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Grandes manœuvres pour la participation des « Burkinabè de l’étranger » à la présidentielle 2015 (3/5)

Publié le samedi 22 mars 2014 à 03h34min

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Grandes manœuvres pour la participation des « Burkinabè de l’étranger » à la présidentielle 2015 (3/5)

Autre temps. Celui de la métamorphose de la capitale du Burkina Faso. Les « camarades » Modeste Rasolodera et Wango Pierre Sawadogo, tous deux architectes DPLG et associés au sein de l’Agence d’architecture, d’engineering et design (AAED) à Ouaga, avaient signé les plans et la réalisation des bâtiments du Conseil burkinabè des Chargeurs (CBC) et de la Caisse générale de péréquation (CGP), inaugurés respectivement le 15 octobre 1990 et le 5 novembre 1991.

Deux réalisations qui ont changé la physionomie de la capitale. Ils avaient aussi dans leur tiroir un ambitieux projet, finalisé en novembre 1989 : la Maison du Burkina Faso à Abidjan. Une tour de quinze étages sur une « galette » permettant d’accueillir des activités commerciales et culturelles. Sawadogo, dans la présentation de ce projet, avait fait dans le lyrisme. Il avait évoqué un bâtiment exprimant « la grandeur par le travail ». « En effet, écrivait-il alors, il est indéniable que la diaspora burkinabè en Côte d’Ivoire exprime quelque fois, en certaines circonstances, un sentiment sourd, plus ou moins clairement affiché, d’un besoin d’identification… Sinon à travers un véritable renouveau de son statut social, du moins une reconnaissance de ses droits de citoyen à part entière… ».

Les architectes peuvent être, aussi, des sociologues ! Un quart de siècle plus tard, la démarche reste d’actualité. Le ministre d’Etat, ministre des Affaires étrangères et de la Coopération régionale, Djibrill Y. Bassolé, lors de la cérémonie de présentation des vœux (jeudi 9 janvier 2014), a affirmé que la construction de la Maison du Burkina Faso à Abidjan* était « une des préoccupations du ministère en 2014 ». Ce bâtiment, a-t-il alors déclaré, doit « représenter dignement le Pays des hommes intègres en terre ivoirienne » et « refléter l’immensité des sacrifices que les Burkinabè ont consenti pour ce pays ».

C’est dire qu’il y a une constante dans la vie politique, économique et sociale du Burkina Faso : la juste perception de ce que représentent « les Burkinabè de l’étranger » dans l’évolution du pays. Une perception qui n’a pas toujours été exprimée clairement et à haute voix. Faute de moyens, d’abord ; la faute aussi à cette façon d’être des Burkinabè qui est, trop souvent, dans la retenue, ce que j’appelle leur « orgueilleuse humilité ». Une « orgueilleuse humilité » qui leur a permis, au cours des vingt cinq années passées, de changer fondamentalement la donne dans leur pays mais aussi de s’imposer sur la scène diplomatique africaine (et internationale) comme un acteur essentiel dans la résolution des crises qui ont frappé les pays voisins.

La Côte d’Ivoire et le Mali en sont les deux expressions les plus abouties, mais il ne faut pas oublier les actions menées en faveur du Niger, du Togo et des deux Guinées Bissau et Conakry. Des « médiations » qui n’ont jamais perdu de vue que l’essentiel, dans ces affaires, étaient la sécurité et le respect de la dignité des ressortissants burkinabè. Abidjan peut bien « rouler des mécaniques » aujourd’hui, mais la Côte d’Ivoire ne serait pas ce qu’elle est sans le travail (y compris le « travail forcé ») des Voltaïques et l’implication des Burkinabè dans la résolution de la « crise ivoiro-ivoirenne ».

Ceux des Burkinabè de Côte d’Ivoire qui ont été spoliés, dans leur chair ou dans leurs biens, au cours des exactions des années 2000, doivent d’ailleurs avoir le douloureux sentiment d’être les oubliés de la « réjouissance » (qui est plutôt, d’ailleurs, une re-jouissance) ivoirienne : Abidjan n’est guère empressé de les dédommager. Il est vrai que ce ne sont que des Burkinabè… !

La communauté des Burkinabè de Côte d’Ivoire est la plus importante communauté de « Burkinabè de l’étranger ». Sans que l’on sache combien elle compte de ressortissants ; plus encore de ressortissants qui se perçoivent encore comme Burkinabè, certaines familles étant implantées là depuis plusieurs générations. Leur « identification » ne sera pas une chose simple ; plus encore dans le contexte qui est, toujours, celui de la Côte d’Ivoire. 2015 y sera également une année électorale et on peut craindre, une fois encore, l’instrumentalisation du sentiment « identitaire », fonds de commerce électoral de Henri Konan Bédié et de Laurent Gbagbo.

La Côte d’Ivoire est, en vraie grandeur, le terrain d’expérimentation de la relation entre Ouaga et les « Burkinabè de l’étranger ». Même si la Côte d’Ivoire, compte tenu de sa relation historique et spécifique avec le Burkina Faso, ne peut pas être considérée comme la « vitrine » de la diaspora burkinabè. Pas plus d’ailleurs que ne l’est la France (compte tenu, là encore, d’une relation historique et spécifique). Globalement, les « Burkinabè de l’extérieur » sont considérés comme « un électorat imprévisible ». Ce qui expliquerait qu’il faille attendre 2015, soit cinquante-cinq ans après l’indépendance, pour que le droit de vote leur soit accordé.

On notera d’ailleurs que ce n’est que le 24 mai 2007 qu’a été créé le Conseil supérieur des Burkinabè de l’étranger (CSBE). Au lendemain de la signature de l’accord politique inter-ivoirien de Ouagadougou (4 mars 2007). Ce qui pourrait laisser penser que c’est, tout à la fois, une reconnaissance de la place de la diaspora burkinabè dans les pays d’accueil et une volonté d’encadrement (d’autres diront de contrôle) de ces diasporas, le président du CSBE étant le ministre des Affaires étrangères et de la Coopération régionale.

Quoi qu’il en soit, si 40 % des Burkinabè sont de « l’extérieur », c’est une masse électorale considérable dès lors qu’on leur accorde la possibilité de voter là où ils se trouvent. Il ne faut donc pas s’étonner qu’ils soient aujourd’hui l’objet d’une attention particulière tout à la fois du gouvernement comme de l’opposition. D’où les grandes manœuvres organisées par le Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP) dans la perspective de la présidentielle 2015. C’est Salifou Sawadogo, deuxième secrétaire adjoint à l’organisation chargé des structures du parti à l’étranger, qui a fait le déplacement aux Etats-Unis et en Europe. Avec un message : le CDP se porte bien et le Burkina Faso mieux encore. Ce qui, bien sûr, vu de loin, n’est pas évident pour ceux qui suivent sur le net les pérégrinations de ceux qui ont quitté le parti présidentiel après un long compagnonnage pour fonder le MPP.

Ce Mouvement du peuple pour le progrès multiplie, de son côté, la création de sections à l’étranger, surfant sur l’attrait de la nouveauté même si la troïka qui le dirige est un attelage de « chevaux de retour ». De ces rencontres, on retiendra cet étonnant propos, à Paris, de Jean-Baptiste Oualian, vieux routier de la politique burkinabè, secrétaire à la formation politique et civique du CDP France : « Ceux qui sont contre le référendum [pour ou contre la suppression de l’article 37 qui limite à deux le nombre de mandats présidentiels] agissent comme les esclavagistes dans l’histoire qui déniaient les droits aux Nègres ».

Ce qui ne saurait étonner de la part de Oualian, adepte d’un régime présidentiel qui ne soit pas dans « la logique des pays développés où la succession, l’alternance politique se fait parce qu’on arrondit les angles pour ne pas mécontenter telles couches sociales, nous ne sommes pas à ce stade […] Soyons sérieux ! Nous avons un pays où sociologiquement, culturellement, toutes ethnies confondues, quand on a un bon chef, on s’en fout qu’il le reste 15/20 ans. Nous sommes au stade où quand on a des chefs, des responsables, des dirigeants qui ont une visibilité internationale capable d’attirer les investissements directs étrangers (IDE) pour sortir le pays de l’arriération, vous vous accrochez le maximum possible »**

* Lors de la cérémonie des vœux de nouvel an de la diaspora burkinabè de Côte d’Ivoire, l’ambassadeur Justin Koutaba
a « annoncé solennellement devant la communauté que le 27 mars 2014, nous procéderons au lancement des travaux
de construction de la Maison du Burkina qui, j’en suis sûr, fera la fierté de notre communauté qui voit ses longs sacrifices aboutir à du concret. Ce sera un immeuble de quinze niveaux ».

** Entretien avec Joachim Vokouma, lefaso.net, jeudi 25 avril 2013

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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