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Lu pour vous : Politique et poétique au sud du Sahara, Interviews et Extraits de Makhily Gassama

Publié le lundi 1er septembre 2014 à 15h43min

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Lu pour vous : Politique et poétique au sud du Sahara, Interviews et Extraits de Makhily Gassama

Makhily Gassama Politique et poétique au sud du Sahara, Interviews et Extraits,
Préface de Spero Stanislas Adotévi, abis éditions, Août 2013, 246p.
Préface de Spero Stanislas Adotévi

La préface de l’ouvrage est faite par le Pr Stanislas Adotévi qu’on ne présente plus

. Il montre que Gassama a gagné son pari de faire les relectures des concepts permettant d’opérer des rectifications nécessaires et au désir de lire. Il montre que Gassama reste fidèle aux aînés de la négritude (Senghor, Biraogo, Césaire, Damas) mais il élargit son horizon grâce à une dissection d’entomologiste des textes anciens, ceux de la tradition africaine et des textes modernes écrits en langue française. C’est un savoir boulimique qui le conduit « dans l’éclat des mots renversés ».
Gassama et Senghor rejettent tous deux l’influence occidentale de la poésie africaine.
Il le démontre à travers deux poètes africains de pure ignition africaine : karamoko Sitokoto Dabo et El Hadji Cheikh Sidiya Diaby de Talisma.

Il montre que Césaire et ses ancêtres Bambara, Léon Gontrand Damas, linguiste et critique ont puisé dans l’humus des langues africaines.

L’ouvrage aborde les questions de dignité de l’homme noir et l’ouvrage L’Afrique répond à Sarkozy est assez révélateur de ce sursaut de l’intelligentsia africaine qui est salutaire.

Cet ouvrage, précise le Pr Adotévi, est une véritable introspection pour l’homme qui se pose sans cesse la question qui taraude son esprit : « Pourquoi et comment j’ai été esclave, pourquoi d’autres hommes ont réussi à me coloniser ? ».
Les discours anciens n’ont plus de prise, car les peuples s’organisent, le langage de soumission semble révolu.

L’inventivité langagière des jeunes écrivains est à saluer avec les audaces contemporaines de Alain Mabanckou, Florent Couo-Zotti et Gabriel Okoundji, Kourouma, Sony Labou Tansi. Il termine en disant qu’il faut lire l’ouvrage de Gassama dans ce sens, c’est celle d’une Afrique qui se cherche dans des matins de gésine.

L’ouvrage est réparti en trois chapitres :
• Le chapitre 1 intitulé l’Afrique a mal
• Le chapitre 2 axé sur France-Afrique, sinistre hyménée
• Le Chapitre 3 Comme une lueur dans les ténèbres.

Le chapitre 1 s’ouvre sur une interview de Makhily Gassama du Magazine SenActu où il montre son parcours ; né en Casamance dans un village Marsassoum où plusieurs grands hommes d’Etat et écrivains ont fréquenté Abdou Diouf, Pr Assane Seck, Sembène Ousmane. Il a ensuite continué ses études à Ziguinchor puis à Dakar à l’Université, et en France en Propédeutique. Tout ce parcours est important à montrer aux jeunes générations. Sa carrière va le conduire ensuite à des postes de l’Etat, Ministre, Ambassadeur. Il montre sa méfiance à l’homme politique africain qu’il trouve souvent rusé, parfois égoïste porté par le désir de sa propre carrière au détriment de soulager les maux de sa société.

Il montre aussi que l’idéal est un sentiment qui doit être développé très tôt, c’est ce qui peut vous prédisposer aussi à occuper plus tard des postes au niveau de l’Etat. Il prône le fait que les hommes politiques doivent prendre exemple sur les intellectuels afin de réaliser les devoirs qu’ils ont vis-à-vis de l’Afrique. Son ouvrage L’Afrique répond à Sarkozy rentre dans ce cadre dans la mobilisation d’intellectuels pour défendre la dignité de l’Afrique.

Parlant de la renaissance africaine, il pense qu’il s’agit d’un vaste mouvement artistique et culturel, humaniste critique et le 3ème festival des arts nègres a tenté d’en prolonger l’idéal.

La renaissance, c’est re-naître, rebondir, mais les repères égyptiens semblent inappropriés de nos jours car l’essentiel du potentiel se trouve en Afrique au sud du Sahara, il y a donc une nécessité de repenser les paradigmes. Le bilan a besoin d’être fait des forces et faiblesses notamment des freins au développement. La renaissance charrie aussi les notions d’esclave, de colonisé.

Parlant de la pétition initiée sur la paix en côte d’Ivoire, il s’agissait de rechercher la paix. L’ouvrage 50 ans après quelle indépendance pour l’Afrique ? est un devoir de mémoire et un bilan pour éviter les remords et manipulations.

Parlant de la Guinée, il évoque les conditions d’accession de ce pays à l’indépendance, à la situation de Sékou Touré face à la répression, de la protection qu’il a porté à Alpha Condé.

Il évoque deux grands chantiers de l’histoire notamment le Sud face à l’Europe pour un nouvel ordre basé sur la justice et la solidarité.

Le chapitre 2 axé sur France-Afrique, sinistre hyménée évoque les rapports entre la France et l’Afrique. D’emblée, il montre au regard des vicissitudes de l’histoire que les indépendances ont été arrachées de haute lutte. On peut analyser l’action du Général De Gaulle mais aussi des mouvements indépendantistes. Pour que l’Afrique prenne son destin, elle doit non seulement dompter la technique mais aussi compter sur ses propres forces. Les ONGs et associations ne doivent pas être en reste et doivent contribuer à l’installation d’une opinion véritablement africaine.

L’Afrique pour être définitivement décolonisée doit se pencher sur ses tares qui sont récentes. Contrairement à Axelle Kabou, Gassama pense que les causes du mal développement sont aussi bien exogènes qu’endogènes.

Le mal développement nécessite que les gouvernants acceptent de dialoguer avec les intellectuels et le peuple.

Parlant du discours de Dakar, il pense qu’elle vient de la situation d’une Afrique apeurée et domptée. Mais cette réponse au discours permet de mettre en place une réponse adéquate au discours volontairement inspiré des thèses réductionnistes de Gobineau et d’autres philosophes racistes (cf mes compte rendus dans Sidyawa et l’Observateur).

Parlant de la France-Afrique, il trouve qu’un respect mutuel doit guider les relations comme l’a prôné Senghor, malheureusement des reculs comme le discours de Dakar viennent parfois rappeler le contraire, et c’est ce mépris qui a conduit Gassama à initier une réponse. Heureusement, ajoute-t-il, des personnages comme Ségolène Royal viennent rétablir l’équilibre.

Le Chapitre 3 « Comme une lueur dans les ténèbres », dépeint les aspects littéraires de l’ouvrage. Il évoque les sources de la poésie africaine de langue française notamment des topoï. Il parle de la « critique occidentale et nous » notamment en donnant à Janheinz Jahn la paternité du rôle précurseur qu’il a joué dans le regard occidental posé sur la poésie africaine. Il montre que les poètes de la négritude étaient plus enracinés dans leurs valeurs traditionnelles qu’occidentales. Senghor a raison de parler de son royaume d’enfance, Césaire, le volcan, place l’Afrique traditionnelle au cœur de sa création.

Il prend les citations de Djibril Tamsir sur le griot et les vers de Senghor dans Chants d’Ombres pour l’illustrer. Il pousse plus loin la réflexion en montrant à travers les citations de M.M. Diabaté sur le griot et les vers célèbres du poème Souffles de Biraogo Diop que les morts ne sont pas morts et que l’essentiel de la muse et des schèmes mentaux et langagiers des poètes africains se trouvent dans les textes traditionnels africains et l’univers culturel africain.

Mieux, il pousse loin, en critique avisé de la littérature africaine, les techniques de création traditionnelles en analysant les vers du griot Lalo Kéba Dramé qui allie rythme et mélodie où le signifiant devient le signifié. Il y a répétition du mot accoucheur Jabi (Diabi). Cette anaphore, ces parallélismes asymétriques fondent le rythme nègre qui identifie Papa Diabi à Papa lion. Les vers de Karamoko Sitokoto , la flûte enchantée de Casamance montrent toute la quintessence de la créativité traditionnelle africaine. On y retrouve des octosyllabes, une musicalité forte, des allitérations, des assonances, des diphtongaisons propres à la structure phrastique de la langue africaine Casamançaise. Le poète Cheikh Sidiya Diaby n’échappe à pas à la règle, il emploie des alexandrins et traine une musicalité dans ses poèmes-chants comme dans ce vers suivant :
« L’âme s’était envolée, il perdit la parole ».

Il analyse le fait que les langues africaines viennent au secours du français, tout en prônant la nécessité des recherches dans les langues africaines, la publication des résultats de recherche et la formation d’interprètes et traducteurs.
Il évoque les liens de Senghor avec la négritude, la définition qu’il donne de la négritude, du rôle précurseur de Frobénius.

Quant à Damas, il le présente comme « le tam-tam enragé » tant il a su traduire les fondements de l’âme nègre dans ses poèmes et sa pensée. Aimé Césaire est « le Prométhée délivré » car il charrie les mots, les concepts et les charge d’une valence nègre. Senghor est « une braise sous la cendre » car il dénonce les injustices de l’occident, de la France sans toutefois renier ses racines nègres.
Il porte une réflexion sur l’écriture poétique en donnant quelques clés de lecture d’un poème en prenant des exemples aussi bien ancrés dans la poésie française qu’africaine. Il dissèque l’univers du mot et de l’écriture poétique.

Un autre aspect de sa réflexion est posé sur l’apport du tiers monde à la civilisation de l’universel à travers l’objectivité sympathie et la supériorité de « l’épée de fer sur l’épée de bronze », et la nécessité de dompter l’histoire.

Abdoulaye Sadji est considéré par Gassama comme un romancier mais aussi un homme au sens camusien. Il évoque le passé d’Alioune Diop comme « un faiseur de roi ». Ahmadou Kourouma est « un sorcier du roman africain », William Sassine, « l’enfant terrible de la littérature africaine ». Il analyse La mulâtresse solitude d’André Swhartz Bart comme une œuvre mémoire de la traite de l’esclavage.

Enfin, il examine « quelques mots sur l’œuvre romanesque d’un ami » où il montre que l’écriture est une invention permanente, une danse des mots, une créativité et non une vile reproduction de ce qui existe, c’est ce qui fait le génie des grands écrivains qui apportent des innovations dans le processus de créativité littéraire. On peut le remarquer chez Cheikh Hamidou Kane, Boris Boubacar Diop, Ahmadou Kourouma pour ne citer que ces auteurs et l’œuvre Jusqu’au bout de l’espoir, de son ami, devrait tendre vers cela.

Pour terminer Gassama pose un regard averti sur la culture au Sénégal à travers les mutations et opportunités à saisir.

SISSAO Alain Joseph
Directeur de Recherche
INSS/CNRST

Professeur de philosophie et d’anthropologie (Auteur de Négritude et Négrologue, Le Castor Astral, 1972, 1998).

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