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Affaire Norbert Zongo : la CEI décrédibilisée

Publié le vendredi 18 février 2005 à 09h33min

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L’inculpation de Marcel Kafando dans l’assassinat de Norbert Zongo avait été motivée par des contradictions sur son emploi de temps. En effet, il avait déclaré que ce 13 décembre après être resté à son bureau toute la matinée, il s’était retrouvé en compagnie d’un ami le Sergent-chef Yaméogo Racine de la Base aérienne au restaurant "La Source" jusqu’aux environs de 14 heures.

Mais pour Yaméogo Racine, il aurait plutôt rencontré Marcel Kafando le jour suivant, c’est-à-dire le 14 décembre. Cela a suffi pour faire de l’ancien chef de la sécurité rapprochée du président du Faso, un "suspect sérieux", puis un inculpé. Et pourtant !

Les "révélations" qui pleuvent dans les colonnes des journaux “spécialistes” du genre ont le mérite d’avoir ramené au premier plan la réflexion sur le travail de la Commission d’enquête indépendante (CEI). Instrument original accepté à l’époque par la classe politique, la société civile et les autorités judiciaires pour résoudre l’énigme des meurtres de Sapouy, il a vite été transformé en cheval de Troie par l’opposition pour conquérir le pouvoir par la rue ou le coup de force.

On se souvient des déclarations du président du Collectif d’opposition Halidou Ouédraogo : "Les bruits de bottes reviennent en Afrique, on a beau ne pas être putschiste, chacun de nous a des idées dans la tête". Un appel à peine voilé pour un coup d’Etat militaire au Burkina. Le pire aurait pu arriver tant la CEI y a mis du sien.

Les dérives de la CEI préjudiciables à la manifestation de la vérité

Acculé par les marches et les meetings dans les principales villes du pays, le pouvoir pressé de montrer patte blanche dans les assassinats de Norbert Zongo et de ses compagnons va innover dans la recherche de la vérité au service de la justice. Il accepte la création d’une commission indépendante et internationale pour élucider ces meurtres. Mais cet instrument d’aide à la décision judiciaire va très vite être transformé en tribunal d’inquisition contre la République.

Elle est accusée d’impunité et se voit sommée de porter le chapeau de tout le passif de l’Etat burkinabè en matière de droit de l’homme. Y compris les contentieux des Etats d’exception. L’opposition "ressuscitée" par l’indignation portée par un sentiment humain compréhensible pousse l’outrecuidance au point de contester la légitimité du pouvoir et la légalité des institutions. On parle d’un "pays réel " opposé au "pays légal".

A l’époque (1999) l’opposition n’est pas seulement forte dans la rue. Elle l’est aussi au sein de la Commission d’enquête indépendante (CEI). C’est alors la porte ouverte à bien de dérives d’autant plus que la majorité des commissaires sont des néophytes de surcroît non professionnels en matière d’enquête de police judiciaire. En effet, sur les 11 commissaires qu’ils étaient 4 seulement avaient le profil de la tâche.

Ce sont les deux magistrats, Kassoum Kambou pour le MBDHP, Jean Emile Somda pour le ministère de la Justice, Hermann Traoré pour la gendarmerie et Zila Gué pour la police. Dans une moindre mesure on peut citer parmi les avertis en matière d’enquête de police judiciaire, Adolphe René Ouédraogo du Barreau des avocats. Sur les 6 commissaires restants, 3 étaient des journalistes : Robert Ménard, Sy Chérif et T. Pierre Dabiré. La suite a montré que le naturel d’hommes de médias a pris le dessus chez nos confrères notamment Robert Ménard qui a constamment violé le secret de l’instruction dans les médias nationaux et internationaux. Mais le pire sur la crédibilité de la CEI a été dans sa méthode de travail.

Des pressions du MBDHP sur la Commission et du crédit accordé aux tracts

On se rappelle qu’avant le début des travaux de la CEI, le Collectif d’opposition avait mis sur pied une commission parallèle. Dès que la CEI avait été installée, cette commission officieuse s’était dépêchée de lui remettre une copie des conclusions de ses enquêtes à elle. Des enquêtes rapidement bouclées en 4-6 semaines. En fait d’enquêtes, il ne s’agissait que d’une compilation de tracts. Le MBDHP ne s’en cachait pas d’avoir utilisé les tracts qui provenaient d’on ne sait où comme matériau de travail de leur commission officieuse.

Pourtant la CEI dont les enquêtes commençaient à peine, était comme sommée de prendre en compte les conclusions de cette "enquête" hâtive. N’est-ce pas que M. Germain Bitiou Nama sous le sigle G.B.N avait recommandé à la CEI "d’examiner surtout l’important rapport de la commission d’enquête du Collectif des organisations de masse de société civile et des partis politiques".

Il faut rappeler que Germain Nama était le président de la Commission arbitrale du MBDHP, organisation tête de proue du Collectif. Après le 13 décembre, il s’est ouvertement converti au journalisme, écrivant abondamment dans l’Indépendant avant d’en devenir le rédacteur en chef. Depuis lors, il a eu de la promotion en créant l’Evènement qui pioche dans le même champ que l’Indépendant.

Ce n’est pas exagéré de dire qu’en tant que président de la Commission arbitrale du MBDHP et rédacteur d’articles GBN avait grandement influencé le cours des enquêtes de la CEI. Il semblait particulièrement être au parfum des travaux d’étapes et même des stratégies de travail de la CEI. C’est ainsi qu’il déplorait que celle-ci après un mois d’enquête n’ait pas encore recommandé l’arrestation de suspects, identifiés par le MBDHP et ses ramifications et cela suivant l’article 26 de son règlement intérieur (CEI).

On le voit bien, à la tête de la CEI avec son secrétaire aux relations extérieures Kassoum Kambou, percutant dans la presse avec le président de sa commission arbitrale, le MBDHP et ipso facto le Collectif ont grandement influencé les travaux de la CEI. Ce ne fut pas pour disculper le pouvoir, bien au contraire.

De l’intimidation et des violences physiques exercées par la CEI contre des témoins.

Début mars 1999, une interview accordée à un quotidien de la place par M. Mamadou Benon alors député du Ziro (Sapouy) avait fait sensation. Le député qui n’a jamais été démenti par la CEI soutenait que des paysans de la région de Sapouy et leurs familles dont les champs jouxtent le lieu du drame ayant frappé Norbert Zongo, étaient fortement rudoyés et traumatisés comme témoins par des enquêteurs de la CEI. Ce qui ressemblait à l’époque à une bavure d’éléments isolés peut s’interpréter avec le recul comme une manipulation volontaire de témoins pour atteindre un objectif : confirmer la version pré-établie de la culpabilité du pouvoir et particulièrement de la garde présidentielle.

Dans cette logique on se rappelle l’interrogatoire particulièrement musclé du paysan Nama Amidou qui avait relaté au quotidien Journal du soir avoir "été déshabillé, giflé, le bras tourné au dos, son habit recouvrant son visage et une arme pointée sur lui, en lui intiment de dire toute la vérité sinon on allait le faire comme Norbert Zongo", son fils a subi presque le même sort.

Des enquêteurs de la CEI avaient à l’époque posé une arme à feu sur ses genoux en exigeant qu’il dise toute la vérité. On citera parmi les méthodes peu orthodoxes de la CEI le fait que le témoin principal, un berger peulh qui avait vu les assaillants, avait été interrogé conjointement par le président de la CEI et le président de la Commission arbitrale du MBDHP, Germain Nama qui lui, ne fait pas partie des Commissaires de la CEI. On en déduit que la Commission par les méthodes peu orthodoxes a favorisé la manipulation des témoins au service de l’unique piste de la culpabilité du pouvoir.

L’interrogatoire marathon de Marcel Kafando

Contrairement à beaucoup d’autres témoins, il a été entendu par tous les 11 commissaires de la CEI. Cela fait beaucoup de questions qui ont été des fois posées simultanément. La méthode permet d’exercer sur le suspect, une pression psychologique et morale. Quand la manœuvre s’installe dans la durée, ce harcèlement déteint sur le physique. De fait, Marcel Kafando de tous les "suspects sérieux" fut le seul à avoir été interrogé de 8 heures à 17 heures soit pendant 9 heures d’horloge. A l’épreuve du temps, de la soif et de la faim, les mémoires les plus fidèles finissent par faiblir jouant sur la précision du témoin. C’est la tactique utilisée par la CEI contre Marcel Kafando comme s’il était particulièrement attendu par cette structure. En outre les imprécisions, les incohérences et les contractions relevées par elle dans les autres auditions des autres hommes ont été comme excusées. Pas celles de Marcel Kafando et de ses compagnons d’infortune transformé en “suspect sérieux”, voire en coupable qu’il faudrait conduire à l’échafaud sans plus attendre les conclusions du juge d’instruction et la vérité du tribunal.

Au total, il faut rappeler que les travaux de la CEI n’ont pas autorité de la chose jugée. Bien au contraire ! Noyautée par le Collectif d’opposition radicale avec une présence massive de non professionnels, entachée par des graves dérives dans la méthode de travail, la CEI a produit un rapport peu crédible. Même ceux qui soutenaient hier ses conclusions en sont arrivés à se dédire.

Ils ont alors rejoint le camp de ceux qui ont toujours pensé qu’à trop politiser le drame de Sapouy, le Collectif a fini par étouffer la vérité dans cette affaire. Le dossier par sa complexité réclame aujourd’hui un traitement politique ; le pauvre juge d’instruction ne peut offrir cette solution même en déférant Marcel Kafando au tribunal. Comme dit l’adage mieux vaut dix coupables en liberté qu’un innocent en prison. Voilà pourquoi il faut relaxer Marcel Kafando.

Djibril TOURE


Extrait des observations publiées en 1999 par les six "suspects sérieux" relatives au rapport de la CEI

Après une analyse de l’exploitation faite par la C.E.I. de certaines auditions dont les nôtres, nous nous sentons obligés à nous exprimer à nouveau pour aider le peuple Burkinabé épris de paix et de justice, au rétablissement de la vérité.

DU CONTEXTE DES AUDITIONS

Les éléments de la Sécurité Présidentielle ont été auditionnés trois (03) ou quatre (04) mois après le drame de Sapouy.

- Chacun de nous a été soumis aux questions d’un collège de onze (11) membres.

- La durée moyenne d’une audition était de quatre (04) à cinq (05) heures.

- L’adjudant Marcel KAFANDO a été entendu de 8 heures à 17 heures.

Dans le contexte décrit, comment peut-on exiger de nous, des précisions d’horloge sur notre programme du 13 Décembre et surtout sur les multiples appels téléphoniques que nous recevons par jour ?

Nous l’aurions peut-être réussi, sans imprécision mineure, si le 13 Décembre 1998 avait été pour nous un jour extraordinaire assorti d’un programme spécial de travail ou encore si, nous reprochant quelque chose, nous avions harmonisé nos points de vue avant les auditions.

Tel n’était pas le cas. Malheureusement, la CEI relevant quelques imprécisions dans nos propos, de manière arbitraire souvent comme nous allons le démontrer, a fait de nous de soi-disant "suspects sérieux" dans cette affaire.

Cependant, et dans le même temps elle relevait dans son rapport "qu’à l’épreuve du temps, la mémoire s’est souvent étiolée, enlevant aux souvenirs la précision que l’on aurait souhaitée"...

La suite dans nos prochaines éditions

L’Hebdo

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