LeFaso.net, l'actualité Burkinabé sur le net
Proverbe du Jour : “Vous n’empêcherez pas les oiseaux de malheur de survoler votre têtе, mаis vοus рοuvеz lеs еmрêсhеz dе niсhеr dаns vοs сhеvеux.” Proverbe chinois

« La grande vadrouille » de certains chefs d’Etat africains n’empêche pas la grande trouille de leurs peuples (1/8)

Publié le mercredi 3 septembre 2014 à 11h38min

PARTAGER :                          
« La grande vadrouille » de certains chefs d’Etat africains n’empêche pas la grande trouille de leurs peuples (1/8)

L’Afrique a peur. Nicolas Sarkozy avait proclamé que le continent n’était « pas entré dans l’Histoire ». Les Africains redoutent d’en être, cette fois, brutalement sortis. Ces peuples que le président français disait sans passé deviendraient ainsi des peuples sans avenir ! Jusqu’à ces dernières années, les crises africaines étaient « nationales », circonscrites à un pays malgré les inévitables dérives transfrontalières. Et, parfois, semblaient n’être que des épiphénomènes.

Pas de quoi susciter l’inquiétude des capitales des pays voisins. Les Shebab en Somalie, la LRA en Ouganda, les djanjawid au Darfour, çà et là quelques « cancers » ethnico-religieux ou simplement mafieux. En Afrique de l’Ouest, la crise qui a secoué pendant plus de dix ans la Côte d’Ivoire avait été, à juste titre, qualifiée de « crise ivoiro-ivoirienne ». Au Sud du Sahara, la crise malienne a changé la donne. Enfin, plus exactement, disons qu’elle a servi de révélateur de la situation qui prévaut désormais en Afrique comme ailleurs (Moyen-Orient, Caucase…).

Des rives de la Méditerranée aux rives de l’Atlantique et de l’océan Indien, l’Afrique est rudement secouée par une conjoncture politico-sociale qui suscite désormais l’inquiétude générale. Kenya et Tanzanie (y compris l’île de Zanzibar) sont impactés par la situation en Somalie. Les Grands Lacs ne vont pas mieux ; et c’est un euphémisme. La Centrafrique est dans l’état que l’on sait. Le Soudan du Sud, qui pensait que l’indépendance mettrait fin à tous les maux de la population, n’a pas fini de déchanter. La Bande sahélo-saharienne est toujours infestée de groupuscules djihadistes qui se ressourcent dans le désert libyen. On pourrait étirer la liste à l’infini.

Dans ce contexte, une mention spéciale doit être réservée à Boko Haram. Parce que, à l’instar de l’Etat islamique en Irak, ce groupuscule n’a aucun fondement politique, idéologique ou social mais qu’il règne par la terreur à l’encontre non pas du gouvernement mais des populations. Parce que, aussi et surtout, Boko Haram, jour après jour, semaine après semaine, depuis des années, étend son territoire au sein d’un pays considéré comme le plus avancé au plan économique, social et culturel sans que la classe politique nigériane, son armée, ses élites… apparaissent en mesure d’endiguer son avancée barbare. Et comme un malheur n’arrive jamais seul, voilà que la fièvre Ebola fait son apparition dans ce pays après avoir frappé (et ghettoïsé) la Guinée, le Liberia et la Sierra Leone.

Pousdem Pickou, dans le quotidien privé burkinabè Le Pays, écrivait ce matin (jeudi 21 août 2014) : « Ebola avance au Nigeria, Boko Haram aussi. Cette comparaison, qui est loin de relever de l’hyperbole, repose sur plusieurs faits. D’abord, comme Ebola, Boko Haram a réussi à créer une psychose qui va au-delà des frontières du Nigeria. Après le Cameroun, qui a été à plusieurs reprises le théâtre d’enlèvements aussi spectaculaires les uns que les autres, c’est au tour du Tchad de recevoir sa part de contamination ». Il se pose alors la question de savoir si Boko Haram, « à ce rythme, ne va pas parvenir à mettre tous les pays voisins du Nigeria et même au-delà dans son escarcelle ». Pickou ajoute que comme Ebola, Boko Haram « s’attaque à tout le monde. Hommes, femmes, enfants, jeunes, vieux, sont des cibles potentielles ». Boko Haram + Ebola, on pourrait penser que, à la jonction de l’Afrique de l’Ouest et de l’Afrique centrale, sur le territoire le plus peuplé et le plus riche du continent, c’est « Apocalypse Now ». Ce qui, cependant, n’a pas l’air de traumatiser la classe politique nigériane. Ni même l’Afrique.

La situation du Nigeria ne cesse de s’aggraver. Sur tous les fronts. Celui d’Ebola* et celui de Boko Haram. La conjonction de ces deux maux fait du Nigeria une bombe atomique. Le pays le plus puissant du continent sera-t-il, dans le contexte actuel, capable d’enrayer la fièvre Ebola alors qu’il est incapable de protéger les populations civiles victimes de la barbarie de Boko Haram ? La question est posée : on peut penser que la classe dirigeante nigériane n’en n’a pas la volonté compte tenu de l’imbroglio politico-affairo-religieux qui règne dans ce pays. Depuis sa fondation**. Depuis qu’il est producteur de pétrole et que la confiscation de la rente pétrolière est un enjeu politique. Cette exploitation des hydrocarbures est à l’image du pays : « bordélique ».

Pollution, corruption (auxquelles participent les compagnies étrangères, les majors étant présentes dans ce pays mais également les leaders du secteur parapétrolier et de l’offshore) et gabegie du fait d’équipements obsolètes, de l’absence de récupération des gaz associés, des actions de sabotage des populations excédées par les ruptures d’approvisionnement en produits pétroliers alors que le Nigeria est le premier producteur africain de pétrole. La crise est telle que le chef de l’Etat nigérian vient de limoger quatre grands patrons du groupe NNPC, la société nationale des pétroles, accusés de malversation. Ce qui ne changera pas grand-chose dans le comportement quotidien de la classe dirigeante, l’impunité étant absolue (un site nigérian annonce qu’à l’occasion de son mariage, la fille du président Goodluck Jonathan aurait reçu 80 voitures en cadeau de la part des « clients » de son père !).

Occupée à s’enrichir et à voyager à travers la planète, la classe dirigeante nigériane n’a guère de temps (et surtout pas celui de la réflexion) à consacrer à la crise qui mine le Nord du pays. Depuis près de quinze ans ! En juillet 1999, après trente années de dictature militaire, les civils étaient revenus au pouvoir. Avec le retour de la « démocratie » (« Made in Nigeria » !), ce sera aussi l’introduction de la « charia politique » dans les Etats du Nord. L’expression est d’Olusegun Obassanjo qui venait d’être élu à la présidence du Nigeria. « Des politiciens sans scrupule instrumentalisent la religion pour arriver au pouvoir ou pour s’y maintenir ».

Le premier à avoir osé franchir le pas a été Ahmad Sani Yeriman Bakura, économiste, employé de banque, fonctionnaire au Zamfara. Le Zamfara, Etat au nom improbable (on dirait celui d’un pays africain imaginaire dans un film hollywoodien), a été créé dans le Nord-Ouest du Nigeria (il est frontalier du Niger) en 1996 quand la Fédération est passée de trente à trente-six Etats. Ahmad Sani a été élu gouverneur du Zamfara en mai 1999, à moins de 40 ans. C’est lui qui va faire du Zamfara un « Etat-charia ». Le 15 octobre 1999, il avait annoncé que la charia serait appliquée désormais dans toute sa rigueur à compter du 1er janvier 2000. Amputation, lapidation, coups de fouet, interdiction de la consommation d’alcool, des motos-taxis pour les femmes et des transports publics mixtes, fermeture des cinémas transformés en écoles coraniques, port du hidjab noir ou gris pour les femmes… Il s’agissait, dira Ahmad Sani, « d’éradiquer le vice ».

Le Zamfara deviendra le premier « Etat-charia » de la Fédération du Nigéria en présence de « l’ayatollah de Kaolack », le calife sénégalais Adboulaye Niasse, qui rêvait, lui aussi, d’imposer la loi islamique chez lui. Le président du Parlement de Gusau, capitale du Zamfara, ce jour-là offrira sa fille en mariage au gouverneur. Des mœurs d’un autre temps !

* Le Cameroun, qui subit les assauts de Boko Haram (une 4è région militaire a été créée dans l’Extrême-Nord du pays, à Maroua) a décidé de fermer sa frontière avec le Nigeria, ce qui ne sera pas la chose la plus facile. D’ores et déjà, des députés guinéens ont été refoulés à l’aéroport, ce qui a provoqué un clash diplomatique avec Conakry. Le Tchad a également pris une décision de fermeture de sa frontière avec le Nigeria. Quant au Nigeria, où le premier cas de fièvre Ebola a été décelé sur un Libérien mort à Lagos le 25 juillet 2014 (il n’est plus un jour sans qu’un nouveau cas d’infection soit révélé), il a décrété l’état d’urgence. Du même coup, la panique est totale parmi les populations immigrées nombreuses dans le pays et qui se voient stigmatisées. Les experts étrangers estiment que le Nigeria pourrait perdre 2 milliards de dollars au cours du premier trimestre d’apparition de la fièvre Ebola dans le pays du fait du coup de frein donné aux activités touristiques, commerciales, etc.

** Inutile de rappeler le drame de la guerre du Biafra qui, à la fin des années 1960 et au début des années 1970, a fait entre 2 et 3 millions de morts.

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

PARTAGER :                              

Vos commentaires

  • Le 3 septembre 2014 à 13:40, par baobab En réponse à : « La grande vadrouille » de certains chefs d’Etat africains n’empêche par la grande trouille de leurs peuples (1/8)

    Relaxante analyse bien argumentée.

  • Le 3 septembre 2014 à 13:46 En réponse à : « La grande vadrouille » de certains chefs d’Etat africains n’empêche par la grande trouille de leurs peuples (1/8)

    Belle réflexion pauvre Afrique, pauvres Africains.
    si seulement les américains pouvaient envoyer en Afrique le sérum contre ebola utilisé pour traiter les deux américains contaminés .
    Si seulement des lois obligeaient les footballeurs du monde à participer au financement de la recherche aux fins médicales, eux qui sont friqués.

  • Le 3 septembre 2014 à 15:41 En réponse à : « La grande vadrouille » de certains chefs d’Etat africains n’empêche par la grande trouille de leurs peuples (1/8)

    C’est pour cela on a toujours dit aux Africains de se doter des institutions fortes,pas des dictateurs car le malheur de l’Afrique c’est cette race d’hommes dit forts qui nous gouvernent et pour nous divertir ils mettent en place des institutions bancales comme décoration.

  • Le 3 septembre 2014 à 18:51, par toomay En réponse à : « La grande vadrouille » de certains chefs d’Etat africains n’empêche par la grande trouille de leurs peuples (1/8)

    belle analyse we waiting the next

  • Le 3 septembre 2014 à 19:37, par Diem En réponse à : « La grande vadrouille » de certains chefs d’Etat africains n’empêche par la grande trouille de leurs peuples (1/8)

    Excuse mon innocence ! peut être que Mr Bejot peux enquêter dans ce sens. De nouveaux virus peuvent-ils juste apparaitre ? Les virus connus peuvent subir des mutations et prendre d’autres formes qui peuvent nécessiter d’autres types de traitement. Mais parler de virus de type nouveaux semblent extra-naturel. Pourquoi n’assistons nous pas a des serpents de type nouveau, a des moustiques de type niveau …….a des humains (biologiquement parlant de type nouveau……)…….Juste pour dire que le VIH Ebola sont la création des hommes.. Eh oui n’en déplaise a………….. C’est juste la conséquence de la préparation a une éventuelle guerre bactériologique. Ces virus et testés en Afriqueet ensuite on attribue le maladie a comportement des africains. Vous vous êtes seulement interroger sur pourquoi on ne parle pratiquement pas du SIDA en Russie ?

  • Le 3 septembre 2014 à 21:21 En réponse à : « La grande vadrouille » de certains chefs d’Etat africains n’empêche par la grande trouille de leurs peuples (1/8)

    @ réaction 2, pourquoi le reste du monde DOIT vous assister ? Que faites vous pour en être là ?

  • Le 3 septembre 2014 à 22:00, par Sid-Lamine En réponse à : Quand apprendrons_nous ?

    C’est vrai que nous regardons brûler les autres en essayant de nous convaincre que l’incendie, comme le champignon atomique de Thiernobyl pour les Français, s’arrêtera à nos frontières. Si nous apprenions à anticiper un peu, peut-être nous prouverions-nous à nous-mêmes (les autres, on s’en fout !) que nous sommes entrés dans l’histoire !

  • Le 3 septembre 2014 à 22:15, par Jonassan En réponse à : « La grande vadrouille » de certains chefs d’Etat africains n’empêche par la grande trouille de leurs peuples (1/8)

    Belle analyse quant il s’agit des autres, mais réellement cette indécrottable médiocrité que vous décrivez si bien est-elle propre au Nigéria seul, au Cameroun seul ? Votre tentative diplomatique d’exclure des pays par le "... certains chefs d’Etat..." pèsent sur la valorisation de votre thèse. J’aurai préféré des termes "... tous... ...sauf quelques rares..." pour indiquer aux lecteurs qu’à la lumière des faits, la réaction de la plupart des chefs d’Etat contre Ebola, contre les Djihadistes et contre la gouvernance Néronique (Néron) confirme la véracité des méchants dires de Sarkosy.
    Le caleçon des chefs d’Etat africain et celui des groupuscules intellos agglutinés autour des rois ignorants et sans honneur, leur caleçon, dis-je, est bien dehors aujourd’hui.

  • Le 3 septembre 2014 à 22:44, par Depuis Berlin En réponse à : « La grande vadrouille » de certains chefs d’Etat africains n’empêche par la grande trouille de leurs peuples (1/8)

    Anonyme de 13:46, votre élan de solidarité est louable, seulement, les "gens" assimillent cela au communisme ; ce qui est dommage, car l impôt sur la fortune(en occident) revient à la même chose. Merci une fois de plus, pour l’idée !

  • Le 4 septembre 2014 à 12:39, par diaspora USA En réponse à : « La grande vadrouille » de certains chefs d’Etat africains n’empêche pas la grande trouille de leurs peuples (1/8)

    une analyse qui mérite une petite correction,si les africains ne veulent rien faire de leur dix doigts que de continuer a tendre la main au occidentaux je pense que ces choses qui sévit le continent ne cesserons jamais et nous devons tirez notre chapeau a ce Mr qui a eu le courage de dit au chef d’État américain que en africain nous n’avons pas besoin d’institution forte mais d’homme fort pour essayer de stopper vos bêtises que vous venez foutre sur le continent et certaines personnes ont “interpréter cela autrement de son camps.
    reveillons nous cher africain

  • Le 4 septembre 2014 à 12:49 En réponse à : « La grande vadrouille » de certains chefs d’Etat africains n’empêche pas la grande trouille de leurs peuples (1/8)

    Cette analyse est à la fois triste et réelle. Triste par la noirceur du tableau que nous offre l’auteur. Au moment où tous les pays parlent de l’émergence, nous aurions voulu entendre une analyse plus optimiste et différente de ce qu’on nous a toujours offert. Mais hélas, nous ne pouvons pas refuser la réalité et la vérité.

    Cependant, malgré ce tableau sombre, notre avenir nous appartient. Et ce qui se passera dans les 25, 50 prochaines années dépendra de ce que nous africains décideront de faire de notre avenir dès aujourd’hui.

  • Le 4 septembre 2014 à 14:12, par NRAS En réponse à : « La grande vadrouille » de certains chefs d’Etat africains n’empêche pas la grande trouille de leurs peuples (1/8)

    TRISTE POUR L’AFRIQUE,
    LORSQU’ON DIT QUE NOS DIRIGEANTS NE SONT PAS LA POUR LES POPULATIONS ON CROIT QUE C’EST UNE ACCUSATION SANS FONDEMENT.
    EN EFFET, EBOLA EXISTE DEPUIS 1976, ET COMME ON A TENDANCE A CROIRE QUE LE MALHEUR N’ARRIVE QU’AUX AUTRES, POURQUOI DEPUIS CE TEMPS LES AFRICAINS N’ONT PAS PRIS LES DEVANTS POUR ANTICIPER CETTE MALADIE ?
    PARCE QUE CHACUN EST RESTE MURE DANS SON EGOISME PERSONNEL PENSANT QU’A LUI TOUT SEUL IL POUVAIT CHANGER LE MONDE.
    CES CHEFS SONT LA DE SOMMETS ET REUNIONS A N’EN PAS FINIR.
    QUELLE EST LA POLITIQUE SANITAIRE EN AFRIQUE POUR CONTRER LES MALADIES OU EPIDEMIE ? AUCUNE, TOUJOURS DES DEBATS CREUX ET INUTILES.
    COUTE COMBIEN UN LABORATOIRE DE RECHERCHE HAUTEMENT EQUIPE ? TRES PEU POUR TOUT UN CONTINENT...IL Y A UN VERITABLE MANQUE DE VOLONTE DE LA PART DE NOS DIRIGEANTS. COMME POUR UN RHUME ILS SE FONT TOUS SOIGNER EN FRANCE OU AUX USA. TOUJOURS DANS L’ATTENTE DE L’AIDE POUR S’ENRICHIR.
    QUELLE HONTE, OU SE TROUVE VOTRE SOUVERAINETE, VOTRE INDEPENDANCE ?
    QUITTEZ LE POUVOIR ET LAISSER LA PLACE AUX JEUNES CADRES COMPETENTS CAR IL Y A TROP DE BOULOT...A FAIRE

 LeFaso TV
 Articles de la même rubrique