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Lettre ouverte au ministre en charge de la promotion civique : Les valeurs et attitudes des personnes potentiellement violentes contrarient le discours officiel sur l’incivisme.

Publié le vendredi 13 juin 2014 à 00h30min

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Lettre ouverte au ministre  en charge de la promotion civique : Les valeurs et attitudes des personnes potentiellement violentes  contrarient  le  discours officiel sur l’incivisme.

Si le recours à la violence comme moyens d’expression sociale, de protestation, de revendication, bref de participation politique est de plus en plus récurrent et systématique, le discours officiel qui consiste à qualifier d’incivique les personnes qui en font recours ou qui en feront recours est non seulement hâtif mais aussi stigmatisant. C’est la principale conclusion à laquelle est parvenue M. Roger BEMAHOUN, Statisticien-économiste et Chercheur indépendant à travers les données de l’enquête Afrobaromètre réalisée en décembre 2012 par le Centre de gouvernance démocratique (CGD).

Pas plus d’un mois après le top départ de la caravane pour le civisme, quelques événements sociopolitiques viennent prendre le contre-pied de la finalité de celle-ci : Le « savoir vivre ensemble » comme l’espère le ministre en charge des droits humains et de la promotion civique, Julie Prudence NIGNA SOMDA. Ironie du sort, le 19 mai 2014, Harouna BAKO a succombé à une vindicte populaire à Koudougou, ville qui a pourtant abrité les cérémonies de lancement de ladite caravane. Comme quoi, « le chien aboie et la caravane passe ».

Les disparitions tragiques les 23 et 24 mai 2014 respectivement de Jacques BADO et du juge constitutionnel Salifou NEBIÉ viennent corroborer le recours à la violence/force au Burkina Faso et partant, la désacralisation de la vie humaine dans un pays qui se veut de droit. Toute chose qui n’est pas de nature à apaiser le climat sociopolitique. Pourtant, depuis quelques années, le gouvernement a fait de la cohésion sociale son cheval de bataille. D’ailleurs le thème retenu pour la commémoration du 53è anniversaire de l’indépendance de notre pays le 11 décembre 2013 en dit long : « Civisme et cohésion sociale : fondamentaux d’un développement durable ».

À en croire la presse, l’interruption manu militari le samedi 24 mai 2014 à Ouahigouya de la conférence publique animée par le Professeur Luc Marius IBRIGA par certains partisans du Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP) soulève la problématique du recours à la violence/force et du civisme. Peut-on qualifier d’incivique ou de mauvais citoyen, toute personne qui fait usage de la violence/force pour une cause qu’elle jugerait juste ? Répondre par l’affirmative est non seulement expéditif mais stigmatisant, d’autant que dans un certain discours la jeunesse est dans le viseur. En effet, introduisant sa communication au forum national sur le civisme tenu les 30 et 31 mai 2013 à Ouagadougou, le Pr. Albert OUEDRAOGO, ancien ministre des droits humains, affirmait ceci : « Les valeurs d’hier commencent à être considérées comme des contre-valeurs par la jeunesse ». Par la suite, il ajoute : « Au moment où l’on discourait sur la citoyenneté et le civisme, les jeunes voyaient, lisaient et entendaient détournements, vols, viols, corruptions, assassinats, braquages, mutineries, etc. ». Comme nous pouvons le noter en filigrane dans le mot introductif du Professeur, l’incivisme est la valeur la mieux partagée chez la jeunesse.

Avant d’aller plus loin dans notre développement, explicitons le concept de « incivisme ». Dans le souci d’être en phase avec le discours officiel, nous faisons nôtre, la définition donnée par le Pr Albert OUEDRAOGO, ancien ministre des droits humains, au cours de sa communication au forum national sur le civisme. « L’incivisme est un défaut qui consiste à se montrer déloyal et irrespectueux, voire irrévérencieux vis-à-vis de la Nation. […] L’incivisme s’exprime de mille et une façon sur les plans politique (corruption, le refus de vote, la félonie, etc.), économique (refus de payer l’impôt, la corruption, les détournements, la gabegie, etc.) et social (refus de faire son service militaire, le refus de s’engager, le manque de respect des valeurs communes). »

Quant au concept d’individu « violent », nous utilisons la question Q78 de l’enquête évoquée ci-dessus qui demandait à l’enquêté(e) de choisir parmi les deux affirmations suivantes celle qui est plus proche de son opinion : « A : De nos jours, le recours à la violence n’est jamais justifiable dans la politique burkinabè », « B : Dans ce pays, il est parfois nécessaire d’user de la violence pour une bonne cause ». L’enquêté(e) pouvait être en désaccord avec chacune de ces affirmations ou de répondre « Ne sait pas ». Un individu sera qualifié de « violent » lorsqu’il est d’accord ou fortement d’accord avec l’affirmation B.

Valeurs et attitudes en matière de civisme politique

Pour ceux d’entre eux qui avaient l’âge de voter aux élections présidentielles de 2010, 72% ont voté. Comme nous pouvons le noter, 7 personnes sur 10 d’entre eux participent à la gestion des affaires de l’État et de la société en participant aux élections comme le dispose l’article 12 de notre loi fondamentale. 56% manifestent un intérêt aux affaires publiques. En termes d’engagement partisan, 62% affirment être proche d’un parti politique.

Au-delà de ces valeurs civiques politiques, ils promeuvent plus généralement la démocratie. Pour 69% d’entre eux, la démocratie est préférable à toute autre forme de gouvernement. 50% sont défavorables à l’intervention de l’armée pour diriger. Par conséquent, ils estiment que le choix des dirigeants doit se faire à travers des élections régulières, libres et honnêtes (82%). Concernant la façon dont un pays devait être dirigé, 74% s’insurgent contre le fait qu’un seul parti politique soit autorisé à se présenter aux élections et à gouverner.

Ils promeuvent également l’équilibre des pouvoirs. 73% d’entre eux, sont favorables à ce que les députés, en leur qualité de représentant du peuple, décident des lois même si le Président du Faso n’est pas d’accord. Aussi, le Président du Faso doit-il respecter les lois et les décisions de justice même s’il pense qu’elles sont erronées (68%). 75% n’apprécieraient pas que le président prenne des décisions unilatérales. Pour 68% d’entre eux, la constitution devrait limiter l’exercice de la fonction du Président du Faso à deux mandats.

Concernant la fierté d’être burkinabè, 82% expriment ce sentiment. Ce qui bat en brèche, l’idée selon laquelle de nombreux Burkinabè n’éprouvent aucune gloire à l’être comme l’exprime l’ancien ministre des droits humains.

Valeurs en matière de civisme économique

Selon 59% d’entre eux, les autorités fiscales ont toujours le droit de contraindre les populations à payer les impôts. A 62%, ils estiment que les citoyens doivent payer les impôts pour que le pays se développe. Une personne sur deux (52%) est favorable à ce que l’on paye plus d’impôts si cela veut dire que le gouvernement améliora la prestation des services.
Il en découle que nos personnes potentiellement violentes ont conscience que le payement de l’impôt est légal et l’État peut user de son pouvoir coercitif pour l’effectivité de son prélèvement. Mieux, elles savent que les biens et services fournis sont du fait de l’impôt. Et au nom de ces services publics, une hausse d’impôt ne sera pas de trop. Dans le même temps, la conditionnalité soulevée pour le payement de l’impôt soulève la question de la reddition des comptes. Que font le gouvernement et les collectivités locales avec l’impôt et autre taxes ponctués chez le contribuable ?

A la question Q61 : Au cours des douze derniers mois (avant l’enquête), combien de fois, avez-vous eu à payer un pot de vin, à offrir un cadeau, ou à accorder une faveur à des gens de l’État ? 63% affirment ne l’avoir jamais fait pour obtenir un document ou un permis ; 62% déclarent ne l’avoir jamais fait pour éviter des problèmes avec la police, comme passer un poste de contrôle ou éviter une amende ou une arrestation ; 78% affirment n’avoir jamais reçu, aux dernières élections présidentielles de 2010, de l’argent ou un cadeau d’un candidat ou d’un parti politique en échange de son vote. D’où on peut affirmer que nos personnes potentiellement violentes ont rarement au centre d’une affaire de corruption active.

Valeurs en matière de civisme socio-culturel

De l’avis de 68% de nos personnes violentes, les femmes devraient avoir la même chance d’être élues à des postes politiques que les hommes. Aussi, pour 69% d’entre eux, les femmes devraient-elles avoir les mêmes droits et recevoir le même traitement que les hommes. Comme nous le constatons, en mettant les hommes et les femmes sur un piédestal, on note une désaliénation culturelle mais positive de leur part à savoir celle de la supériorité des hommes aux femmes ; ou ce formatage culturel qui relègue la femme aux tâches de ménagère. Mieux, elles adhèrent à la lettre et à l’esprit de l’article premier de notre loi fondamentale qui dispose que tous les burkinabè naissent égaux en droit, et que toute discrimination portant sur le sexe est prohibée.

En matière de respect des valeurs communes, 73% affirment que la police a toujours le droit d’obliger les populations à respecter la loi ; 81% insistent sur la nécessité d’obéir au gouvernement au pouvoir, et ce quel que soit le candidat pour lequel on a voté. 65% affirment que les gens doivent toujours se soumettre aux décisions prises par les tribunaux.

Au terme de notre analyse nous retenons que le discours qui consiste a qualifié ipso facto les personnes qui font usages de la violence/force ou qui sont enclines à faire usage de la violence/force d’inciviques est expéditif pour bon nombre d’entre-elles. Car en ces personnes couvent des valeurs civiques qui n’entendent à être exprimés pour peu que l’environnement institutionnel le permette. C’est pourquoi, madame le ministre, nous recommandons que le qualificatif « citoyenneté responsable » qui invoque implicitement « citoyenneté irresponsable » ou « citoyenneté non-responsable » se meut à un discours sur la tolérance beaucoup plus euphémique à notre sens.

Sans vouloir faire l’apologie de la violence/force, cet écrit est un appel à la non stigmatisation des personnes qui en feraient recours. Le contexte national aidant, caractérisé par le fort sentiment : « les uns mangent, les autres regardent » peut susciter même chez les non-violents, un comportement inattendu. Comme l’affirme Jacques Potin : « La non-violence n’est pas l’acceptation douceâtre de l’injustice, elle est une insurrection pacifique, violente dans sa non-violence ».

BEMAHOUN Honko Roger Judicaël
Statisticien-économiste
jeunehonko@yahoo.fr

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