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Médias français. Aujourd’hui, l’Afrique « c’est chic » et « c’est clic » (2/3)

Publié le lundi 31 mars 2014 à 17h37min

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Médias français. Aujourd’hui, l’Afrique « c’est chic » et « c’est clic » (2/3)

Peut-on avoir une vision globale de l’Afrique et traiter de l’information sur ce continent comme on le ferait de l’Europe, des Amériques et de l’Asie ? C’est ce qui a été fait, jusqu’à présent, par une presse dite « panafricaine » qui, dans sa quasi totalité, n’était pas installée sur le continent mais à Paris et Londres essentiellement. Cela a duré quelques décennies.

Un certain nombre de titres « tirent encore leur épingle du jeu » ; mais les « cadavres » sont nombreux. Plus encore depuis la multiplication de la presse privée en Afrique, la réception des radios en FM (y compris les radios locales et régionales) et, surtout, l’émergence d’Internet. Quelques uns ont alors pensé que « l’Afrique, c’est clic ». C’était le titre du papier de Sabine Cessou (venue de la presse panafricaine, en l’occurrence Jeune Afrique Economie de Blaise-Pascal Talla puis L’Autre Afrique de Jean-Baptiste Placca) dans Libération (4 mars 2011), voici trois ans, annonçant la création de Slate Afrique, à Dakar, par Jean-Marie Colombani, ancien directeur du quotidien Le Monde, et un des fondateurs de Slate.fr le 10 février 2009. Colombani, né à Dakar, considérait alors que « l’Afrique est un continent qui bouge plus vite qu’on ne le croit et dont on n’a pas forcément la bonne image ». Un discours qui n’est pas sans rappeler celui de Frantz-Olivier Giesbert (FOG), qui vient de lancer le site www.lepointafrique.fr (cf. LDD France 0648/Vendredi 21 mars 2014). « Un large public est visé : africanistes, amoureux de l’Afrique, mais aussi la diaspora de France, du Canada et des Etats-Unis. Et, surtout, l’immense et nouvelle audience que représentent les Africains francophones » commentait Sabine Cessou en 2011. Mais Slate Afrique a (selon Fabienne Schmitt, Les Echos du 20 mars 2014) « rapidement rencontré des problèmes commerciaux ». « Il est très difficile de trouver des sujets fédérateurs. L’appétit d’information reste national. Le Maroc s’intéresse à ce qui se passe sur son territoire, pas en Afrique noire, par exemple. Et les structures publicitaires restent embryonnaires » explique (Les Echos, cf. supra) Eric Leser qui a initié le projet Slate.fr puis Slate Afrique avec Colombani, Jacques Attali, Eric Le Boucher et Johan Hufnagel.
« L’appétit d’information reste national » ! Le diagnostic est évident et on ne voit pas pourquoi il en serait autrement. Les tenants de la « francophonie » oublient que la langue n’est pas tout ; et, qu’au-delà, il y a la géographie, l’histoire et, surtout, la culture. L’Afrique que nous propose Giesbert est, au mieux, l’Afrique des capitales et, du même coup, des chefs d’Etat et des multinationales. Pas l’Afrique des Africains. Et il faut éviter de prendre ses rêves pour des réalités. « Cette fois-ci, ce sont les Africains eux-mêmes qui donnent des leçons à la planète. Un peu partout sur le continent, les petits génies du high-tech inventent les produits de demain, les nouvelles élites, souvent économiques, poussent dehors les politiciens traditionnels installés depuis trop longtemps » écrivent Romain Gubert et Claire Meynial dans le « Spécial Afrique » (Le Point – 20 mars 2014). Gubert n’est pas un imbécile ; il est rédacteur en chef « Monde ». Claire Meynial non plus ; même si cette hispanisante de formation, plus jeune dans la profession, s’intéresse à l’Afrique depuis peu. Ils doivent donc savoir combien d’ingénieurs africains le continent forme chaque année ! Sans doute – à diplôme comparable – pas beaucoup plus que la France (qui en forme 33.000 pour des besoins estimés à 40.000 par an).
Faut-il réduire l’Afrique, au nom de « l’image », à ses seules élites politiques, économiques et culturelles ? Faut-il, au nom du « positivisme », laisser penser que l’Afrique, considérée globalement (ce qui reste, pour moi, la pire des aberrations), est le nouvel eldorado de la planète mondialisée, « son nouveau moteur de croissance qui, le jour venu, pourra prendre le relais des autres » comme le pense Giesbert ? C’est flatteur. Surtout, flagorneur. Pour ne pas dire racoleur. Mais le mot qui compte, selon moi, c’est « trompeur ». Et on ne fonde rien sur la tromperie. Surtout pas le développement économique et social d’un pays. Giesbert peut bien penser que les Français traitent aujourd’hui l’Afrique comme ils traitaient autrefois les « dragons asiatiques » ; des « prévisions débiles » dit-il. O.K. ! Sauf bien sûr que le PIB de la Corée du Sud était, en 1960, inférieur à celui du Cameroun. Et qu’il y a des raisons géopolitiques qui expliquent la réussite économique de Hong Kong, de Singapour et de Taïwan. Aujourd’hui, il n’est pas un gouvernement africain qui n’ait un programme qui se résume en un seul mot : « émergence ». Mais quel Africain peut y croire quand il subit encore les délestages électriques ?
En 1992, Eric Fottorino, Erik Orsenna et Christophe Guillemin avaient publié, aux éditions Fayard, un livre qui a fait du bruit : « Besoin d’Afrique ». Guillemin était alors directeur de l’ONUDI en France. Et l’économiste de service face aux deux autres, déjà considérés comme des écrivains. Je pense à ce livre parce que Orsenna est une des « grandes signatures » du site lepointafrique et qu’il vient de publier « Mali, ô Mali » (éd. Stock) que, justement, Le Point « annonce ». Guillemin m’avait dit alors que leur objectif avait été de « donner une image terriblement vivante de l’Afrique, multipolaire, culturelle, économique, historique, artistique » afin de « montrer ce qui fait sa force ». Il me disait aussi qu’il fallait aimer l’Afrique car ce n’est pas la raison qui pouvait faire qu’on s’y intéresse. « Sans la raison, il ne reste que l’amour ». Il disait aussi que « l’Afrique représente une chance si on accepte et si on croit qu’elle est dépositaire d’un certain nombre de valeurs que l’on a perdu et si, effectivement, l’Afrique peut nous les redonner ». J’avais été sensible à ce discours d’un homme qui, économiste et fonctionnaire international, reconnaissait l’échec des politiques de développement prônées par les institutions internationales. « C’est un échec sans doute », m’avait-il dit, ajoutant aussitôt, « même très certainement ». « Nous sommes terriblement déçus de la façon dont les choses se passent, du faible résultat et du faible impact de ce que nous faisons ».
1992, cela fait un sacré bail. Mais je pensais déjà, et je l’avais dit à Guillemin, que l’on ne fera rien pour l’Afrique tant qu’on la pensera dans sa globalité. Il m’avait avoué qu’il fallait effectivement avoir le courage de dire qu’il n’y a pas d’espoir pour une partie du continent, mais que cela n’empêchait pas de l’aimer. Sans doute. Encore faut-il dire les choses telles qu’elles sont et éviter, au prétexte que nous « aimons » ce continent, de cultiver l’illusion qui est une vision « occidentale » de la réalité africaine. Il suffit de faire un tour dans les quartiers qui, à Dakar, se trouvent au pied du monument de la « Renaissance africaine » pour en prendre conscience. Je refuse l’afro-pessimisme mais je refuse tout autant l’afro-optimisme parce que tout va bien pour quelques uns en Afrique et que, justement, ce sont ceux qu’on croise à Paris, Bruxelles, Londres, New York, dans les pays du Golfe ou en Asie.
Giesbert dit qu’il « est devenu stupide de désespérer de l’Afrique : elle a pris la bonne direction sur le plan économique ». Tant mieux. Mais j’ai déjà entendu ce discours dans les années 1980-1990 quand les plans d’ajustement structurel étaient tendance et dans les années 1960-1970 quand quelques « miracles » ici et quelques « révolutions socialistes » là voulaient nous convaincre que tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes. Il serait peut-être temps que, nous autres, les « occidentaux », nous foutions la paix à l’Afrique et que nous la laissions être africaine. Après tout la bonne information sur l’Afrique on la trouve en Afrique auprès des Africains et nombre de pays ont fait, en la matière, les efforts nécessaires pour n’avoir pas besoin du savoir-faire « occidental » en matière d’image. Heureusement d’ailleurs car lorsque « l’Occident » se soucie de donner une image positive de l’Afrique tout cela tourne à la pantalonnade.

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