sauver le juge d’instruction

    J’approuve entièrement le sens de votre propos M. OUEDRAOGO. Ma stupéfaction a été sans borne en apprenant que la quasi-totalité des cabinets d’instruction au BF n’ont même pas de coffre-forts pour mettre en sécurité les dossiers brûlants ou non. C’est tout simplement scandaleux

  • Le 3 octobre 2014 à 13:44, par USA En réponse à : Justice : Il faut sauver le juge d’instruction

    Vraiment très peu de citoyen parle de la justice sans comprendre la justice de surcroit sont fonctionnement. Notre justice souffre d’un profond mal donc je ne saurais le décrire.Certainement il y a existe des insuffisances matériels, du personnels, financières d’indépendance, etc. mais le tous c’est que la justice est corrompu à tout les niveaux dans ce pays. Il suffit de lire l’histoire de ce pays pour s’en convaincre.
    Je parle de ce que je connais et de ce que j’ai vécu dans ce milieu j’ai fais un procès et je parle de mon expérience et de ce que j’ai entendu au près d’autre personne qui étais venu pour les même problèmes.
    Je demande une simple enquête indépendant au sein de la justice burkinabè pour connaitre ce que est la justice dans ce pays. certes il existe toujours des personnes intégrés dans tout les milieu mais au sein de la justice burkinabè ces personnes se font rares, ce qui devrais être l’inverse vue la sensibilité de ce corps.
    Vivement que chacun joue sa partition pour le bon fonctionne de cette institution pour le bien et le bonheur de tout les citoyens de ce pays, cher à tout ces fils et filles.Vive le Burkina !!!!

  • Le 3 octobre 2014 à 19:31 En réponse à : Justice : Il faut sauver le juge d’instruction

    c’est honter ! comment a nous jours toute une justice parle de manque d’ordi, il y’a combien
    des juges au bf ? combien coute un ordi ? c’est domange

  • Le 3 octobre 2014 à 19:37, par Sidpasata Veritas En réponse à : Justice : Il faut sauver le juge d’instruction

    - Voilà une véritable crise des institutions républicaines qui mérite qu’on lui consacre beaucoup plus qu’un dialogue politique :
    Justice  : Il faut sauver le juge d’instruction
    ET
    - Voilà une fausse crise des institutions républicaines qui ne mérite pas du tout le dialogue politique qu’on lui consacre :
    Politique  : il faut sauver le président Blaise Compaoré de la limite constitutionnelle de son mandat présidentielle

    Cette rupture la hiérarchie des intérêts de la nation est intentionnelle. Rappelons-nous que quelqu’un nous avait laissé entendre qu’au BF nous sommes dans un pays qui pourrait porter le nom de l’ABSURDIE, tellement la gouvernance de notre pays est souvent loin du bons sens dans les questions d’intérêt national. L’auteur de l’article n’a-t-il pas fait le grave constat d’une « rupture dans la hiérarchie des infractions » avec des délits parfois plus sévèrement punis que des crimes. En ABSURDIE, l’impunité sélective est un choix politique qui justifie que les célèbres "dossiers pendants" restent en l’état et que les dossiers non pendants soient non jugés (tout comme les "dossiers pendants"). Dans beaucoup de domaines de la vie de la nation, on peut constater que la rupture des hiérarchies est devenue un système, une culture administrative étatique. L’ABSURDITÉ devient insidieusement une identité nationale autre que l’INTÉGRITÉ qui est voulue comme un trait particulier de notre fierté nationale. Mais l’ABSURDITÉ progresse en ABSURDIE, n’en déblaise (déplaise) aux patriotes trop scrupuleux !

  • Le 4 octobre 2014 à 00:06, par electron 1er En réponse à : Justice : Il faut sauver le juge d’instruction

    verité n1 on te connait bien et on sait que tu travaille pour le compte de l’opposition mais ce que tu ne comprend pas c’est que par fini tu va rester comme ça !!!comment ça tu n’est pas avec la justice et tu affirme que les dossiers ne sont pas traités par manque de bonnes fois,continue comme ça et tu finira comme ça.

  • Le 4 octobre 2014 à 00:09, par gros bras mince En réponse à : Justice : Il faut sauver le juge d’instruction

    D’aucuns parlent que les dossiers ne sont pas prises en charge comme s’il n’ont pas lu l’article ci-dessus,on parle de plus de 500 dossiers par juge et cette allure il est quasi impossible de faire grand chose.Ne soyez pas des élèves de cp1 qui ne lisent que les images !!!

  • Le 10 octobre 2014 à 19:55, par qs En réponse à : Justice : Il faut sauver le juge d’instruction

    MON OEIL JUSTICE RIEN QUE DES PAREUSSEUX QUI VONT AU SERVICE A 9H ET DESCENDENT A 11H45
    QU’EN AU GOUVERNEMENT QU’IL RECRUTE ENCORE PLUS IL YA BEAUCOUP DE JURISTE QUI CHOMENT ET BEAUCOUP DE LOCALITE QUI N’ONT PAS DE TRIBUNAUX

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