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Vol AH 5017. L’axe Ouagadougou-Paris marginalise l’axe Alger-Bamako (6/7)

Publié le mardi 5 août 2014 à 21h34min

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Sept jours se sont écoulés depuis la disparition du vol AH 5017 Ouaga/Alger. Six jours depuis la découverte du site du crash, à Alglinta, au Nord-Mali. Après l’émotion, puis la compassion, les questions restent posées et attendent des réponses. Qui tarderont. La France, qui a eu le plus de victimes dans ce drame, est passée à autre chose : le grand chassé-croisé juillet-août est pour les jours à venir : samedi noir ; dimanche rouge. Zone grise : concernant le vol AH 5017, encore aucune explication au crash !

Le juriste burkinabè, Me Alidou Ouédraogo, qui a perdu sa fille Ouarda Yacine (juriste elle aussi), a été président du Mouvement burkinabè des droits de l’homme et des peuples (MBDHP) - à une époque où ce n’était une partie de plaisir - et président de l’Union interafricaine des droits de l’homme (UIDH), un « homme intègre », dès l’annonce du crash, anéanti par la douleur, a dit ce que l’on dit à ce moment-là : « L’avion a disparu, il s’est désintégré en vol au Nord de Gao, il a crashé à 50 km à l’intérieur de la frontière du Mali, près du Burkina […] C’est assez contradictoire […] Dans une zone de haute sécurité, on n’a pas pu repérer un avion dès le crash ? Je n’y crois pas. On a beaucoup joué avec nos sentiments. Ils ont beaucoup tardé à nous donner ces informations alors qu’ils les avaient. Il faut souhaiter qu’ils puissent faire la reconstitution des corps et nous les rapatrier, sinon les hypothèses d’orage, de vent de sable, de piste terroriste, on n’en veut pas. Mais tenez, si l’avion a éclaté à la suite d’une bombe, il y aura des poursuites judiciaires ». Ouédraogo nuancera rapidement son jugement : « Nous avons suivi et apprécié les efforts réalisés par le gouvernement du Burkina Faso dès l’annonce de la disparition de l’avion […] Ce que nous attendons aujourd’hui, c’est de savoir les causes du crash de l’avion ».

Ce ne sera pas facile dès lors que l’on ne posera pas les questions en amont de l’accident : pourquoi Air Algérie recourt-elle si souvent à l’affrètement d’avions auprès de « compagnies » étrangères sur des lignes intra-africaines avec des « équipages » étrangers qui semblent n’être que des « intérimaires » de l’aéronautique ? L’absence de compétence résulte toujours d’une volonté de « réduire les coûts ». C’est vrai dans tous les domaines. Le lieutenant-colonel Simon-Pierre Delannoy l’a dit : « Pour nous, tout l’avion est là. Nous avons récupéré sur place des bouts d’ailes, la dérive, des éléments du plan fixe et du plan mobile de profondeur, de moteurs, de cockpit… Il y a donc une forte probabilité que le reste du fuselage soit présent. Tout cela donne à penser, mais sans rien exclure, que l’avion était intègre au moment de l’impact. Nous n’excluons rien, car un travail d’enquête consiste à prendre toutes les hypothèses et à fermer les portes au fur et à mesure que l’on avance ».

Le lieutenant-colonel Delannoy n’est pas n’importe quel péquin avec quelques galons aux épaulettes. Cet ancien élève-pilote appartient à l’armée depuis 1985. Ecole d’application de Toulouse (1987-1988), Ecole militaire de l’Air de Salon-de-Provence (1991). En 1998, il va suivre une formation de capitaine des armes à l’Ecole des officiers de gendarmerie nationale de Melun et va, dès lors, mener sa carrière au sein de la gendarmerie. Il sera adjoint du chef de division à l’Institut de recherche criminelle de la gendarmerie, passera une année au Collège interarmées de Défense et prendra, en 2010, les commandes de la section de recherches de la gendarmerie de l’air.

Il y a tout juste un an, le 1er août 2013, Delannoy a été promu à la tête de la section de recherches de la GTA, la Gendarmerie des transports aériens. Ce qui lui permet de concilier sa passion du pilotage (il a 700 heures de vol à son actif sur planeur, ULM et avion) et son engagement au sein de la gendarmerie. C’est lui qui est aujourd’hui sur le terrain, à Alglinta, pour y mener une mission d’identification et d’investigation, avec le colonel Patrick Touron, lui aussi un gendarme (cf. LDD 0435/Lundi 28 juillet 2014).

Le dernier contact avec le vol AH 5017 a eu lieu le jeudi 24 juillet 2014 à 1 h 47. Le témoin qui aurait vu tomber l’avion dit que le drame s’est situé à environ 1 h 50. Le général Gilbert Diendéré en tire la conclusion que l’avion « a chuté de 10.000 mètres d’altitude à zéro en trois minutes à peu près, ce qui est vraiment très vertigineux, compte tenu de la masse de l’appareil ». Il convient de relativiser. Dans ma chambre d’hôtel, mes ordinateurs, ma montre, ma pendulette et i>TELE me donnent une heure qui varie de quelques minutes. Et je ne suis pas sûr qu’à près de deux heures du matin, dans un bled perdu du désert malien, voyant tomber un avion, mon premier réflexe serait de savoir l’heure qu’il est. Si tant est que je possède alors une montre !

Dans Le Figaro de ce matin (jeudi 31 juillet 2014 – papier signé Mathilde Ceilles), qui titre « L’avion aurait chuté de 10.000 mètres en 3 minutes », Gérard Feldzer revient sur la situation orageuse qui p,révalait cette nuit-là dans toute la région (cf. LDD Burkina Faso 0433/Vendredi 25 juillet 2014). « Pour qu’un pilote soit capable de faire face à ce type de turbulences, fréquentes dans ces régions, il lui faut une certaine expérience ».

Selon Le Figaro : « L’équipage espagnol de l’AH 5017 n’avait qu’un mois d’expérience sur cette route aérienne réputée difficile à cette saison […] Dans les milieux aéronautiques, certains soulignent qu’il existe un réel problème avec la formation virtuelle des pilotes, les simulateurs n’incluant pas à l’heure actuelle les problèmes météorologiques ». Feldzer ajoute que Swiftair, qui assurait ce vol pour le compte d’Air Algérie, « manque de moyens, y compris dans la formation de ses pilotes. Elle fait, dans ce domaine, le minimum réglementaire, elle possède une faible connaissance de cette zone, puisque l’essentiel de ses vols se fait en Méditerranée. L’inexpérience ici est clairement un facteur contributif ». L’inexpérience, c’est toujours de la mal gouvernance motivée par le « pognon » : réduire les coûts pour augmenter les marges !

Feldzer n’est pas un quelconque consultant en aéronautique que l’on retrouve sur les plateaux des stations de radio et des chaînes télé, c’est un ancien pilote de ligne d’expérience (il a aujourd’hui 70 ans !). Il a piloté en Algérie pour la compagnie STA en 1973-1974 avant de rejoindre la Postale de nuit en 1974-1976 puis la compagnie Air France. Il sera commandant de bord de 1989 à 1992 puis commandant de bord instructeur de 1992 à 2004 sur Airbus A 310, 340 et 330. Le diagnostic de Feldzer rejoint celui de l’ex-commandant de bord Jean Serrat, cité par Le Figaro, pour qui le crash ne peut pas être dû « uniquement à un nuage ; il y a un autre facteur ». C’est aussi le point de vue du colonel Touron : « Nous ne pouvons pas tirer de conclusion. Aucune hypothèse n’est exclue ».

Ce crash pose deux problèmes majeurs : une identification des victimes compte tenu d’une situation délicate de « polyfragmentation » (certains experts considèrent qu’il faudra trois à cinq mois pour aboutir à un résultat global et rendre les « corps » aux familles*) ; une investigation à risques politiques compte tenu non seulement du lieu du crash et des pays concernés : France, Algérie, Mali, Burkina Faso mais du fait que nous sommes dans une « zone de guerre », même si c’est une guerre non déclarée.

* Me Mamadou S. Traoré, bâtonnier de l’Ordre des avocats, président de la Conférence des barreaux de l’Uemoa, a annoncé publiquement aujourd’hui que « le barreau du Burkina Faso s’engage à mettre gratuitement à la disposition de toutes les familles qui souhaitent se constituer partie civile, une équipe d’avocats pour suivre avec elles les procédures judiciaires et leur permettre ainsi un accès au dossier de l’enquête ». Il rappelle à cette occasion que le Parquet de Ouagadougou et le Parquet de Paris ont déjà ouvert des informations judiciaires pour « homicides involontaires par maladresse, imprudence, inattention, négligence ou manquement à une obligation de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement ».

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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