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Le pragmatisme comme conciliation des idéologies : Réflexion sur une synergie d’action pour l’alternance au Burkina Faso

Publié le jeudi 27 mars 2014 à 01h23min

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Le pragmatisme comme conciliation des idéologies :  Réflexion sur une synergie d’action pour l’alternance au Burkina Faso

Depuis quelques mois, l’opinion publique est témoin d’un certain regain d’intérêt du débat idéologique au Burkina Faso. On se souviendra en effet, du côté des syndicats, des déclarations de l’Union Générale des Etudiants Burkinabè (UGEB) à la clôture de son 26e congrès et de Tolé SAGNON le 29 juillet 2013 à la place de la nation lors d’une manifestation contre la vie chère : en somme, pour eux, il faut une alternance totale, alternative, qui ne consisterait pas seulement au remplacement d’un libéral par un néolibéral.

On retiendra aussi, du côté des politiques, la réponse de Zéphirin DIABRE de l’Union pour le Progrès et le Changement (UPC), face à la presse, confirmant n’avoir ni peur, ni honte de se réclamer comme défenseur du néolibéralisme.

Toujours, des politiques, on notera l’option idéologique en faveur de la social-démocratie du Mouvement du Peuple pour le Progrès (MPP), la tenue d’un forum libéral en marge du 15e congrès de l’Alliance pour la Démocratie et la Fédération-Rassemblement Démocratique Africain (ADF-RDA). De façon moins médiatisée, on a pu apprendre que l’Union Nationale pour la Démocratie et le Développement (UNDD) s’est déclarée social-démocrate.

Pour humblement m’incliner devant la grandeur et la noblesse du débat, j’ai entrepris dans un premier temps, d’examiner rapidement dans la littérature, les valeurs véhiculées par les principaux courants idéologiques dont on parle dans notre pays, puis dans un deuxième temps, au fur et à mesure que je me familiarisais avec les concepts, et découvrant ainsi l’existence de valeurs transversales, ma réflexion s’est posée sur la possibilité d’une synergie d’action des acteurs de différentes sensibilités en faveur d’une alternance effective au Burkina Faso en 2015. C’est le résultat de cette double démarche que je décide de partager ici avec le lecteur en deux parties.

Première partie : revue synthétique des valeurs fondamentales des courants idéologiques

Dans quelques mois, les Burkinabè seront appelés à faire un choix important, le choix de celui qui présidera aux destinées du pays pendant les cinq prochaines années. Ce sera, au-delà de la personnalité des candidats, un choix de programmes politiques, de projets de sociétés donc d’orientation idéologique. Dans ce contexte, il ne serait pas superflu, quoique cela semble fastidieux au vu de l’abondante littérature en la matière, de rappeler brièvement le contenu de quelques concepts idéologiques qui font déjà débat au sein de la classe politique et bien au-delà.

Etymologiquement, l’idéologie (du grec idea et logos) est le discours sur les idées. Le terme idéologie est apparu à la fin du 18e siècle pour désigner l’étude des idées, relativement à leur origine, leur caractère, leurs lois ainsi que leurs rapports avec les signes qui les expriment. Elle était alors considérée comme un système de pensées cohérent, indépendant des conditions historiques. Mais au 19e siècle, Marx propose de cesser de considérer l’idéologie comme un système neutre et définit l’idéologie comme un système d’opinions servant les intérêts de classes sociales.

Aujourd’hui, l’idéologie est communément acceptée comme un ensemble d’idées sur la structure de la société, sur les forces qui agissent dans la société, sur les sources de conflits qui y sont présentes, et aussi sur les modalités qui permettent de résoudre ces conflits, ensemble d’idées partagées par un groupe, communément appelé parti politique. Dérivée de l’idéologie, mais s’en distinguant parfois bien, la doctrine politique fournit un principe unique à l’explication du réel. Elle est constituée d’un ensemble cohérent d’idées imposées et parfois acceptées sans réflexion critique et sans discernement.

Ainsi donc, les notions de libéralisme, de néolibéralisme, de collectivisme, de communisme, de socialisme, d’écologisme, pour ne citer que celles-là, nous renvoient à des systèmes d’idées qui s’inspirent de valeurs pour proposer une orientation précise à l’action historique d’un groupe ou d’une collectivité. Résumons ces concepts à travers leurs valeurs fondamentales.

I- Le libéralisme

Le libéralisme est un ensemble de courants de philosophie politique prônant la primauté des principes de liberté et de responsabilité individuelle sur l’autorité du souverain (qu’il soit le peuple ou un monarque).

1- Les concepts de bases

Les valeurs fondamentales souvent utilisées pour définir le libéralisme sont :
-  L’égalité en droit ;
-  La liberté individuelle ;
-  La propriété privée ;
-  Le droit de résistance à l’oppression ;
-  La recherche du bonheur et la sûreté.

2- Libéralisme politique et libéralisme économique

Au plan politique, le libéralisme ne détermine pas qui doit détenir le pouvoir. Il se borne à définir le rôle de l’Etat qui se résume à la protection des libertés individuelles. C’est ce que résume bien Fréderic Bastiat : "N’attendre de l’Etat que deux choses : liberté, sécurité. Et bien voir que l’on ne saurait, au risque de les perdre toutes deux, en demander une troisième". L’Etat assure donc les fonctions dites régaliennes de police, de justice et de défense. Même s’il ne se prononce pas sur la forme institutionnelle de l’Etat, il préfère néanmoins la démocratie qui consacre la séparation des pouvoirs. Le libéralisme classique ne reconnait pas de droits particuliers aux majorités, même démocratiquement élues. Le rôle de l’Etat libéral n’est pas de faire régner la loi de la majorité, mais au contraire de protéger la liberté des individus et des minorités contre les plus forts et les plus nombreux.

Au plan économique, le libéralisme classique affirme que l’état n’a pas de légitimité à intervenir autrement que comme un acteur économique sans privilèges particuliers, et dans le plus petit nombre de domaines possible : la protection des citoyens, l’exécution de la justice et la défense contre les éventuels agresseurs. Pour les libéraux classiques, l’initiative privée, informée par le marché, est à même de suppléer avantageusement la plupart des fonctions de l’Etat, et par conséquent, une forte intervention de l’Etat conduirait à une croissance non maitrisée de la sphère publique au détriment du privé, à des inefficacités chroniques et à des dérives totalitaires.

Au plan social, la protection sociale repose en premier lieu sur une initiative personnelle et volontaire s’appuyant sur des structures de type mutuelle ou assurance et non sur une structure étatique comme la sécurité sociale jugée injuste et inefficiente.

3- La critique keynésienne du libéralisme

John Maynard Keynes (1883-1946) est sans conteste l’économiste le plus célèbre et le plus influent du 20e siècle. Sa critique de l’économie classique porte sur l’efficacité illusoire de l’autorégulation des marchés ("La main invisible" d’Adam Smith) et la nécessité de l’intervention publique comme bouée de sauvetage. Contrairement aux économistes classiques qui estimaient que le niveau de l’emploi était déterminé par l’équilibre de l’offre et de la demande sur le marché du travail, Keynes affirme qu’il découle de la demande effective et que rien ne garantit, en dehors de l’intervention publique, que cette demande soit suffisante pour assurer le plein emploi.

II- Le néolibéralisme ou ultralibéralisme

A l’origine, le terme néolibéralisme désigne, en matière économique, différentes écoles libérales du 20e siècle (école autrichienne et école de Chicago notamment). Il est aussi appelé courant néoclassique.

Depuis 1970, le néolibéralisme, ou encore ultralibéralisme est utilisé pour désigner à la fois une idéologie, des modes de gouvernements, des théories radicales du libéralisme.

Les détracteurs du néolibéralisme l’assimilent aux politiques :
-  De Margaret Thatcher (Royaume Uni) et de Ronald Reagan (Etats Unis) dans les années 1980 ;
-  Des instances internationales comme le FMI, la Banque Mondiale, l’OMC ;
-  De l’Union Européenne.
- 
1- Les concepts de base

Le néolibéralisme se caractérise par :
-  Une stricte limitation du rôle de l’Etat en matière économique, sociale et juridique ;
-  L’ouverture de nouveaux domaines d’activités à la loi du marché (loi de l’offre et de la demande, concurrence)
-  Une vision de l’individu en tant "qu’entrepreneur de lui-même" ou"capital humain") que celui-ci peut développer et faire fructifier s’il sait s’adapter ou innover.

2- Le consensus de Washington

Le consensus de Washington désigne un accord tacite du FMI et de la Banque Mondiale qui n’accordent des aides financières aux pays en développement qu’à la condition que ceux-ci réduisent l’intervention de l’Etat dans la politique de développement économique.

III- Le socialisme

Le nom socialisme désigne un ensemble très divers de courants de pensée et de mouvances politiques, dont le point commun est de proner une organisation sociale et économique allant dans le sens d’une plus grande justice, celle-ci supposant une égalité des conditions, ou du moins une réduction des inégalités.

Le mot socialisme est entré dans le langage courant à partir des années 1820, dans le contexte de la révolution industrielle et de l’urbanisation qui accompagne ce mouvement : il désignait alors un ensemble de revendications et d’idées visant à améliorer le sort des ouvriers par le remplacement du capitalisme par une société supposée plus juste. L’idée socialiste, sous de multiples formes, se développe au long du 19e siècle et donne naissance dans le monde entier à des partis politiques s’en réclamant sous diverses dénominations (socialiste, social-démocrate, travailliste,… etc.).

Dans la théorie politique marxiste, le socialisme est la période de transition entre l’abolition du capitalisme et l’avènement du communisme par la disparition de l’Etat. Pendant cette période, la "dictature du prolétariat" s’exerce par l’intermédiaire de l’Etat sur l’ensemble de la société.

Chez les non marxistes, le socialisme est la dénomination générale des doctrines des partis de gauche qui cherchent à rénover l’organisation de la société en vue de la justice sociale et de l’émancipation individuelle de chacun dans le respect de la dignité.

1- Les valeurs fondamentales

Les valeurs fondamentales du socialisme sont :
-  L’absence de classes sociales ;
-  L’égalité des chances ;
-  La justice sociale ;
-  La répartition équitable des ressources ;
-  La solidarité ;
-  L’intérêt général partagé et prévalant sur les intérêts particuliers.

2- Les variantes du socialisme

Elles sont nombreuses. Leur caractéristique commune est la recherche d’une plus grande justice sociale. Mais ces mouvements s’opposent sur plusieurs sujets fondamentaux comme le rôle de l’Etat, le parlementarisme, la démocratie directe….etc. On peut citer, sans être exhaustif :
-  Formes de socialisme de l’antiquité et du Moyen Age (Anabaptisme)
-  Socialisme moderne en réaction aux conséquences sociales néfastes de la révolution industrielle :

Le socialisme utopique dont le but est de rendre le monde heureux(Proudhon) ;

Le socialisme scientifique ou marxisme, théorisé par Karl Marx et Friedrich Engels, qui nécessite la lutte des classes et la suppression du capitalisme ;

Le communisme russe (ou bolchevisme) développé par Lénine, avec la suppression de la propriété privée ;

Le socialisme réformiste (par opposition à révolutionnaire) rejetant la violence et s’appuyant sur l’Etat pour réaliser la transformation sociale ;

Le socialisme autogestionnaire ou libertaire, partisan de la suppression immédiate de l’Etat et qui, au sein de la classe ouvrière, défend l’autogestion et le fédéralisme (voir anarchisme).

Le socialisme démocratique apparu après la Seconde Guerre mondiale, qui est issu du socialisme réformiste. Il preconise des réformes sociales pour améliorer la situation des salariés et de ne transférer à la collectivité (nationalisation) que les moyens de production les plus importants. On le retrouve dans les partis "socialistes", "travaillistes", "sociaux-démocrates".

IV- La social-démocratie

La social-démocratie désigne une tendance du socialisme. L’expression recouvre à la fois la dénomination employée par divers partis socialistes, la forme d’organisation de ceux-ci, un courant idéologique et une pratique politique.

Apparue dans le dernier tiers du 19e siècle, elle cherche, dans le cadre de la démocratie libérale et dans le respect du libre jeu du marché, à obtenir par des réformes et des changements, une organisation sociale plus juste.
1- Les valeurs fondamentales de la social-démocratie
Les valeurs fondamentales de la social-démocratie ont subi des variations au cours de leur histoire. De nos jours, les valeurs fondamentales qui définissent la social-démocratie sont :
-  La liberté ;
-  L’égalité et la justice
-  La solidarité

Le sens du mot social-démocratie a beaucoup évolué avec le temps et tend aujourd’hui à désigner la stratégie politique de partis se revendiquant du socialisme, mais convaincus que la suppression du capitalisme est impossible et qu’il convient de lui apporter des correctifs sociaux, dans un contexte d’économie mixte, ce que résume bien Lionel Jospin par"une façon de réguler la société et de mettre l’économie de marché au service des hommes"

2- La société social-démocrate

La société social-démocrate a pour ambition d’offrir aux individus la stabilité et la justice sociale des sociétés collectivistes sans pour autant perdre les avantages du capitalisme (créativité, productivité et ouverture économique). Elle s’est imposée à la plupart des pays d’Europe de l’ouest sous la pression démocratique.

Exemples de partis sociaux-démocrates : Parti Socialiste (France), Parti travailliste ou Labour Party (Grande Bretagne), Sozialdemokratisch Partei Deutschlands ou SPD (Allemagne).
Dans une société social-démocrate, la fonction principale de la classe politique est d’atténuer les injustices sociales du capitalisme en redistribuant les richesses.

V- Droite-gauche en politique

Les partis politiques sont souvent distingués selon leur appartenance à la gauche ou à la droite. Il est difficile de les définir sans entrer dans beaucoup de détails, mais un petit point sur leur signification est nécessaire à la compréhension de certains phénomènes politiques.

1- Origine

Cette distinction remonte à 1789 quand en France, les députés devaient décider d’octroyer ou non un mécanisme de véto royal sur la loi. Ceux qui étaient pour le véto, les aristocrates défenseurs de l’Ancien Régime, se sont placés à droite du Président de l’Assemblée, les autres à gauche. La droite devient ainsi l’emblème des conservateurs.

2- La gauche

La gauche rassemble au départ les progressistes, c’est-à-dire, ceux qui veulent changer les choses et qui sont pour une plus grande solidarité entre citoyens grâce à l’intervention de l’Etat. Ils estiment que la société est divisée en classes sociales inégales (bourgeoisie, prolétariat) et que la politique doit amener la société vers une plus grande justice et égalité.
Mais la gauche évolue et est très diverse aujourd’hui. Elle rassemble les socialistes, les communistes, les anarchistes, … etc. L’extrême gauche regroupe des mouvements révolutionnaires militant pour l’abolition du capitalisme.

3- La droite

La droite regroupe les conservateurs, ceux qui veulent laisser les choses en l’état, au niveau social et culturel, mais qui sont favorables à une économie libérale, c’est-à-dire une limitation de l’intervention de l’Etat afin de protéger les libertés individuelles. Pour eux, l’individu doit etre encouragé à prendre des initiatives individuelles et ne doit pas etre entravé dans ses actions par l’Etat.

La droite est également très diverse et rassemble les libéraux, les néolibéraux, les conservateurs, … etc.
L’extrême droite regroupe des mouvements réactionnaires traditionnalistes et autoritaires, généralement basés sur une idéologie raciste ou xénophobe.

4- L’axe gauche-droite au Burkina Faso

Avec plus d’une centaine de partis et formations politiques, l’axe gauche- droite est bien touffu en nuage de points avec une répartition inégale selon la position sur cet axe : les extrêmes sont pratiquement inexistants, en tout cas, pas très représentés à l’Assemblée Nationale, alors que les centres sont bien fournis. De la droite vers la gauche, au parlement, on trouve les libéraux et néolibéraux, les sociaux-démocrates, les socialistes, les sankaristes, sans que, assez souvent la lisibilité soit nette dans l’action politique.

Deuxième partie : De la synergie d’action pour l’alternance
Le contexte politique du Burkina Faso est caractérisé par une démocratie libérale importée ou imposée, pervertie dans son application et un foisonnement de partis politiques de sensibilités diversifiées et de poids électoraux également disparates.

I- La démocratie libérale

1- Définition

La démocratie libérale est une forme de gouvernement dans laquelle la démocratie représentative fonctionne selon les principes du libéralisme, à savoir la protection des droits des minorités et, en particulier l’individu. Elle est caractérisée par des élections entre plusieurs partis politiques de sensibilités distinctes, une séparation des pouvoirs, la primauté du droit et une égale protection des droits de l’homme, des droits civils et des libertés individuelles. En pratique, les démocraties libérales sont souvent basées sur une constitution, formellement écrite ou codifiée, afin de définir les pouvoirs du gouvernement et de consacrer le contrat social.

Une démocratie libérale peut prendre diverses formes constitutionnelles. Elle peut reposer sur une république (France, Allemagne, Etats Unis, Burkina Faso…etc.) ou une monarchie constitutionnelle (Japon, Espagne, Canada, Royaume Uni…etc.).

2- Les travers de la démocratie Burkinabè

Copiée à l’occident par les anciennes colonies, rejetée par la suite au profit de régimes d’exception ou de modèles d’expérience pro-collectiviste, puis finalement imposée à nos pays à la conférence de la Baule, la démocratie libérale peine à se mettre en œuvre en Afrique en général et au Burkina Faso en particulier.

En ce qui concerne le Burkina Faso, j’avais, dans une réflexion précédente, évoqué les travers de notre système démocratique dans un article publié sur Lefasonet le 26 décembre 2012 intitulé "Démocratie Burkinabè : éléments d’analyse d’un système perverti" auquel j’ai la faiblesse de renvoyer le lecteur. Ces maux de la pratique démocratique Burkinabè, se résument, en une Constitution amovible à volonté, en la mise en place d’institutions de parade pour tromper l’opinion internationale, une séparation théorique des pouvoirs mais avec en réalité un exécutif hypertrophié, une caisse de résonnance comme parlement, une justice corrompue réglée aux ordres de l’oligarchie régnante, et enfin régulièrement, des élections malpropres où les achats de conscience et la fraude déterminent plus le résultat des urnes que les programmes politiques. Et le système est rendu pérenne par une monopolisation de l’économie au profit d’un clan et une désorganisation sciemment orchestrée du système éducatif, comme pour rendre le peuple seulement capable de ne penser qu’à ses besoins vitaux, loin des affaires du pouvoir.

C’est dans ce contexte que, faisant fi de l’ultime sursaut de conscience et de l’immense mobilisation populaire pour le changement de la gouvernance, les tenants du pouvoir annoncent leur volonté de modifier la Constitution pour perpétuer l’ordre actuel.

Pour aboutir au changement démocratique dans notre pays en 2015, ma conviction est établie qu’aucun parti politique ne peut venir à bout du système en place fortement installé par les moyens évoqués ci-dessus, et que c’est par une démarche pragmatique, synergique, de l’ensemble des forces du changement que l’alternance sera une réalité. Qu’entends-je alors par démarche pragmatique ?

3- Le pragmatisme ou la nécessité d’un compromis historique pour les mutations vertueuses ultérieures

Parmi les partis ou formations politiques favorables au changement, on trouve des révolutionnaires, des socialistes, des sociaux-démocrates, des libéraux et des néolibéraux. Il vient tout de suite à l’esprit la question de savoir comment concilier toutes ces tendances idéologiques, autrement dit, comment aboutir à un projet de société (ce qui semble relever de l’impossible) ou à un programme de gouvernement (plus à portée de réflexion) dans lequel la plupart des sensibilités trouvent une raison d’aller, non pas de façon disparate, mais plutôt dans une synergie d’action, à l’assaut du système Compaoré ?

Plusieurs considérations m’amènent à penser qu’un tel compromis est maintenant possible dans notre pays.

D’abord je pense au modèle de gouvernance qui s’impose à nous, à savoir une démocratie libérale à forte connotation sociale. Au Burkina Faso, aujourd’hui, et compte tenu du contexte international, je serai surpris de rencontrer des gens qui pensent encore que "le pouvoir est au bout du fusil". Même les partis encore affichés révolutionnaires se soumettent au verdict des urnes. Je serai également étonné de trouver des politiques réalistes qui prônent des nationalisations tous azimuts, et je le serai autant de formations politiques qui se fixeraient comme objectif la suppression du capitalisme et de l’économie de marché. Je le dis, non pas parce que la conviction en la justesse des principes fait défaut, mais parce que l’environnement international leur en impose autrement.

A l’opposé, il serait absurde, tenant compte de la société Burkinabé actuelle, de ne pas réserver, dans un programme politique, une large place aux volets sociaux, au risque d’être contraint par la pression sociale à recourir à des mesures sociales extrabudgétaires comme c’est le cas en ce moment pour le régime en place.

Il apparait donc clairement que par imposition de la pensée unique occidentale, nous sommes obligés d’observer les standards libéraux, mais sous la pression des masses populaires, tout régime, sous peine de perdre le pouvoir par la rue, aura de forts relents sociaux. C’est donc un système hybride dans lequel, in fine, les idéologies n’ont que peu d’influence. Je me souviens d’ailleurs, avoir lu avec beaucoup d’intérêt, les statuts d’un parti politique de la place qui se dit au-dessus des idéologies et déclare n’avoir pas besoin de se réclamer d’un courant donné pour pouvoir identifier et appliquer les solutions idoines aux problèmes des Burkinabè.

Ensuite, la deuxième raison qui fonde mon espoir en un compromis historique est le contexte politique actuel caractérisé par une volonté affichée de monarchisation du pouvoir, ce qui n’est pas constitutionnel dans notre pays. Les forces du changement des différentes sensibilités sont unanimement opposées à cette transformation et cela va au delà des convictions idéologiques respectives. L’alternance est suffisamment importante pour la démocratie pour mobiliser toutes les énergies en vue de sa réalisation et de sa consécration.

Enfin, et de façon plus pratique, il n’est pas indispensable selon mon analyse, et peut-être même pas souhaitable, que l’action des forces du changement soit au départ unitaire : il sera certainement plus judicieux d’ouvrir trois ou quatre fronts au système Compaoré, en fonction des sensibilités politiques, en tout cas suffisamment pour disperser ses troupes et l’écarteler, s’étant au préalable entendu sur les modalités de regroupement ultérieur et de partage des rôles en cas de victoire. Dans ce sens le compromis que je prône, ne sera ni une compromission, ni un renoncement idéologique, mais un pragmatisme qui serait en réalité une convergence conjoncturelle salvatrice.

Cet exercice de réflexion auquel j’invite le lecteur, a été pour moi je l’avoue, surtout une opportunité d’apprentissage. Et il me plait de partager avec mes semblables (dans ce besoin d’apprentissage), peut-être nombreux, ces quelques notes de lecture qui me paraissent digne d’intérêt.

Dr SOMDA M. Joseph
reseaum@yahoo.fr

Quelques références pour approfondir

Mullins, Williard A. (1972) , The American Political Science Review, American Political Science Association

André Gorz, L’idéologie sociale de la bagnole, 1973

Karl Marx avec la collaboration de Friedrich Engels, L’idéologie allemande, 1846

Danic Parenteau et Ian Parenteau, Les idéologies politiques. Le clivage gauche-droite, Presses de l’Université du Québec, 2008, ISBN 978-2-7605-1585-7

Adam Smith, Recherche sur la nature et les causes de la richesse des nations, 1776

John Stuart Mill, Principes d’économie politique, 1848

Fréderic Bastiat, Ce qu’on voit et ce qu’on ne voit pas, Choix de sophismes et de pamphlets économiques (ISBN 2878940040)

Robert Leroux, Lire Bastiat : Science sociale et libéralisme, 2008

Jean Claude Michea, L’empire du moindre mal : Essai sur la civilisation libérale, Climats, 2007

John Rawls, Libéralisme politique, 1993, édition Puf quatrige 2001.

John Maynard Keynes, Théorie générale de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie, Paris, Bibliothèque scientifique Payot, 1990(1ère éd. 1936)

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