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Le Togo après Gnassingbé Eyadéma : la marge est étroite entre l’impossible démocratie et le possible chaos

Publié le lundi 7 février 2005 à 09h48min

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Les présidents à vie ne sont pas immortels. Et les réformes constitutionnelles qui visent à les instituer ne garantissent pas, pour autant, la pérennité des hommes. Le président Gnassingbé Eyadéma vient de mourir brusquement. Une mort inattendue, sans doute ; mais qui n’est pas surprenante.

Ce que je sais de lui me laisse penser qu’il avait la perception de ce qui allait arriver avant l’heure (il n’avait que 68 ans). Une page semblait avoir été tournée, ces derniers mois, à Lomé. L’ampleur des manifestations pour la célébration du 13 janvier, voici quelques semaines à peine, était comme un chant du départ. Eyadéma voulait mourir au pouvoir ; c’est fait. Il voulait mourir dans un contexte politico-social apaisé ; c’est fait. Il voulait laisser l’image d’un homme qui avait évité la guerre civile et réconcilié les Togolais avec eux-mêmes ; l’Histoire en décidera.

Le régime togolais institué par Eyadéma n’était pas de ceux que l’on peut, de l’extérieur, apprécier. Il était plus stalinien que militaire. Et, dans un pays où les "élites" ne manquent pas (même si elles ont parfois tendance à se considérer plus élitistes qu’elles ne le sont vraiment !), on pouvait penser que celles-ci en faisaient trop quand elles étaient hors du Togo et pas assez quand elles y étaient.

La "dictature" instituée par Eyadéma n’a été possible que dans la mesure où tous ceux qui qui criaient "haro sur le baudet" étaient bien heureux, trop souvent, de profiter d’un système bureaucratique où la lâcheté et l’esprit de lucre l’emportaient sur la compétence. Le Togo et les Togolais ont longtemps vécu dans la peur ; mais, parfois, les peuples, comme les enfants, aiment à se faire peur.

Le bilan politique, économique et social du Togo au cours des trente dernières années n’est pas pire que celui de beaucoup d’autres pays africains dont l’image démocratique est pourtant beaucoup plus forte. On va pouvoir en juger dans les prochains jours, les prochaines semaines, les prochains mois et les prochaines années. Car c’est dans l’organisation de leur succession que les chefs d’Etat se jugent.

Félix Houphouët-Boigny, bien plus "honorable" que Eyadéma (même si les zones d’ombres du régime ivoirien de 1960 à 1993 valent bien celles du régime togolais), a laissé le chaos en héritage à son peuple ; on peut s’amuser d’ailleurs de l’hommage appuyé rendu par le "socialiste" ivoirien Gbagbo à celui qui incarnait, en Afrique, tout à la fois, l’accession au pouvoir par un coup d’Etat militaire (le premier dans l’histoire du continent), la dictature militaire, l’omniprésence du parti unique, la "Françafrique", etc.

Quel sera l’héritage togolais ? Pour le Togo bien sûr ; mais également pour l’Afrique francophone en général (dont Eyadéma était le doyen des chefs d’Etat en exercice : 13 janvier 1967) et l’Afrique de l’Ouest en particulier. Il faut sortir des idées formatées. Eyadéma, militaire ignare formé dans les troupes coloniales françaises, président-assassin, face à une opposition assassinée parce que porteuse de toutes les espérances. Ce portrait n’est pas faux ; il peut, traité par un auteur talentueux (Ahmadou Kourouma), donner un remarquable roman (En attendant le vote des bêtes sauvages).

Eyadéma s’est imposé au pouvoir pendant 37 ans ; pas par hasard. Et, à l’exception de la famille Olympio, les leaders de l’opposition sont des anciens cadres de son régime ; dont l’incompétence politique (au sens organisationnel du terme) et, plus encore, l’ambition personnelle,

Autre idée formatée : la Constitution est la loi suprême. C’est vrai dans un régime démocratique. Pas dans un régime autoritaire. La preuve en est que Eyadéma (et les autres) tripatouillent les constitutions en fonction de la nécessité du moment. Faut-il s’étonner, avec les Nations unies et l’Union africaine, que l’armée ait, dans l’urgence, confié le pouvoir à un des fils du président défunt ?

On peut se préoccuper d’une démarche qui, à première vue, a des allures de coup de force politique ; mais si la Constitution confie l’intérim du pouvoir au président de l’Assemblée nationale, il faut remarquer que celui-ci (nous dit-on) était absent de Lomé au moment du "drame" ; que, par ailleurs, Fambare Ouattara Natchaba, président de l’Assemblée nationale, était très, très proche du chef de l’Etat et que ce n’est pas au nom de la Constitution qu’il va s’opposer à son fils et à son armée ; que Faure Gnassingbé, l’héritier, 38 ans, économiste (Dauphine + USA), est député, ministre de l’Equipement, des Mines et des Télécommunications (le ministère qui signe les contrats internationaux) depuis juillet 2003, qu’il est le chef de la négociation avec l’Union européenne, l’interface entre le RPT (parti présidentiel) et les partis de l’opposition et qu’il était considéré comme l’héritier présomptif.

Le respect de la règle constitutionnelle aurait été, en la matière, purement formel : Faure Gnassingbé est sans doute mieux placé (au plan national comme au plan international et plus encore au plan militaire) que beaucoup d’autres pour gérer la transition.

Je remarque que les héritiers constitutionnels rencontrent parfois bien des difficultés pour stabiliser leur pouvoir (Biya à Yaoundé et Bédié à Abidjan) ; leur nomination ne me paraît pas être une démarche démocratique). J’ajoute que le Togo souffre, compte tenu de la longueur du règne de Eyadéma, d’un trop plein de leaders de l’opposition : historiques et opportunistes. Qui ont, pour la plupart, passé l’essentiel de leur temps à l’étranger. Rameuter ce beau monde à Lomé dans une perspective de conquête du pouvoir, c’est soulever le couvercle du chaudron dans lequel bouillonne toutes les vanités. L’opposition ne doit pas se faire d’illusions : Eyadéma va être regretté par l’essentiel de la classe politique africaine et internationale.

Tant que Eyadéma n’aura pas été enterré, il ne faut sans doute pas redouter trop de tensions. Mais la dernière pelletée de terre jetée sur son cadavre va déclencher une rude bagarre pour le pouvoir. L’armée d’une part et les barons du régime d’autre part vont vouloir "rester près du feu pour surveiller la marmite" comme on dit à Libreville.

L’opposition, frustrée de toute parcelle de pouvoir depuis quatre décennies, voudra rattraper le temps perdu. S’ajoutent à cela les tensions africaines. Le Togo existait, diplomatiquement et internationalement, du fait de la présence à sa tête du président Eyadéma (sans oublier, pour autant, que le port de Lomé est un débouché essentiel pour l’hinterland).

Eyadéma était le meilleur soutien de Laurent Gbagbo à Abidjan ; et le président Compaoré était la bête noire de l’un et de l’autre (Eyadéma ne cessant d’accuser Ouagadougou de vouloir le déstabiliser). Abidjan va être à la recherche d’un nouvel allié à Lomé ; Ouaga se préoccupera sans doute d’y voir installé un "partenaire" moins hostile (compte tenu, toujours, du débouché que représente Lomé). Quid de Kérékou, à Cotonou, qui se trouve dans une situation (constitutionnelle) identique : fera-t-il modifier le texte fondamental afin d’être candidat en 2006 malgré ses affirmations ? (Kérékou vient de modifier le gouvernement, dont sort Bruno Amoussou, leader de l’Union pour le Bénin du futur, à qui Kérékou doit une part non négligeable de son succès à la présidentielle).

Une certitude : la transition, quelle qu’elle soit, doit conduire à l’alternance ; celle des hommes est une certitude ; reste à mettre en oeuvre celle des politiques en vigueur. Et cette transition comme cette alternance doivent réussir. L’Afrique de l’Ouest en particulier et l’Afrique noire en général, n’ont pas les moyens de faire face à une nouvelle crise majeure "à l’ivoirienne".

Il est impératif de sortir des schémas formatés pour permettre l’émergence à Lomé d’un pouvoir démocratique mais qui ne soit pas seulement que démocratique ; il faut qu’il soit également compétent. Et, en la matière, la compétence c’est la capacité à faire vivre ensemble tous ceux qui entendent engager leurs forces dans le développement du pays.

Jean-Pierre Béjot
La Dépêche Diplomatique

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