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Médias français. Aujourd’hui, l’Afrique « c’est chic » et « c’est clic » (3/3)

Publié le mardi 1er avril 2014 à 15h55min

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Médias français. Aujourd’hui, l’Afrique « c’est chic » et « c’est clic » (3/3)

Faut-il les croire ? Quelle est la crédibilité d’une presse française qui, soudainement, se prend de passion pour l’Afrique dans sa globalité et entend nous présenter le continent comme le « nouveau moteur de croissance qui, le jour venu, pourra prendre le relais des autres » ? Non pas que le continent n’ait pas d’atouts ? Non pas qu’il n’ait pas, non plus, les hommes et les femmes qu’il faut à la place qu’il faut ?

Mais il y a une réalité qui s’impose à tous et je ne suis pas convaincu que le fait de la nier fasse progresser la « cause africaine ». Le Point (cf. LDD 0649/Lundi 24 mars 2014) propose un site d’information sur une Afrique « chic » accessible par un simple « clic » : www.lepointafrique.fr. A y aller voir, cela semble loin du propos soft de Franz-Olivier Giesbert. On n’y trouve rien de plus que ce qu’on trouve ailleurs sur des sites qui, ayant une vision globale du continent africain, donnent une information globale. Pour l’Afrique comme pour le reste du monde, lepointafrique aura vite fait le tour des bonnes nouvelles et des nouvelles élites. On peut bien vouloir « positiver » la réalité s’impose, particulièrement en matière économique. Ce qui ne signifie pas, pour autant, qu’il n’y a pas, sur ce continent, des pays qui sortent de la gangue du sous-développement. La Coface vient d’en dénicher quatre : Kenya, Tanzanie, Zambie, Ethiopie. Ayant un réel potentiel de croissance mais pénalisés par un environnement des affaires « délicat » ; pour ne pas dire plus. Pas un francophone. C’est peut-être que, justement, la presse francophone ne joue pas le rôle qui est le sien en voulant laisser penser que « tout va très bien, Madame la Marquise ».
Un éditeur de presse français s’est fait une spécialité du magazine « positif ». Il en publie pas moins de 80 ! Tout y passe : économie, cuisine, santé, vie pratique, auto-moto, sports, maison-déco, etc. Ses titres sont des démarquages de magazines connus (il publie Jour de France qui est sur le créneau de Jours de France, et tout est à l’avenant). « Lafont presse, c’est positif » nous dit Robert Lafont son « inventeur » (à ne pas confondre avec l’éditeur Robert Laffont). « Son groupe, dit-il, mise notamment sur deux axes de développement prioritaire pour assurer sa croissance : 1 – le développement d’une offre publicitaire globale prenant appui sur la complémentarité de l’offre magazine. 2 – le déploiement d’une offre numérique innovante en exploitant les ressources éditoriales du groupe ». En fait, il y a un « tuyau », le net, et on le bourre autant qu’on peut avec des sujets de « société » dont le caractère anecdotique peut attirer l’œil du surfeur. D’ailleurs, dans sa politique de développement, Lafont n’évoque jamais l’information ; que « l’offre publicitaire » et « l’offre numérique ».
Je n’aurais pas été voir du côté des publications Lafont si le directeur de la communication de la présidence du Faso, El Hadj Ibrahiman Sakandé, n’avait attiré mon attention sur un papier consacré à « Blaise Compaoré. Le Sage de l’Afrique ». Photo pleine page du président du Faso (qui plus est la toute nouvelle photo officielle) + photos aux Nations unies, à Paris et à Doha lors de sa visite en février 2014 + article signé Victor Nabeul. Rien de scandaleux, d’ailleurs, dans tout cela. Mais de l’étonnement. Pourquoi donc Blaise, « le Président intègre », fait-il la « cover » de L’Evénement magazine aux côtés de Pape Diouf, candidat à la mairie de Marseille, de NKM, candidate à la mairie de Paris et de Barack Obama « dans la tourmente » ?
Pas facile de trouver en kiosque le numéro 2 de L’Evénement magazine. Le numéro 1 ne s’est pas vendu et du même coup, mon kiosquier, qui n’apprécie pas le bric-à-brac des publications du groupe Lafont, a déjà remisé son stock. Il faut dire que rien ne justifie l’achat de ce magazine qui n’est qu’un empilage de « papiers » et de « brèves de comptoir » qui peuvent faire illusion sur le net où l’on ne fait que passer, pas dans un mensuel. J’en reviens à ma question : que vient faire Blaise Compaoré, président du Faso, dans ce numéro ? Le « papier » qui lui est consacré est correct d’ailleurs. Il est même juste dans la présentation des médiations menées par le président du Faso. Bien sûr, il faut faire l’impasse sur les propos peu journalistiques du rédacteur au sujet d’un « chef d’Etat indispensable et garant pour la stabilité dans cette région agitée » qui « mériterait d’obtenir le Prix Nobel de la paix », etc. Qu’est-ce qui justifie le choix de ce sujet dans un magazine français, ni vraiment politique ni vraiment international, juste anecdotique, destiné à des Français ? L’auteur, Victor Nabeul (un nom qui ressemble à un blaze quand on sait que le patron du groupe est né en Tunisie), n’a manifestement pas mis les pieds à Ouagadougou. Dans son « papier », il cite « un diplomate du Quai d’Orsay » et « un haut responsable du Quai d’Orsay », sans les nommer. Mais nomme Richard Moncrieff, responsable Afrique de l’Ouest de The International Crisis Group ; rebaptisé Mancrieff, ce qui laisse penser que Nabeul a trouvé la source de son information dans l’article de Stéphanie Plane publié par Afrik.com le mardi 23 février 2010, Plane faisant la même erreur orthographique.
Faut-il chercher la raison d’être de ce « papier » dans le texte suivant : « Et la perspective des futures élections présidentielles de novembre 2015 où, théoriquement Blaise Compaoré ne pourrait pas se représenter en raison des textes constitutionnels du Burkina Faso, est une question qui interpelle plusieurs chancelleries occidentales. « Beaucoup de leaders européens, et aussi la Maison Blanche, verraient d’un bon œil que le président Compaoré puisse rempiler jusqu’en 2020. Non pas pour qu’il conserve à tout prix le pouvoir à titre personnel, mais afin qu’il puisse assurer une succession paisible et préparer son successeur de la meilleure façon qui soit. Et on retrouve aussi ce sentiment dans une grande partie de l’opinion burkinabè : Compaoré plutôt que le chaos ! poursuit ce professionnel de la diplomatie » (présenté comme un « diplomate du Quai d’Orsay »). Ces quelques lignes, à elles seules, expliquent la raison d’être de ce « papier ». Mais le publier en France dans un mensuel sans impact médiatique ressemble fort à un « message » publicitaire. Qui relève peut-être de la « com » mais me semble être une injure à ceux qui gouvernent le Burkina Faso, à sa classe politique mais aussi à sa population. Ils valent mieux que celui. Et qui est dupe de la finalité d’une telle opération ? Qui peut penser qu’elle aura un impact ? C’est toute l’ambiguïté que ne cesse d’entretenir la presse française vis-à-vis de l’Afrique : aucun respect pour les Africains que l’on entend tripatouiller à son aise*.
Entre la démarche soft de l’hebdomadaire Le Point et celle, plus hard, de L’Evénement Magazine, il n’y a que l’épaisseur d’une feuille de papier à cigarette. C’est la même approche du continent qui, jamais, ne prend en compte le point de vue africain. Et, surtout, ne pense pas un seul instant que l’Afrique a sa propre analyse de ce qu’est sa réalité politique, économique, sociale et culturelle. Quant à investir sur l’Afrique, il vaudrait mieux investir en Afrique et permettre aux journalistes locaux qui, généralement, savent de quoi ils parlent, d’aller plus vite plus loin. C’est ce qu’a fait le patron de presse marocain Abdelmounaïm Dilami en créant à Ouagadougou L’Economiste du Faso (cf. LDD Spécial Week-End 0621/Samedi 15-dimanche 16 mars 2014). Et c’est, selon moi, la seule vraie bonne solution à qui veut permettre l’émergence d’une information fiable sur les pays du continent africain.

* Le Burkina Faso, au contraire des pays d’Afrique centrale, n’est pas adepte des « messages » et « publi-rédactionnels »
dans la presse nationale française. Cependant, dans son édition datée du samedi 1er décembre 2012 Le Monde a publié une page produite par Sans frontière Média consacrée au « Burkina Fasso » (sic) qui vaut son pesant d’or. Mais il est vrai que, selon
ce « message » (auquel se sont prêtés le ministre de l’Administration territoriale, de la décentralisation et de la Sécurité, le président de l’Acerp, autorité de régulation, et la directrice générale de la LONAB), au Burkina Faso, de l’or on en trouve « sous les pierres ».

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