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Affaire Norbert Zongo : règlement de comptes entre "amis sûrs" ?

Publié le vendredi 4 février 2005 à 07h23min

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La piste de l’assassinat de Norbert Zongo par le pouvoir a montré depuis longtemps beaucoup de limites. Certaines évidences sur les commanditaires, les exécutants et les mobiles du crime se sont révélées être de véritables cul-de sac. Il serait temps d’explorer d’autres hypothèses.

Par exemple celles d’une agression détournée contre le pouvoir ou d’un règlement de comptes entre "amis sûrs". Les circonstances de la tentative d’empoisonnement dont Norbert Zongo fut victime à Kaya poussent à considérer sérieusement cette dernière hypothèse.

En matière criminelle, les enquêteurs se méfient toujours des indices trop apparents, des coupables tout désignés et des aveux par trop spontanés. Ces évidences sont souvent une stratégie de dissimulation de preuves qui pourraient conduire à démasquer les vrais coupables. C’est pourquoi les circonstances dans lesquelles les faits ont été commis et la question communément posée "à qui profite le crime" sont déterminantes dans la conduite des enquêtes criminelles.

La commission d’enquête indépendante (CEI) a manqué de recul

Ce B A. BA dans les enquêtes criminelles n’avait vraisemblablement pas guidé la commission d’enquête indépendante qui s’était plutôt très rapidement engouffrée dans la clameur des évidences portées par les adversaires du régime dans la rue et la presse nationale et internationale. Le lien fut vite établi entre le drame de Sapouy et l’affaire David Ouédraogo.

Le coupable tout désigné fut le régiment de sécurité présidentielle (RSP). Pourtant un recul par rapport aux événements aurait permis aux enquêteurs, d’abord le MBDHP ensuite Reporters sans frontières (RSF) et enfin la CEI, de mieux disséquer le contexte national dans lequel le drame est survenu. Par exemple, Norbert Zongo écrivait presque hebdomadairement sur l’affaire David Ouédraogo depuis les mois de novembre - décembre 1997. En 15, voire 25 éditions et plus, il avait plus qu’épuisé le sujet en toute tranquillité. En effet, aucun exemplaire de l’Indépendant n’a jamais été saisi. Bien au contraire, des institutions comme la présidence du Faso s’était abonnée au journal. Norbert Zongo avait été élu par ses pairs, président de la Société des éditeurs de la presse privée (SEP).

A ce titre, il fut le premier porte-parole de la presse pour la cérémonie de présentation des vœux du nouvel an 1998 au président du Faso. Ceux qui étaient à la cérémonie se rappellent de l’ambiance bon enfant et du président du Faso s’adressant au président de la SEP à peu près en ces termes : "C’est toi Norbert Zongo ? On se connaît ?"

Bref, malgré ces écrits au vitriol Nobert Zongo n’était nullement inquiété par le pouvoir qui n’a pas (par exemple) fait entrave à ce qu’il acquiert une concession de chasse de grande importance qui lui procurait des revenus substantiels à même de soutenir financièrement son journal.

Les "mises en garde" par rapport à ses écrits dont on a entendu parler après le drame de Sapouy venaient de milieux divers pas forcément liés au pouvoir. Ces reproches émanaient aussi du milieu de la presse et l’on se souvient que certains confrères disaient en privé que Norbert Zongo ne faisait pas du journalisme.

Les conférences publiques de Nobert Zongo et les luttes de tendances des opposants dans l’ombre

On ne s’est jamais posé la question de savoir à quel titre Norbert Zongo donnait des conférences publiques à travers le pays, des fois sur invitation de la CGTB. N’est pas conférencier de la CGTB ou du MBDHP qui veut. Il faut pouvoir traiter le thème proposé dans le sens voulu. En clair, il faut montrer des accointances de pensée pour ne pas dire qu’il faut être un "camarade sûr". Il est donc possible qu’outre ses occupations officielles de journaliste, directeur de publication de l’Indépendant, Norbert Zongo ait eu des activités non officielles.

De fait, en 1997-1998 et même de nos jours encore, toutes les opinions politiques ne se sont pas formalisées en partis légalement reconnus. Norbert Zongo a-t-il eu à fréquenter certains cercles ou groupes de réflexion et de militantisme politique clandestins ? Si oui quels étaient leurs projets en 1998 devant la faillite de l’opposition légales qui avait annoncé un énième boycott de scrutin, la présidentielle en l’occurrence.

La clandestinité n’est pas synonyme d’homogénéité pour ces activistes de l’ombre. Des luttes de tendances sont possibles entre eux à l’image de ce que vivent d’autres partis non reconnus dans d’autres pays et sur d’autres continents. Ces contradictions ne sont pas toujours résolues par la négociation et de paisibles discussions. Alors dans quelle mesure Norbert Zongo avec son journal devenu populaire par ses écrits ne dérangeait pas ses amis politiques de l’ombre. Etaient-ils toujours d’accord avec ses écrits ?

N’avait-il pas de plus en plus de l’ascendance sur les militants et sympathisants de l’opposition de l’ombre à cause de son courage journalistique ? De fait, après tout, son journal, ses écrits n’étaient-ils pas une forme d’action qui participe à leur lutte politique au contraire de la stérilité d’initiatives des cercles clandestins de bavardages ; une lutte pour le contrôle du "mouvement" a donc pu conduire à la tentative d’empoisonnement de Kaya pour faire d’une pierre deux coups :

premièrement : éliminer un concurrent gênant, deuxièmement : éclabousser le pouvoir de la IVe République et porter atteinte à la bonne image du pays. La question "à qui profite le crime" trouve ici toute sa pertinence, voire une réponse possible. C’est pourquoi on continue de se demander pourquoi la CEI n’avait pas pris au sérieux l’hypothèse d’une agression contre le régime par le détour du drame de Sapouy.

Pourquoi n’avait-elle pas fait une liaison entre les évènements de Kaya et ceux de Sapouy d’autant que des faits troublants relevés par la presse et ensuite par des experts sur les lieux du drame de Sapouy devraient leur avoir mis la puce à l’oreille. On se demande également pourquoi les récentes enquêtes journalistiques n’ont pas tenu compte des constats fait en décembre 1998 sur les lieux du crime par d’autres confrères ?

Baiser de Judas en pleine savane ?

Au lendemain du drame de Sapouy toute la presse nationale notamment Sidwaya avait décrit le lieu du drame comme un endroit isolé, entouré de fourrés avec néanmoins une portion de piste très carrossable comparée à d’autres endroits. Aucun obstacle donc sur la route qui aurait pu forcer le véhicule des suppliciés à s’arrêter.

On n’aura pas relevé non plus des traces marquées de freinage brusque, de lutte ou de tentative de fuite des occupants du véhicule. Au contraire, la position du véhicule carbonisé de Norbert Zongo semblait indiquer que le conducteur s’est volontairement arrêté sur le bas-côté gauche. A moins de vouloir éviter un obstacle - qui n’existait pas sur le côté droit, selon les experts, le code de la route l’obligeait à s’arrêter sur sa droite. Il y a donc une raison qui l’a obligé à arrêter le véhicule comme il l’a fait.

La plus plausible c’est la présence à cet endroit, d’une personne bien connue par Norbert Zongo. Celle-ci pourrait avoir fait un signe quelconque visant à se faire reconnaître par les occupants du véhicule. En stationnant sur le côté gauche, le conducteur offrait donc la possibilité à cette personne de pouvoir s’adresser à Norbert Zongo assis à sa droite. Cette hypothèse n’est pas à exclure si l’on retient que les évènements de Sapouy sont une suite logique de ceux de Kaya où on était entre "amis sûrs".

D’autres "amis sûrs" se sont-ils retrouvés là à 7 km de Sapouy amenant Norbert, prudent et méfiant à s’arrêter tranquillement pour se livrer à ses bourreaux ? En somme, un baiser de Judas en pleine savane. Tant que ces crimes ne seront pas élucidés toutes les pistes doivent rester d’actualité et comme nous l’avions déjà écrit en 1999, après l’émotion et la passion qui ont entouré ces meurtres, il faut aujourd’hui la raison pour que la justice démêle l’écheveau dans la sérénité.

Djibril TOURE
L’Hebdo

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