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Aide au développement : Fin du blanchiment, début de la transparence ?

Publié le mercredi 12 février 2014 à 19h57min

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C’était un sketch de Coluche voici quelques décennies. Fustigeant une marque de lessive qui promettait de laver « plus blanc que blanc », il s’était posé la question de savoir ce que pouvait être ce « plus blanc que blanc » et était arrivé à la conclusion que c’était « transparent ». C’est en quelque sorte l’objectif que Pascal Canfin, ministre délégué au développement, s’est fixé : une aide au développement « transparente » pour mettre fin aux manœuvres qui permettent de rendre l’argent de l’aide « plus blanc que blanc ». Vaste programme.

La preuve en est que depuis plus d’un demi-siècle d’aide au développement jamais l’Assemblée nationale française n’avait été invitée à débattre des finalités de notre politique de développement. C’est que, en la matière, la confusion des genres a toujours la règle. Les bénéficiaires de l’aide n’ont pas toujours été ceux que l’on croyait. Et la Vème République – qui a inventé l’aide au développement – a été prolixe en scandales de tous genres quant aux détournements de l’aide, sous des formes multiples et toujours innovantes. Pas que de la corruption ; bien souvent du clientélisme ; et plus encore des « petits arrangements entre amis ». Qui ont profité aux hommes politiques mais aussi aux hommes d’affaires, aux hommes de médias et à bien des « gourous » d’Afrique et d’ailleurs et autres « associatifs ». Sans compter les ONG et les « écrivains » qui ont « fait leur beurre » en s’érigeant en donneurs de leçons.

Canfin nous promet, depuis qu’il a été nommé au gouvernement, que tout cela va changer. Et, compte tenu de son parcours*, pas question d’avoir des doutes sur sa volonté. Il l’a dit ce matin (lundi 10 février 2014) : « Pour la première fois, une politique gérée jusqu’à présent de façon discrétionnaire par l’exécutif passe sous le contrôle du Parlement. Cette avancée démocratique, basée sur la transparence, va permettre de tourner la page des pratiques anciennes ». Bien évidemment, il peut sembler illusoire de vouloir moraliser un système capitalisto-impérialiste dont le fondement est, justement, l’amoralité, mais on ne peut que se réjouir de voir un jeune ministre (il aura quarante ans le 22 août 2014) avoir d’autres ambitions que de faire carrière au prix de compromis et de compromissions.

Canfin fait donc son « petit bonhomme de chemin », « sans tambours ni trompettes », mais avec détermination. C’est à partir d’aujourd’hui qu’il va défendre devant les députés la première loi sur le développement. Il s’agit de « fermer définitivement une page d’histoire » (qui est, dans l’esprit de Canfin, celle de la « Françafrique ») sur la base d’un « changement de doctrine » : la « transparence » plutôt que « l’opacité ». Une aide recentrée sur l’Afrique (qui bénéficiera de 85 % de l’effort financier de l’Etat), le Parlement devant se prononcer « sur la liste des pays prioritaires, sur l’affectation de la part de dons qui va l’Afrique subsaharienne, sur la doctrine vis-à-vis des grands pays émergents, etc. » Trente « indicateurs de suivi » seront par ailleurs mis en place « pour évaluer les résultats, l’impact de notre politique de développement en matière de santé, d’éducation, de lutte contre la malnutrition… ».

Canfin souhaite aussi que la participation des communautés à la conception des projets soit renforcée. « Nous avons trop longtemps décrété des priorités sans tenir compte des populations. Cela aussi, c’est un changement profond ». Mais, au-delà de la doctrine sans surprise (présentée dans LDD France 0632/Jeudi 12 décembre 2013), la grande innovation est l’instauration d’un système de contrôle citoyen de l’aide française.

Cette initiative vise, d’abord, le Mali. Objectif : « Que chaque citoyen malien et chaque citoyen des pays donateurs, puisse voir sur une seule plateforme, sur un seul site internet, l’ensemble de l’aide que les bailleurs internationaux apportent au Mali. Chaque Malien, chaque Français, peut aller sur ce site qui est rattaché à celui de l’ambassade de France au Mali [transparence.ambafrance-ml.org]. Il voit le détail de la cinquantaine de projets que la France conduit aujourd’hui au Mali, avec le budget, l’exécution, l’objectif, la finalité, les partenaires, etc. ». « Dans le passé, explique Canfin, l’aide internationale n’a pas été utilisée aussi bien qu’elle aurait dû l’être. Ce n’est un secret pour personne. Nous avons, nous, rempli nos objectifs, à savoir la mobilisation de la Communauté internationale. Et moi, en tant que ministre du Développement, je suis, mois après mois, le déploiement de ces engagements. Mais encore faut-il évidemment que ces engagements soient suivis d’effets très concrètement sur le terrain. C’est tout l’enjeu de la transparence »**.

Canfin fixe les limites : il fait son job, reste aux bénéficiaires de l’aide de faire le leur. Pas évident. Canfin prend comme exemple de « bonne utilisation de l’aide » des projets basiques : « Lorsque nous disons que nous finançons tel projet en matière d’accès à l’eau, de santé ou d’éducation dans tel village ou dans tel quartier d’une grande ville malienne, et bien ceux qui habitent là, les élus locaux, les ONG, les responsables de la société civile peuvent suivre l’avancée de ce projet ». O.K., mais ça c’est un boulot d’ONG.

Quand Canfin explique, par ailleurs, « qu’au niveau international, sur les 3,2 milliards d’euros d’engagements pris en mai dernier, plus d’un milliard est déjà engagé concrètement dans des projets de développement », on peut se poser la question de l’utilisation de ce milliard. La transparence, dans ce domaine, ne sera jamais assumée ; notamment pour le bien fondé des dépenses engagées. Le laxisme qui règne au sein des organisations affiliées aux Nations unies fait douter que les Etats aidés feront mieux que les organismes donateurs. Le doute se situe aussi au niveau du Parlement français.

Canfin érige en principe fondateur que c’est le législatif et non seulement l’exécutif qui doit gérer la politique de développement. Assemblée nationale et Sénat sont-ils des modèles de transparence ? Il faudrait être un imbécile pour le croire. Plus encore dans les relations internationales qu’ils sont sensés développer via les « groupes d’amitié » qui sont, trop souvent, les « Club Med » ou la « Caisse d’épargne » des députés et des vecteurs de lobbying pour les régimes en place.

Mais ne boudons pas notre plaisir. Je préfère les illusions de Canfin au réalisme de ses prédécesseurs. Notre ministre du Développement est en rupture avec tous ceux qui ont assuré le job depuis plus d’un demi-siècle. A tel point d’ailleurs qu’il semble bien plus proche de Bercy que du Quai d’Orsay. Alors que, jusqu’à présent, à quelques rares exceptions près, les ministres en charge préféraient la coopération (autrement dit la relation personnelle avec la classe politique africaine) au développement, Canfin, lui, n’est que ministre délégué au… Développement. Et pour lui, pas de doute, le développement doit être « durable ». C’est dit-il, la finalité de sa politique : un développement durable « dans ses trois composantes économique, sociale et environnementale ». Espérons simplement que ça dure… !

* Né à Arras (Pas-de-Calais), le 22 août 1974, diplômé de l’Institut d’études politiques (IEP)-Bordeaux et de l’université
de Newcastle, Pascal Canfin a débuté au sein de la centrale syndicale CFDT du Nord/Pas-de-Calais (1997-1999) avant d’être consultant en ressources humaines (1999-2003) puis journaliste au mensuel Alternatives économiques (2003-2009). Parallèlement, il va s’engager auprès des « Verts » dont il sera le responsable de la commission économique et sociale à compter de 2005. En juin 2009, il sera élu au Parlement européen sur la liste Europe Ecologie en Ile-de-France derrière Daniel Cohn-Bendit et Eva Joly. Spécialiste d’économie sociale et solidaire, auteur de plusieurs ouvrages sur le sujet, il va s’intéresser
à « la lutte contre les paradis fiscaux, le contrôle des marchés financiers, l’introduction de clauses sociales et environnementales pour accéder au marché européen, la lutte contre le changement climatique, la promotion d’une économie verte pour sortir de
la crise ». Il est enfin le fondateur de l’ONG Finance Watch qui vise à « développer une contre-expertise sur les activités menées sur les marchés financiers par les principaux opérateurs ». Lors de la campagne pour la présidentielle 2012, il a été le conseiller économique de la candidate « écologiste » Eva Joly.
Sur la nomination de Pascal Canfin au gouvernement, cf. LDD France 0599/jeudi 17 mai 2012.

** Les déclarations de Canfin sur ce projet de transparence sont tirées de l’entretien avec Amélie Tulet, RFI, 8 février 2014.

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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