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TOGO : et si Paris était au courant !

Publié le mercredi 9 février 2005 à 00h00min

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Lorsque les journalistes français, Georges Malbrunot et Christian Chesnot, étaient aux mains des ravisseurs en Irak, on se rappelle la triste équipée du député UMP, Didier Julia, et de ses deux compères, qui avaient entrepris une médiation « solitaire » et parallèle pour obtenir leur libération.

Cette intrusion inopportune du député, avec l’aide de Laurent Gbagbo, qui lui a assuré la logistique, faillit brouiller le contact entre les ravisseurs et les négociateurs officiels français et, du même coup, mettre en péril la vie de nos confrères, qui finiront par être libérés quelque temps après que leur guide syrien l’eut été.

Voilà que cette affaire n’est même pas encore tirée au clair par la justice, qu’une autre, similaire, fait surface au Togo à la faveur du coup de force constitutionnel de Gnassingbé fils suite à la mort de son père. De quoi s’agit-il ?

Le dictateur mort, l’armée togolaise, comme on le sait, a vite fait de « confier » le pouvoir à Faure Gnassingbé, au mépris des dispositions constitutionnelles. Le monde entier a crié au coup d’Etat militaire.

Mais voilà qu’en 24 heures, pour passer une couche de vernis constitutionnel sur leur coup de force, les nouvelles autorités du Togo ont vite fait de convoquer en urgence une séance de l’Assemblée nationale, au cours de laquelle Faure, après avoir retrouvé son siège de député, a été élu président de cette institution.

Ainsi, le pouvoir laissé vacant par son défunt père lui revint de droit. Mieux, les députés, sous la pression des militaires, ont modifié la loi fondamentale du pays, permettant ainsi au président auto-proclamé de « sévir » sur le Togo durant le reste du mandat de son prédécesseur, soit jusqu’en 2008.

Après ces haut faits, Faure Gnassingbé a convoqué au palais présidentiel les membres de la Cour suprême, devant qui il a prêté le serment de servir le peuple togolais.

N’avait-il pas, dès samedi, déclaré sans rire qu’il poursuivrait les réformes démocratiques commencées sous « Calamity Gnass » comme le surnommaient certains de ses compatriotes ?

Voici donc le rejeton, qui était manifestement à bonne école, devenu, à coups de tours de passe-passe et d’artifices législatifs, le successeur de son géniteur.

Mais quelle mouche a bien pu le piquer pour qu’il s’engage dans pareille aventure à l’issue pour le moins incertaine ? Comme l’a révélé Radio France Internationale (RFI) hier, il semble bien que le clan Gnassingbé ait bénéficié des « sages » conseils d’un « vieux briscard » de la politique française, ancien conseiller de Valéry Giscard d’Estaing.

C’est ce Français, diplômé de droit constitutionnel, établi au Togo depuis un certain temps, et qui faisait office de conseiller du président Eyadéma, qui aurait suggéré aux nouveaux maîtres de Lomé d’habiller de la sorte leur coup de force. Ainsi, elles ont pris tout le monde de vitesse.

Toujours selon RFI, « c’est en se revendiquant de l’Elysée, dont la position officielle n’était pas encore connue, qu’il [le conseil en question] aurait fini par convaincre le fils d’Eyadéma de prendre la tête de ce coup d’Etat constitutionnel ».

Ces dernières informations, si elles se confirmaient, montreraient bien que la France a donné a priori ou posteriori son quitus, à tout le moins implicite, pour que ce coup de force constitutionnel soit perpétré.

Et avec le recul, on ne peut que s’en convaincre davantage : on a encore en mémoire la déclaration malheureuse de Chirac qui pleure la disparition d’un « ami de la France » et d’un « ami personnel » même si, à sa décharge, c’était avant que les événements ne se précipitent.

C’est ce même Chirac qui, alors que Eyadéma venait d’être réélu pour un troisième mandat qu’il n’aurait pas dû briguer si on n’avait pas tripatouillé la Constitution, avait vite fait de saluer la réélection du lutteur de Pya à la tête du Togo. Ce geste de Chirac, pour qui connaît l’influence de la France dans son pré carré, avait donné une onction internationale au locataire de Lomé II.

Dans cette honteuse affaire, la France a une attitude très trouble, très ambiguë : jusque-là, elle n’est pas allée au-delà des condamnations de principe, se bornant à répéter qu’elle tient au « respect de la Constitution » et à « l’organisation rapide d’élections », et qu’elle se rangerait derrières les positions exprimées par les Africains, notamment l’UA et la CEDEAO.

Et une fois de plus, cette « douce et généreuse » France, qui, avec sa diplomatie parallèle, a toujours deux fers au feu, nous roulera tous dans la farine. Parce qu’au moment où sa voie officielle condamne, en sous-main, elle porte parfois à bout de bras les régimes les plus dictatoriaux du continent, conseillés et guidés par ses acteurs de la Françafrique.

Ces conseillers occultes, consultants de tous poils, espions, mercenaires qui ont leurs entrées dans nos palais présidentiels, sont les « fossoyeurs » du continent.

Bien sûr, dans le cas d’espèce, on dira toujours que le Paris officiel n’est au courant de rien, mais qu’on se rappelle tout de même l’affaire Julia. Là aussi, l’Elysée et le Quai d’Orsay avaient juré, la main sur le cœur, n’avoir jamais été au courant de l’entreprise de l’apprenti-négociateur.

Jusqu’à ce qu’on se rende compte qu’il était bien introduit dans les cercles officiels de la négociation, où on se serait empressé de récupérer son affaire si elle avait été concluante.

Mais comme ç’a foiré... Espérons seulement, avec nos confrères de RFI, que cette fois, une information judiciaire sera ouverte contre l’éminent constitutionaliste, qui viole si aisément la constitution togolaise même si, dans sa précipitation, il doit avoir oublié que l’article 144 de ladite loi fondamentale proscrit toutes modification constitutionnelle pendant la période qui suit une vacance du pouvoir. Pour tout dire, tout ce qu’ils ont entrepris depuis samedi est nul et de nul effet.

Mais ce n’est pas cela qui va arrêter de tels forceurs. On va d’ailleurs finir par croire que c’est son clan qui a aidé le miraculé de Sarakawa à partir.

San Evariste Barro
L’Observateur

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