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Salif Diallo : "L’Afrique n’a plus besoin de discours"

Publié le mercredi 9 février 2005 à 08h10min

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A l’issue de l’ouverture officielle du premier forum "Dakar Agricole 2005" qui s’est déroulé dans la capitale sénégalaise du 4 au 5 février dernier, nous avons tendu notre micro à Salif Diallo, ministre d’Etat, ayant en charge l’Agriculture, l’Hydraulique et les Ressources halieutiques.

Avec son franc-parler, l’homme revient sur les enjeux d’une telle rencontre. L’entretien s’est déroulé à l’hôtel "Le Méridien" de Dakar le 4 février dernier.

"Le Pays" : Que peut-on concrètement attendre de ce premier forum de Dakar sur l’agriculture ?

Salif Diallo : Une fois de plus, l’Afrique s’est réunie suite à des constats. En effet, le forum agricole de Dakar a rassemblé des scientifiques, des décideurs politiques et des organisations paysannes. La particularité de cette rencontre est la participation de chefs d’Etat dont Jacques Chirac, le président de la France et de la représentante du Royaume-Uni.

Ces constats se résument essentiellement à la situation difficile à laquelle est confrontée l’Afrique. Aujourd’hui, en moyenne, chaque Africain a droit à 128 kg par personne et par an, en termes de nourriture, alors que l’Asie du sud-est qui était au même niveau que nous en 1960 est passée à 339 kg par personne et par jour.

Le deuxième constat est que toutes nos filières peinent à trouver leur chemin, par manque de compétitivité interne et par manque de rendement acceptable. Dans l’ensemble, ce sont des contre-performances que nous avons encore soulignées à cette rencontre de Dakar. Ce n’est pas une rencontre de trop, parce que toute concertation a ses aspects positifs. Cependant, Dakar a éludé la question de fond qui est celle de la commercialisation.

Aujourd’hui, l’agriculture africaine peine à trouver sa voie car elle se caractérise encore par l’auto-consommation. Nous ne maîtrisons pas nos marchés nationaux, sous-régionaux et régionaux, a fortiori le marché international. Le constat est que de 1960 à 2000, le cours des matières premières de base de l’Afrique a chuté de 60%. Objectivement, il faudra donc dépasser ces constats aujourd’hui, aller au-delà du diagnostic pour trouver des solutions. Les solutions sont à portée de main.

Il faut tout d’abord amener la communauté internationale à rémunérer nos produits à leur juste valeur. Ensuite organiser nos populations agricoles pour plus de compétitivité dans les filières, par l’utilisation de paquets technologiques appropriés afin d’augmenter leurs rendements, et à maîtriser l’eau pour assurer une permanence de cette production. Mais la question de fonds relève d’une politique agricole dans la logique du marché mondial.

Quels que soient nos efforts, si nous n’arrivons pas nous-mêmes d’une part, à transformer nos produits de base à l’intérieur de nos territoires nationaux et d’autre part à mettre ces produits sur le marché international à des prix justes et bien rémunérateurs, l’agriculture africaine ne pourra pas s’autofinancer et tendra donc vers une situation encore plus précaire. Le forum de Dakar a donc permis d’échanger sur ces questions. Il nous faut très rapidement trouver des solutions à l’intérieur de chaque pays et aussi au sein de nos ensembles régionaux d’intégration.

Chaque année, il se tient plus d’une rencontre sur le continent à propos de l’agriculture et ce sont pratiquement les mêmes plats que nous réchauffons et remettons sur la table. Pour finir, ces plats deviendrons indigestes et ce sont les populations rurales frappées véritablement par la pauvreté qui continueront de trinquer. Il nous faudra courageusement aller vers des solutions pratiques et nous donner les moyens de les mettre en oeuvre au niveau de chaque pays, comme nous essayons de le faire aujourd’hui au Burkina Faso.

Les échanges de Dakar pèseront-ils conséquemment sur la politique agricole commune de l’Afrique ?

A ce niveau, nous avons des cadres d’échanges de type multilatéral sur la commercialisation de nos produits. Il y a également l’effort interne à réaliser. Non seulement nous ne maîtrisons pas nos propres marchés avec nos propres produits, mais il y a une tendance négative qui pointe à l’horizon sous la forme de la mobilisation et la gestion de nos propres marchés par des produits venus du Nord. Nous avons des potentialités énormes en Afrique pour produire sur le plan agricole.

Mais, le constat est que dans beaucoup de pays africains, ce sont des produits de base venant du nord qui alimentent les populations. C’est déjà une catastrophe. Avant de chercher à conquérir une part du marché au plan international, il faut que dans chaque pays, les gens travaillent à produire en quantité et à consommer ce qu’ils produisent. Quand on prend l’exemple d’un produit comme le riz, on constate aisément que l’Afrique est en mesure de produire pour une forte consommation sur notre continent. Mais nous importons du riz d’Asie.

C’est dire l’effort que nous devons accomplir pour viser d’abord la maîtrise de nos marchés nationaux, par une augmentation de la production et par une compétitivité plus grande de nos produits. Cela passe par l’organisation et la bonne gouvernance dans nos politiques agricoles et une vision clairvoyante sur ce qui doit être la part de chacun des acteurs. Que ce soit le paysan, le commerçant, le gouvernement, nous devons unir nos efforts. En Afrique, il se pose aujourd’hui la question d’unir la science, le producteur et le marché sur la base d’une même politique, afin de contrôler notre agriculture.

Au regard des conclusions de Dakar Agricole 2005, et des idées que vous avez développées ci-dessus, l’institutionnalisation de ce forum peut-elle résoudre les problèmes de l’agriculture africaine ?

Pour être honnête avec vous, l’institutionnalisation de telles rencontres ne constituent pas à mes yeux une solution. Nous avons eu beaucoup de forums et de rencontres en Afrique, mais cela ne règle pas la question de fond. Nous ne faisons plutôt que dépenser de l’argent pour se rencontrer sur des thèmes connus, sur des diagnostics connus, mais les solutions ne viennent pas. Donc à mon humble avis, la question n’est pas d’institutionnaliser de pareilles rencontres. Il n’existe pas en Afrique une organisation d’intégration qui n’a pas posé ce diagnostic ou qui ne possède pas de stratégie dans ce sens.

L’heure est à la mise en oeuvre des stratégies et à la conduite de politiques nationales assez fermes et permanentes dans le secteur agricole comme dans bien d’autres secteurs. Nous peinons non seulement parce que souvent la volonté politique manque, que la volonté d’organiser les producteurs manque, et qu’une vision agricole de politique agricole fait défaut. Aujourd’hui, il faut aller au charbon, il faut aller sur le terrain.

Il faut produire d’abord afin d’assumer la sécurité alimentaire des populations, produire ensuite pour s’assurer des devises et produire enfin pour être compétitif sur le marché international. Pour cela, nous devons transformer nos propres produits de base. Contrairement à d’autres régions, les zones agricoles africaines présentent véritablement plusieurs dimensions et de nombreuses potentialités. Nous avons donc la possibilité de produire sur notre propre continent tout ce dont nous avons besoin en termes d’alimentation et même en termes de produits très rémunérateurs.

C’est dire que quelque part, il y a une absence d’organisation et un manque de volonté politique réelle de la part de tous les gouvernants. Pourtant, aujourd’hui, nous avons des cadres et des scientifiques à même d’améliorer tous les facteurs de production que nous avons entre les mains. Si je prends le cas des variétés de semences, de nos jours, ne serait-ce que par le biais des hybrides, nous pouvons constater que sur le continent, il y a des potentialités énormes mais qui sont sous-exploitées ou non vulgarisées auprès des producteurs.

Là où le bât blesse, c’est que nous n’avons pas la possibilité d’amener le petit producteur à dépasser le niveau de sa propre consommation pour viser le marché et attirer des moyens suffisants pour renouveler sa production avec des facteurs modernes. C’est dire que les problèmes sont connus. Il reste à l’Afrique à lutter d’abord pour contrôler sa propre économie agricole. Il faut que le meunier sénégalais puisse acheter du maïs au Burkina Faso au lieu de l’importer du Brésil ou des Etats-Unis. Or en réalité, c’est ce qui se passe aujourd’hui.

C’est la même chose pour le riz. Nous avons de vastes plaines en Afrique. Si je prends le cas de l’Afrique de l’Ouest, rien qu’avec le fleuve Niger, les bassins de la Volta et d’autres bassins, nous pouvons couvrir nos besoins et même exporter du riz. Mais nous sommes pour le moment dépendants de l’Asie en ce qui concerne ce produit. Nous pouvons même aujourd’hui produire du blé dans nos différents pays. Je crois que l’Afrique est mal organisée. Nous sommes prêts pour les discours. Mais au-delà des discours, il n’y a plus rien.

Pendant ces genres de rencontres, on s’adonne à de l’auto-flagellation et on attend l’année suivante pour renouveler les mêmes gestes, les mêmes paroles. Il est temps pour chaque pays, pour chaque région de l’Afrique de mettre en oeuvre ce qui est connu de tous comme étant des possibilités d’améliorer la situation des populations.

Propos recueillis à Dakar par Morin YAMONGBE
Le Pays

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