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Grandes manœuvres pour la participation des « Burkinabè de l’étranger » à la présidentielle 2015 (1/5)

Publié le jeudi 20 mars 2014 à 00h37min

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Grandes manœuvres pour la participation des « Burkinabè de l’étranger »  à la présidentielle 2015 (1/5)

Ils sont, naturellement, l’objet de l’attention des autorités burkinabè. Plus encore à dix-huit mois de la prochaine échéance électorale. Une présidentielle pas comme les autres. Dans l’état constitutionnel actuel, le président sortant ne pourrait pas se représenter. Et c’est, déjà, un sujet de débat politique ; pas de crise, mais de débat politique (cf. LDD Burkina Faso 0407/Mercredi 5 mars 2014). Ils sont, nous dit-on, 10 millions de Burkinabè hors du territoire national ! Un chiffre estimé.

Pas loin de 40 % des Burkinabè sont ainsi des « Burkinabè de l’étranger » ! Ce qui, au total, fait beaucoup de monde surtout dans une Afrique plutôt sous-peuplée. Un héritage de l’histoire coloniale du pays. Au sein de l’Afrique occidentale française (AOF), la forte démographie de la colonie de Haute-Volta en a fait une « réserve de main d’œuvre » pour les territoires moins bien lotis en populations mais mieux lotis en ressources naturelles. Du même coup, les Voltaïques ont été contraints d’essaimer un peu partout au sein de l’AOF, qu’il s’agisse des plantations ivoiriennes ou des grands chantiers de l’Office du Niger.

Aujourd’hui encore les Burkinabè sont partout là où il y a du travail. En Afrique bien sûr ; mais aussi au Moyen-Orient. En Europe également ; mais pas nécessairement en France. Demain s’ouvre à Ouaga, dans le cadre du ministère des Affaires étrangères et de la Coopération régionale, la XIIIème Conférence des ambassadeurs et consuls généraux du Burkina Faso (10-12 mars 2014) puis, dans la foulée (13-15 mars 2014), la IVème Assemblée générale du Conseil supérieur des Burkinabè de l’étranger (CSBE). Ces deux manifestations seront placées sous le signe de la « diaspora ». Un terme que l’on n’emploie guère à Ouaga ; on préfère parler, à juste titre, des « Burkinabè de l’étranger ».

Si la Conférence des ambassadeurs est d’ordinaire un grand raout sympathique sans enjeu particulier, ce n’est pas le cas cette fois. Les diplomates, les consuls généraux plus encore que les ambassadeurs (mais même eux sont mobilisés sur le front), doivent prêter une oreille attentive à ce « sujet d’actualité qui est la participation des Burkinabè de l’étranger aux opérations électorales ». C’est ce qu’a affirmé Marc Somda, secrétaire général du MAE/CR, dans sa déclaration liminaire à la conférence de presse tenue le jeudi 6 mars 2014. « En tant que garant des intérêts des Burkinabè vivant à l’étranger, le ministère des Affaires étrangères et de la Coopération régionale, à travers ses services déconcentrés que sont les missions diplomatiques et consulaires, réfléchira au cours de cette XIIIème Conférence sur sa contribution à l’organisation du vote des Burkinabè de l’étranger ». C’est ainsi, a-t-il encore précisé, que 32 ambassadeurs et 9 consuls généraux « échangeront avec la CENI sur les voies et moyens à mettre en œuvre pour la réussite du vote de nos compatriotes à l’étranger ».

Les diplomates burkinabè passeront alors de la XIIIème Conférence à la IVème Assemblée générale du CSBE. Dont le thème est clair et net : « Place et rôle des Burkinabè de l’étranger dans le processus d’édification d’un Burkina Faso émergent ». Il s’agit « d’informer et de sensibiliser » les représentants présents (74 délégués annoncés) sur les grands projets en cours dans le pays « mais aussi et surtout sur le droit de vote qui leur est reconnu par la loi » (la loi du 14 avril 2009 a été adoptée avant l’élection présidentielle de 2010 mais n’avait pas été mise en œuvre à cette occasion compte tenu de délais trop courts).

Au cours des six derniers mois, réunions et conférences sur les « Burkinabè de l’étranger » se sont multipliées. Le lundi 28 octobre 2013, à Ouagadougou, le Premier ministre, Beyon Luc Adolphe Tiao, avait présidé la IIIème Conférence des consuls honoraires du Burkina Faso afin de leur rappeler qu’ils sont appelés à « jouer un rôle dans la mobilisation des ressources » (cf. LDD Burkina Faso 0391/Mardi 29 octobre 2013). Moins d’un mois plus tard, le jeudi 21 novembre 2013, Djibrill Y. Bassolé, le ministre d’Etat en charge des Affaires étrangères, avait tenu un point presse sur le débat provoqué par la mise en place des cartes consulaires biométriques, une opération lancée en Côte d’Ivoire mais critiquée par ceux qui en trouvaient le coût trop élevé (cf. LDD Burkina Faso 0396/Jeudi 21 novembre 2013).

Pour Somda, « il n’y a plus de tiraillement à notre connaissance et tout se passe bien sur le terrain ». Il a précisé que plus de 112.000 personnes avaient été recensées en Côte d’Ivoire, ajoutant que « depuis la mi-février, l’opération a pris de l’ampleur. Là où se trouvent la plupart des concitoyens, des dispositions sont prises, des kits ont été multipliés pour accélérer le système de délivrance de la carte consulaire ». C’est dire qu’on est encore très loin du compte mais le processus est enclenché et il reste du temps pour le mener à terme. La Côte d’Ivoire doit d’ailleurs représenter, à elle-seule, entre un tiers et la moitié des « Burkinabè de l’étranger », c’est dire que l’enjeu de l’opération menée dans ce pays est crucial. Ailleurs, à quelques exceptions près, ce sera plus simple. Les autorités burkinabè ont d’ailleurs conscience de l’ampleur de la tâche puisque une des contributions présentées lors de la Conférence des ambassadeurs est justement intitulée : « L’organisation des votes des Burkinabè vivant à l’étranger : enjeux et défis ».

Près de 40 % des Burkinabè vivraient ainsi à l’étranger (10 millions pour 16 millions de Burkinabè au Burkina). C’est loin, très loin, d’être négligeable*. D’autant plus que le sentiment national est fort. Bien sûr, tous ces « Burkinabè de l’étranger » ne cherchent pas à être « identifiés » ; et tous ne se préoccupent pas non plus de pouvoir exercer leur droit de vote. C’est justement cela l’enjeu ; on l’a vu lors de la récente élection des délégués au CSBE : les plus soucieux d’être inscrits sont les plus motivés politiquement. Les bonnes conditions de délivrance de la carte consulaire vont donc être scrutées par l’opposition ; puis l’organisation du vote lors de la prochaine présidentielle le sera tout autant ; enfin, le dépouillement sera lui aussi l’objet de toutes les suspicions.

Ambassadeurs et consuls généraux étant les « organisateurs » de cette opération, de la délivrance de la carte consulaire à la supervision du bon déroulement du vote, on imagine que les contestations ne manqueront pas dès lors que les résultats du scrutin seront serrés. Qu’en serait-il d’un vote des Burkinabè du Burkina Faso qui ne soit pas en adéquation avec celui des « Burkinabè de l’étranger » ? Les parcours politiques des ambassadeurs et, éventuellement, des consuls généraux ne vont-ils pas être épluchés pour savoir qui est fermement engagé d’un côté ou de l’autre ? La CENI aura-t-elle les moyens d’une politique de transparence non seulement sur le territoire national mais également là où des élections « délocalisées » seront organisées ? Ne peut-on pas penser que, sur ce terrain du vote des « Burkinabè de l’étranger », le pouvoir joue avec un avantage certain ?

Beaucoup de questions. Auxquelles on ne peut pas répondre pour l’instant. D’autant plus que d’autres se posent quant à la situation politique et constitutionnelle du Burkina Faso avant cette échéance de l’automne 2015. Et on ne sait rien, ou pas grand-chose, de l’état d’esprit des « Burkinabè de l’étranger ». Est-il cohérent de faire voter à la présidentielle 2015 les « Burkinabè de l’étranger » mais de ne pas leur permettre de participer au référendum constitutionnel qui pourrait décider de qui peut participer ou pas à cette consultation électorale ? Quoi qu’il en soit : une certitude : les « Burkinabè de l’étranger » vont être l’objet de l’attention des « politiques » dans les mois à venir. A eux de saisir la balle au bond. Ils ont là une formidable de faire avancer leurs revendications.

* Les « Burkinabè de l’étranger » étant principalement des personnes majeures, on peut penser qu’il y a plus d’électeurs parmi eux qu’au sein de la population des Burkinabè du Burkina Faso.

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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