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Pr. Albert Ouédraogo, enseignant à l’Université de Ouaga, ancien ministre : « J’ai toujours eu horreur de tout système qui exclut »

Publié le mercredi 2 juillet 2014 à 01h50min

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Pr. Albert Ouédraogo, enseignant à l’Université de Ouaga, ancien ministre : « J’ai toujours eu horreur de tout système qui exclut »

Il fut, successivement, ministre des enseignements secondaire et supérieur puis celui de la promotion des droits humains. Plus connu sous le sobriquet de « Albert Tocsin », du nom de son ONG, le TOCSIN, Pr. Albert Ouédraogo, puisque c’est de lui qu’il s’agit, est enseignant de littérature orale africaine à l’Université de Ouagadougou . Toujours avec le même tonus et la même sérénité, celui-là même qui dans le milieu de la société civile ce que Me Sankara est dans le monde politique (je fais référence ici à la barbe qui est leur ‘’marque déposée’’) ne manque pas d’occasion pour exprimer, sans langue de bois, ce qu’il pense. Entre communications, consultations, cours et ses activités dans le cadre de son organisation, l’homme trouve du temps pour se prêter avec enthousiasme à nos questions dans son bureau, à l’Université de Ouagadougou. Questions d’actualité certes mais aussi et surtout de son ouvrage, publié le 14 juin dernier et qui fait parler de lui. Dans cette première partie de l’entretien que nous vous livrons, Pr. Albert Ouédraogo parle de son passage au gouvernement, donne son point de vue sur les débats en cours au Burkina et entame un décorticage de son ouvrage. Lisez !

Lefaso.net : Vous semblez vous éloigner de plus en plus de la vie publique…

Albert Ouédraogo (A.O) : Ah non, je suis surpris que vous disiez que vous ne me voyez pas, parce que j’ai été toujours au niveau de la place publique à travers les conférences publiques que je n’ai pas arrêté de faire, aussi bien pour le compte du ministère des droits humains, celui de la communication que même au sein de certains établissements où je suis sollicité pour faire des conférences. De ce point de vue, je continue d’avoir une certaine visibilité publique.

Lefaso.net : Vous avez été dans le gouvernement (2011 à 2013), ministre des enseignements secondaire et supérieur, puis celui en charge des droits humains, que retenez-vous de votre passage dans l’exécutif ?

A.O : Je retiens que ce fut un moment exaltant, dans la mesure où je suis arrivé au gouvernement pendant que le Burkina traversait une de ses plus graves crises sociopolitiques et il nous était demandé de pouvoir aider, par un certain nombre de mesures, à ramener la paix sociale afin de permettre aux institutions de continuer à fonctionner et c’est ce que, je pense, que nous avons réussi à faire tant bien que mal avec l’accompagnement, l’appui et l’encadrement du Premier ministre, Luc Adolphe Tiao que je remercie au passage.

Lefaso.net : Hormis cette satisfaction, y-a-t-il un aspect particulier qui vous a marqué dans votre passage au gouvernement ?

A.O : Je dirais quand même que lorsqu’on est à un poste gouvernemental, on ne joue pas à la vedette ou au « one man show ». C’est une responsabilité collégiale, collective. On est dans une équipe et les succès sont collectifs, de même que les échecs. Si bien que certaines initiatives peuvent ne pas aboutir, tout simplement parce que vous n’avez pas réussi à convaincre toute l’équipe de la pertinence de l’initiative. Par conséquent, ce n’est vraiment pas un espace où on joue « solo », au risque de se brûler, soi-même, les doigts. Mais toutes les décisions et toutes les actions doivent être dans le sens voulu et par le chef de l’Etat et par le Premier ministre. Si bien que, on apprend aussi à savoir que les ministres ne peuvent pas tout faire et ne doivent pas tout faire, dans la mesure où ils sont où ils sont un des éléments du système pour la mise en œuvre d’une politique décidée par le chef de l’Etat et implémentée par le Premier ministre.

Lefaso.net : En tant qu’acteur de l’animation de la vie publique, comment vivez-vous aujourd’hui, tous ces débats cantonnés surtout sur l’article 37 et le référendum ?

A.O : Je vis ce débat comme la manifestation de la vitalité de la démocratie Burkinabè. Dans certains pays, ce type de débat ne peut même pas avoir lieu, parce que tout simplement, il y aura des menaces, des pressions, des représailles. Or, quoi qu’on dise, il faut saluer le fait que la presse soit libre et les individus, dans une certaine mesure, ont le courage d’exprimer leur point de vue, dans le sens de dire qu’ils sont d’accord ou qu’ils ne sont pas d’accord. Donc, sur ce plan formel, je ne peux que me réjouir de la manifestation de cette expression de liberté (même si elle est encadrée) permettant à tout un chacun de donner son point de vue et, in fine, cela montre que la population n’est pas dans un unanimisme total et ça, c’est une vitalité de la démocratie.

Lefaso.net : On constate une sorte de ping-pong, avec des manifestations et contre manifestations. Ne craignez-vous pas qu’à cette allure, on tombe dans ce que l’ensemble des Burkinabè ne souhaitent pas à savoir une crise ?

A.O : Vous avez raison… A mon sens, il faut que les acteurs aient raison gardée pour effectivement éviter qu’on en arrive à des violences physiques parce que, malheureusement, on a senti qu’il y a déjà une dérive sur le plan verbal et que souvent les dérives verbales préparent à des violences physiques. Et c’est cela qu’il faut déplorer et c’est pourquoi les acteurs politiques doivent faire montre d’une plus grande responsabilité sociale dans leurs propos et dans leurs prises de position. Eux, ils ont certainement la maturité et le recul nécessaire pour analyser les situations. Mais ce n’est pas toujours le cas de leurs militants ou de ceux qui sont des sympathisants de leur cause. Il est donc important que cette dimension-là puisse être prise en compte, aussi bien de la part de la majorité que de l’opposition.

Lefaso.net : Vous venez de publier, le 14 juin dernier, un ouvrage dont le titre ne laisse pas indifférent : « Démocratie et cheffocratie » ou « La quête d’une gouvernance apaisée au Burkina FASO ». D’abord, pourquoi avez-vous choisi ce moment, dans ce contexte, pour le publier ?

A.O : Je dirais plutôt : pourquoi cet ouvrage a décidé de paraître maintenant ? Parce que la sortie de cet ouvrage en cette période n’a pas été préméditée. Ça fait une dizaine d’années que je réfléchis sur cette question et ma thèse a porté sur la « poétique de chant de funérailles » que j’ai soutenue en 1986. Et depuis lors, je me suis toujours laisser intriguer par la vitalité et la permanence des institutions traditionnelles. Au regard de mon parcours intellectuel, à savoir que j’enseigne la littérature orale (littérature orale africaine) à l’Université de Ouagadougou, ces aspects de la tradition m’ont toujours interpellé. Et c’est pourquoi, me penchant sur la question des chefferies, je me suis aperçu que, en dépit de tous les changements intervenus dans notre pays, la chefferie est restée celle qui a très peu muée. Mais malgré sa présence et sa permanence, elle a toujours été plus ou moins mise de côté par rapport à la gouvernance, aussi bien locale que nationale. Cela m’a posé un certain nombre de questionnements, à savoir pourquoi les gouvernants s’obstinent à ne pas prendre en compte les garants des institutions traditionnelles dans l’implémentation de la démocratie moderne. Et-là, c’est la fibre de droits humains en moi qui a vibré en me disant que, j’ai toujours eu horreur de tout système qui exclut. Pour moi, une véritable gouvernance doit être celle qui intègre, qui soit inclusive et non pas exclusive. Par conséquent, mettre de côté une portion de la population, même si elle représente 1%, pour moi cela représente une injustice. C’est pour quoi, j’ai essayé de comprendre pourquoi on ne fait pas une place sur le plan institutionnel pour les chefferies. Mais les chefferies dans leur dimension plurielle, c’est-à-dire les chefferies d’essence politique que j’appelle les « chefferies culturelles » et la chefferie d’essence religieuse que j’appelle les « chefferies cultuelles ». J’ai essayé de regarder les différents documents officiels du Burkina, ils ne prennent pas en compte la chefferie. Même lors du CCRP, lorsqu’on a décidé de constitutionnaliser la chefferie, tout le monde a applaudi.

« Je souhaite que la démocratie puisque enfanter de la ‘’cheffocratie’’ »

Mais, je vous demande de revoir notre constitution, vous ne verrez pas une seule ligne où il y a le mot « chef ». Pourtant, ce document consacre la constitutionnalisation de la chefferie mais à l’intérieur, il n’y a pas le mot « chef » ; il y a problème. Ça veut dire que quelque part, nous avons mal à nos réalités culturelles. Et ceux qui sont encore au-devant de notre système politique et intellectuel sont encore façonnés par les thèses marxistes, léninistes, maoïstes etc. Résultat : ils sont dans l’incapacité d’intégrer ces valeurs qu’ils ont passé le temps à décrier, à insulter, à vilipender au cours de leurs études. Moi, je ne m’inscris pas dans ce sillage. C’est pourquoi j’estime, en regardant même ce qui se passe dans d’autres pays tels que le Ghana, le Nigeria, le Niger, le Cameroun où justement, la chefferie se retrouve inscrite dans les institutions. Mais ces Etats-là ne sont pas pour autant moins capables que le nôtre. Si je remonte plus loin, dans les démocraties occidentales, vous prenez les différents pays nordiques, vous prenez la Grande-Bretagne, vous avez la royauté, qui est constitutionalisée. Mais ça ne fait pas de ces Etats-là, des Etats moins démocratiques, parce que quelque part, dans un Etat multiculturel où la question de la nation ne tient pas à une seule histoire, à une origine, à une seule source ; l’image du roi ou de la reine constitue le plus petit élément unificateur de la nation. Et que même quand les institutions sont en train de prendre l’eau, l’image du roi ou de la reine est capable de reconstruire les bases de l’unité nationale. Mais quand vous prenez nos Etats, vous voyez bien que les Etats ont précédé les nations. Les nations sont en construction ; donc il y a nécessité d’avoir avec soi, dans la république, les garants de ces institutions traditionnelles pour nous aider à faire émerger la nouvelle nation. Et c’est pour quoi je n’ai pas pris le ‘’mot’’ « Démocratie et chefferie » parce que tout simplement, pour moi, la chefferie est une institution qui est plus vieille que la démocratie. Mais je souhaite que la démocratie puisque enfanter de la « cheffocratie », c’est -à-dire, comment la démocratie va créer des espaces institutionnels dans lesquels les chefs vont se retrouver et donner leurs mots pour la conduite de la nation et de la cité. Pour que la conduite de nos Etats ne se fasse pas simplement en tenant comptant des paramètres de la démocratie occidentale. Notre démocratie a besoin de s’enraciner dans nos valeurs, dans notre culture. Mais quels sont les dépositaires de ces valeurs, de ces cultures ; si vous enlevez les chefs culturels et cultuels, il n’y a plus grand-chose.

Lefaso.net : Vous avez pris l’exemple en Occident où on a un seul élément fédérateur. Mais quand vous prenez le cas du Burkina, il y a plusieurs ethnies et il y a des sociétés dites acéphales …

A.O : Laissez-moi vous interrompre, une société acéphale n’existe pas. Ce sont des terminologies utilisées par la littérature, je dirais, coloniale dans le sens de décrédibiliser nos différentes cultures. Ça n’existe pas, une société acéphale, c’est-à-dire une société sans tête. Ça n’existe pas parce que ça veut dire que c’est une société qui ne pense pas, qui ne réfléchit pas, qui ne se projette pas dans l’avenir, qui n’a pas un regard sur le passé. Cette société n’est pas viable. Toutes nos sociétés ont une structure ; qu’elle soit villageoise, segmentaire, lignagère ou qu’elle soit royale ; il y a toujours des personnes et des institutions incarnées par certaines personnes qui sont les représentants de leur communauté. Je prends chez les Bobos, les Lobis, vous avez toujours des chefs de clan, des chefs de familles, des prêtres d’un certain nombre de cultes (prêtre du masque, le chef de terre). Ça toujours existé. Donc, les sociétés ont toujours eu des éléments unificateurs autour desquels elles se construisent et se projettent.

… Au regard de la diversité ethnique du Burkina, l’élément unificateur peut être lequel ?

…En la matière, nous n‘inventons rien. Prenez le Ghana, ils ont une assemblée des chefferies traditionnelles et coutumières, de façon institutionnelle et inscrite dans la constitution. Ces assemblées sont aussi bien au niveau national qu’au niveau de la représentation régionale. Ces assemblées ne réunissent que les différents chefs des différentes ethnies, pour discuter de leurs, problèmes, leurs préoccupations pour prendre en charge un certain nombre de préoccupations sociales et pour voir quelles sont les évolutions possibles que la tradition doit amorcer pour pouvoir être en phase avec l’évolution de la société. Et il est interdit à tout politique d’interférer dans le fonctionnement des affaires traditionnelles. En la matière, la nomination des chefs, la révocation des chefs, tout ceci se discute au sein des assemblées. Dans un pays comme le Ghana, vous ne pouvez pas avoir affaire à la question de la double chefferie telle que nous l’avons au Burkina, parce que tout simplement au Burkina, il y a l’intrusion de la politique dans l’administration des affaires des chefs.

Lefaso.net : Quelle est, justement, votre proposition concrète de réforme à ce niveau ?

A.O : Il y a une dizaine d’années, j’avais pensé que pour ces représentants des autorités coutumières et traditionnelles, on aurait gagné à avoir un Sénat. Mais le Sénat, dans son sens plein du terme, regroupe un certain nombre de personnes qui sont pétries d’expériences, de sagesse et de connaissances, afin de pouvoir donner leur lecture non partisane de la marche de la société pour donner un certain contrepoids aux décisions des politiques. Mais à l’’intérieur du Sénat, les politiques n’ont rien à y faire. J’avais donc pensé que le Sénat pouvait regrouper une bonne partie des représentants des chefs avec un accompagnement de certains représentants du milieu associatif par exemple afin que notre démocratie ne soit pas simplement implémentée par les représentants des partis politiques parce que la démocratie, ce n’est pas la « particratie » ; ce n’est pas simplement ceux qui sont dans les partis politiques qui doivent diriger. La démocratie, c’est le peuple et les représentants des partis politiques ne sont pas, à eux seuls, représentatifs de la multiplicité de la composante sociale. Par conséquent, nous avons pensé que si on faisait une assemblée des chefs, au niveau national avec des représentations au niveau local, ces assemblées de chefs-là pourraient, dans un premier temps déjà réfléchir à dynamiser les institutions traditionnelles, à les expurger de ce qui est déjà comme quelque de dépasser et de contraire à la démocratie et même aux droits humains afin que progressivement nous assistons à une sorte de rapprochement des différentes cultures pour que la culture nationale commence à se construire par la connaissance, la pénétration des différents aspects des différentes cultures qui composent l’ensemble national. In fine, les politiques pourraient, à tout moment, interpeller l’assemblée des chefs pour leur soumettre un certain nombre de préoccupations sociales pour voir quelle est leur lecture de cela afin qu’à l’assemblée nationale ou bien dans les conseils municipaux, on ait des décisions qui ne soient pas complètement aux antipodes de nos valeurs culturelles. Et qu’on ne prenne pas des décisions que la base ne comprendrait pas ; parce que 80% de la société ne s’expriment pas dans la langue des dirigeants. Or, les chefs s’expriment dans la langue de leurs administrés ; ils ont les mêmes références, les mêmes valeurs, les mêmes réflexes. Donc, ils sont plus à même, au regard de leur proximité avec les populations, de les aider à aller vers les changements. Si on les met de côté, on aurait sauté un maillon et les changements ne se feraient pas. Je suis au regret de le dire ; beaucoup de nos populations ont plus confiance en leur chef qu’en leur ministre ou en leur député qu’elles voient de façon épisodique, qu’elles entendent de façon épisodique alors que le chef, c’est vraiment presque le père, le frère, l’oncle, le beau-frère bref, il y a des relations multiséculaires qui les lient à la personne qui incarne cette permanence. On pourrait, avec leur accompagnement, aider à amorcer les différents changements, de nature à permettre au Burkina de s’inscrire dans la modernité, tout en ne reniant pas son passé, comme savent le faire si bien les Etats asiatiques.

Lefaso.net : On imagine que vous vivez aujourd’hui avec peine, cette manipulation, cette dépravation qui est aujourd’hui faite des chefs par les politiques !

(A lire dans la prochaine publication)

Entretien réalisé par :
Oumar L. OUEDRAOGO

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