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Après les dossiers noirs du barreau : les toges sales des magistrats

Publié le mercredi 2 février 2005 à 08h26min

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Que de déballages, de « révélations », de propos fracassants, voire haineux ou proprement ridicules et, à tout le moins, diffamatoires dans les écrits des protagonistes du milieu judiciaire, notamment de la magistrature dans une guerre fratricide et outrageuse par médias interposés ! Le casus belli : la corruption, dont on accable l’institution de façon récurrente et qui est revenue en force ces derniers temps.

En effet, la corruption est sur toutes les lèvres des acteurs du 3e pouvoir à telle enseigne que des camps ont émergé, chaque partie accusant l’autre de soutenir ou de protéger des juges corrompus, ou de vouloir s’adjuger la palme de la probité dans ce méli-mélo au ton vindicatif.

Avec les écrits fielleux de nos magistrats, on se convainc davantage que le milieu était plus que délétère depuis longtemps et que les hommes et les femmes en toge se regardaient en chien de faïence, se méprisaient et se préparaient sérieusement à la manière du boxeur américain Casus Clay dit Mohamed Ali, ou burkinabè Dramane Nabaloum dit « Boum-Boum », à un round à l’issue incertaine.

Morceaux choisis : « ces judas qui tentent de liquider le système judiciaire » ; « Cette dame est loin d’être un exemple dans la magistrature » ; « une compilation d’aigris concentrés » ; « ... dans ce groupe de magistrats dits intègres, on retrouve des convertisseurs automatiques de monnaies étrangères. Ils ne tardent pas à octroyer des provisions d’environ quatre cents millions de francs CFA à des liquidateurs ... » ; nous en oublions, et des pires.

A l’origine de cette guéguerre, de récents écrits, parus dans les journaux L’Evènement (n° 58 du 25 décembre et 59 du 10 janvier 2005) et L’Indépendant (n° 593 du 18 janvier 2005), citant ou parlant des cas de corruption dans la justice en déclinant parfois ouvertement l’identité de certaines personnes. Puis le Syndicat burkinabè des magistrats (SBM) est entré dans la danse pour apporter, dans les quotidiens de la place dont le nôtre, de l’eau au moulin des publications citées plus haut.

Il sera suivi du Syndicat du Syndicat national des agents de la justice (qui regroupe le personnel non magistrat). Le SYNAJ s’attellera à prendre le contre-pied du SBM, en défendant le ministre de la Justice, Boureima Badini, qui serait en partie responsable de la pourriture ambiante qu’exhale le palais de justice. Sans oublier Latin Poda, qui, au nom d’un « groupe de magistrats indignés » par les agissements du SBM, mettra, par deux fois, les pieds dans le plat.

Le « gnaga », on le voit, était plus serré entre les parangons de vertu autoproclamés et les suspectés de corruption, les seconds voulant montrer, dussent-ils descendre dans la boue, que les premiers ne sont pas si propres qu’ils veulent le faire croire.

A vertueux, vertueux et demi donc. Il n’est pas jusqu’au garde des Sceaux en personne qui ne soit entré dans le débat pour, à la faveur de la traditionnelle présentation de vœux, siffler la fin de la récréation et demander aux uns et aux autres un peu d’eau dans leur vin.

D’abord il n’est pas sûr qu’il soit entendu ; ensuite le mal est déjà fait et le castagne va sans aucun doute laisser des traces. Car la furia et la haine que charrient certains propos font penser à des règlements de comptes personnels sur fond de luttes politiques.

Et c’est bien triste, avec comme prétexte la traque de la corruption. Qu’il y ait la corruption dans la justice, personne n’en doute, ni les procureurs du moment ni les avocats (du Diable ?) autoconstitués, mais on peut raisonnablement se demander si laver les toges et les épitoges sales en public est la meilleure des procédures.

Il faut certes en parler, mais quand on assiste au spectacle actuel où des magistrats traînent d’autres magistrats dans la boue, c’est proprement dégueulasse et ça contribue à ternir davantage l’image d’une institution qui n’était déjà pas reluisante, loin s’en faut.

Cette tragi-comédie qui se joue présentement dans les colonnes des journaux n’est d’ailleurs pas sans rappeler la tempête qui avait sérieusement secoué le Barreau burkinabè dans les années 1990 et que nous avions appelée à l’époque les « dossiers noirs du barreau ».

En effet, suite à la radiation du Tableau de l’Ordre le 10 décembre 1993 de maîtres Karim Ouattara, Anicet Pascal Somé et Idrissa Moné, alors accusés d’avoir spolié la veuve et l’orphelin, on avait assisté à une véritable et longue bataille judiciaire, qui avait abouti le 15 janvier 1994 au verdict suivant de la Cour d’appel de Ouaga : un blâme pour Me Idrissa Moné ; 3 mois de suspension pour Me Karim Ouattara et 12 mois de suspension à l’endroit de Me Pascal Anicet Somé.

Ces derniers, à l’époque tous membres du Syndicat des avocats burkinabè (SAB), avaient brandi la thèse du règlement de comptes au motif que le bâtonnier, Joseph Benoît Sawadogo, n’avait pas digéré la création du SAB.

On se rappelle que cette affaire, qui avait longtemps défrayé la chronique, avait fini par emporter le ministre de la Justice d’antan, Timothée Somé, aujourd’hui décédé. Boureima Badini est donc prévenu et c’est à lui de lutter fermement contre la fameuse corruption tant décriée, tout en bâtissant une justice réellement indépendante.

L’on nous rétorquera, comme à l’accoutumé, que dans toutes les justices du monde, existe le phénomène de la corruption, mais à trop vouloir les comparaisons ou partir toujours sur de mauvais exemples, on finit par ne plus savoir ce qu’on veut, ni où on veut partir.

Car en vérité, si plus que chez les douaniers, les policiers, les agents domaniaux ou même chez les journalistes le phénomène de la corruption est vécu avec un tel déchirement dramatique, c’est sans doute parce qu’il s’agit d’un des piliers les plus importants de la démocratie et de l’Etat de droit.

Quand le flic ripou, le pisse-copie gombiste ou le « douanebi » sont convaincus de corruption, c’est devant le magistrat qu’on les amène. Mais quand ce dernier, lui aussi, est corrompu, on ne sait plus à quel saint se vouer. Tout le problème est là.

C’est pourquoi plus qu’ailleurs, il faut préserver le judiciaire des odeurs fétides de la pourriture morale, sans pour autant tomber dans la chasse aux sorcières politico-idéologiques, car c’est bien connu, quand la politique entre au prétoire, la justice en sort.

Au fait et si ceux qui en savent quelque chose nous donnaient la liste exhaustive de tous les magistrats burkinabè avec en face de leurs noms les mentions intègres ou corrompus selon les cas. Cela aiderait tout le monde à voir beaucoup plus clair dans cette ténébreuse affaire...

Cyr Payim Ouédraogo
L’Observateur

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