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IBK change de premier ministre parce qu’il refuse de changer de comportement politique. Préoccupant ! (4/4)

Publié le mercredi 23 avril 2014 à 00h10min

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IBK change de premier ministre parce qu’il refuse de changer de comportement politique. Préoccupant ! (4/4)

Le nouveau premier ministre de la République du Mali, Moussa Mara, a été candidat à la présidentielle 2012. C’est le 15 octobre 2011, à l’occasion du congrès tenu à Kayes, que son parti, Yéléma, va l’investir. Son programme tient en deux mots : territorialité et solidarité. Il se veut le candidat de la jeunesse et de la restauration d’un Etat fort au service des citoyens (il est l’auteur d’un essai sur « L’Etat au Mali »).

Son cheval de bataille, c’est la suppression des cercles (héritage de la colonisation française) et l’augmentation du nombre de régions afin de réduire les échelons administratifs ; il se propose également de favoriser l’émergence des villes moyennes afin que le Mali dispose d’un tissu d’une soixantaine d’agglomérations en mesure d’avoir un niveau infrastructurel significatif. Il veut également faire de la solidarité « un pilier de la société malienne » et, pour ce faire, propose la création d’un grand ministère de la Solidarité et de la Promotion des couches vulnérables. Pour le reste, rien de neuf ; les promesses sont celles de tous les candidats : des routes bitumées, de l’eau potable, des travaux d’assainissement… Dans un pays essentiellement rural, Moussa Mara est le candidat des « villes nouvelles ». C’est pourquoi, sans doute, il ne va recueillir que 1,5 % des suffrages au premier tour de la présidentielle 2013.

La « guerre » déclenchée le 17 janvier 2012 par le MNLA va bouleverser sa campagne. « On nous a imposé une guerre, il faut donc y aller », dira-t-il alors. Sauf qu’il n’y a personne pour « y aller ». Moussa Mara évoquera le déploiement de 7.000 soldats dans le Nord-Mali. Il précisera même : « Principalement dans l’infanterie, avec une proportion appréciable de commando paras, dans l’artillerie et dans les blindés légers ». Ce qui dénote une vision de l’armée malienne quelque peu à côté de la plaque. « Urbaniste » et « municipaliste », Moussa Mara voit, par ailleurs, dans la création d’une police municipale, embryon de brigades urbaines de protection de l’environnement au sein des communes urbaines, la solution à l’insécurité (qui, pour lui, est « juridique, alimentaire et sanitaire »). Ces brigades urbaines, dit-il, seraient « chargées de la prévention des délits, de la collaboration avec les populations, de la sécurité des voies urbaines et de la circulation routière, de la protection de l’environnement, de l’utilisation de la voie publique, de certaines situations relatives au voisinage et à certaines incivilités, du respect des règles publiques municipales ».

Le coup d’Etat militaire du 22 mars 2012 va replonger Moussa Mara dans les ténèbres de la vie politique malienne. Jusqu’à l’élection présidentielle de 2013. Eliminé dès le premier tour, Moussa Mara est en lice pour le deuxième tour, celui du dimanche 11 août 2013, aux côtés d’Ibrahim Boubacar Keïta (IBK) contre Soumaïla Cissé. Peu importe qu’il ait été élu, par le passé, maire de la commune IV de Bamako contre le premier avec le soutien du second ! Le 9 septembre 2013, il est donc appelé à participer au gouvernement d’Oumar Tatam Ly, en 17ème position, soit juste au mitan de l’équipe (il y avait alors 34 ministres). Tout naturellement au portefeuille de ministre de l’Urbanisme et de la Politique de la ville. Pas de quoi briller politiquement, ni médiatiquement, alors que le pays demeure confronté aux effets collatéraux de la « guerre » et du coup d’Etat militaire de 2012.

5 septembre 2013/5 avril 2014. Un premier ministre chasse l’autre. Moussa Mara est chargé de former un nouveau gouvernement. Ce qui ne manque de surprendre la classe politique malienne. Tatam Ly était un proche d’IBK qui en avait fait son représentant personnel à la commission restreinte qui a eu à organiser la passation de pouvoir et les cérémonies d’investiture. C’était aussi le rejeton d’une prestigieuse famille qui a marqué l’histoire contemporaine du Mali (cf. Mali 0103/Jeudi 5 septembre 2013) ; et son parcours professionnel est des plus significatifs : directeur national de la BCEAO puis conseiller spécial du gouverneur à Dakar. Tatam Ly était considéré par ailleurs comme politiquement neutre.

Or Moussa Mara était le candidat de Yéléma à la présidentielle 2013 ; et il ne terminera pas dans le carré d’as (je rappelle que IBK, Soumaïla Cissé, Dramane Dembélé, Modibo Sidibé ont, à eux quatre, représenté près de 75 % des voix ; il n’en restait que 25 % pour les 23 autres candidats). N’y avait-il pas au sein du RPM, le parti d’IBK, un premier ministrable présentable ? L’arrivée à la primature de Moussa Mara, qui ne représente rien politiquement ni même socialement, n’a donc pas beaucoup de sens, pas même celui d’une « ouverture ». Et, à Bamako, ils sont aujourd’hui nombreux à s’interroger (notamment parmi les candidats malheureux à la présidentielle) : pourquoi Moussa Mara plutôt qu’eux ?

Bonne question. Moussa Mara, adepte des réseaux sociaux (mais ce n’est pas pour autant que le site de son parti soit à la hauteur, loin de là, de ses ambitions), a twitté au lendemain de sa nomination : « Le plus dur commence ». Pas sûr qu’il soit d’ores et déjà entré dans le « dur ». Il vient d’avoir 39 ans. Il est, dit-on, le 14ème premier ministre du Mali. Sans doute un des plus jeunes jamais nommés à ce poste. Lors de la passation de pouvoir qui vient de se dérouler aujourd’hui (mercredi 9 avril 2014), il n’a rien dit d’autre que de convenu. Il a évoqué la gouvernance, la relation entre l’Etat et les citoyens, a exigé « l’intégrité absolue des ministres » ; il a parlé de la société civile, de la sécurité, de la réconciliation nationale, de l’éducation, du développement économique et social…

Insuffisant, déjà, pour un pays en bon état de marche. Or, la République du Mali est déglinguée. La situation politique est problématique ; la situation sécuritaire est précaire ; la situation économique est anorexique (hors secteur de l’aide internationale qui a permis de relancer les dépenses publiques et de stimuler les secteurs affectés par la crise : construction, services, commerce). Et Bamako, sous la férule d’IBK, a trop tendance à penser, que « l’incident est clos ». Or, non seulement l’incident n’est pas clos mais la position diplomatique du Mali n’est plus, en 2014, ce qu’elle était en 2013 et 2012.

Les atermoiements d’IBK pour ce qui est de la résolution durable de la crise qui a mis le feu aux poudres lassent non seulement la « communauté internationale » mais également ses principaux partenaires. A commencer par la France qui veut bien jouer les pompiers de service mais a d’autres priorités que de jouer à un jeu bête et méchant avec quelques pyromanes irresponsables.
Et puis la présidence de la Cédéao est désormais assurée par le Ghana et celle de l’Union africaine par l’Ethiopie. Quand la « crise malo-malienne » a éclaté c’était Thomas Boni Yayi qui présidait l’UA et Alassane D. Ouattara la Cédéao. Des présidents de pays francophones qui étaient en proximité avec Bamako. Pas sûr que les Ghanéens et les Ethiopiens portent la même attention à un pays dont ils ne savent pas grand-chose et qui ne donne pas l’impression d’avoir une gouvernance cohérente.

Remplacer Tatam Ly, banquier central, par Moussa Mara, politique périphérique, n’est sans doute pas le meilleur message à adresser aux partenaires du Mali, aux bailleurs de fonds, à la « communauté internationale » et aux institutions régionale et continentale. En laissant penser que Tatam Ly (« un homme discret, loyal, travailleur et compétent » disait-il) a failli, le message que transmet IBK c’est qu’il n’a pas l’intention de changer de comportement et entend se complaire dans les errements du passé – clientélisme et connexions affairo-politiques – qui ont conduit le Mali dans le mur. Voilà qui est préoccupant. Pour le Mali. Pour IBK aussi. La perception que beaucoup avaient qu’il était l’homme de la situation est en suspens. Et on peut s’attendre à ce que les révélations sur les dérives de son entourage se multiplient.

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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