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La diffamation du juge : le procès paradoxal

Publié le mardi 28 janvier 2014 à 01h03min

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La diffamation du juge : le procès paradoxal

Le délit de diffamation fait partie de la gamme des infractions instituées pour garantir le respect de l’honneur et de la réputation des personnes. Mais lorsque la victime de la diffamation est juge et l’auteur journaliste, la réalisation processuelle de cette infraction met au grand jour le paradoxe d’un procès où « qui perd gagne ». L’analyse du procès en diffamation du juge contre le journaliste révèle à la fois des paradoxes (I) et des champs à investir (II).

I. Le procès paradoxal

1. Un jeu du « qui perd gagne »

A l’audience de diffamation, deux thèses s’affrontent : celle de la victime de diffamation contre celle de l’auteur de l’allégation diffamatoire. Par le jeu de « l’exception de vérité », si l’allégation est vraie, la diffamation tombe ; si elle est fausse, la diffamation est constituée.

Contrairement à la procédure pénale ordinaire, dans le procès en diffamation, l’administration de la preuve est aux mains des parties. Le journaliste se retrouve bien souvent mal armé puisqu’il ne peut faire la preuve de ses allégations sans divulguer le secret de ses sources. Et le tribunal ne lui est d’aucun secours, même si les faits allégués sont par ailleurs constitutifs d’infraction. Au reste, lorsque le tribunal décide que la diffamation est constituée, il n’en conclut pas pour autant que la personne diffamée est lavée de tout soupçon. Aussi le procès laisse-t-il un arrière-goût d’inachevé.
Enfin, la modicité des réclamations indemnitaires semble ajouter à la noblesse de la cause : en se contentant d’un « franc symbolique », la personne diffamée met ainsi en avant son seul désir de sauver son honneur.

2. Quand le cordonnier est mal chaussé

L’action en diffamation portée par le juge fait descendre celui-ci du prétoire. Or, habitué à revêtir la peau du tiers-arbitre et non de partie au conflit, tout juge rechigne à se prêter à l’exercice de la barre. C’est la raison pour laquelle, lorsqu’ils sont injustement pris à partie, certains juges préfèrent renoncer au procès.

Qui plus est, le tribunal n’est pas à l’abri de la « suspicion légitime ». Un verdict de condamnation en faveur du juge sera regardé comme dicté par un repli corporatiste. Il est donc requis du tribunal une grande dextérité dans la tenue de l’audience, notamment dans la distribution de la parole aux plaideurs.

II. Enjamber les paradoxes au profit de solutions durables

1. Mettre en place un mécanisme d’enquête interne

« Votre honneur ! » Ainsi s’adresse-t-on au juge. Lorsque l‘honneur du juge est en jeu, le journaliste doit se montrer sourcilleux dans le maniement de l’information, car la protection de l’honneur du juge est une condition de son indépendance. Mais cette question est trop importante pour être livrée à la seule foi du procès en diffamation. Elle appelle la mise en place d’un mécanisme d’enquête interne permettant de punir ou de blanchir les mis en cause.

Une interrogation demeure : comment défendre l’honneur du juge quand la Justice elle-même n’a pas bonne presse ? Le vrai combat est donc ailleurs : il faut mobiliser les armes de la bravoure judiciaire, non pas pour la défense des seuls honneurs individuels, mais pour l’avènement d’une Justice indépendante, performante et crédible, bien exercée à vaincre la corruption en son sein et en dehors.

2. Redéfinir le statut pénal du journaliste

En tant que défenseur des droits de l’Homme, le journaliste d’investigation mérite une protection spécifique, notamment lorsqu’il enquête sur des infractions pénales, y compris sur des cas de corruption dans le milieu judiciaire.

La première mesure de protection venant de l’Etat devra consister en la dépénalisation des délits de presse. Consolons de leurs peurs tous ceux qui n’y voient qu’une prime à la délation. En vérité, après la dépénalisation, on se rendra vite compte que « la guerre de Troie n’aura pas lieu ».

Le droit pénal n’offre que peu de perspectives pour asseoir une gouvernance des médias, qui exige plutôt des actions structurantes et durables. Sont bienvenues toutes les initiatives visant la viabilisation des entreprises de presse, la valorisation du statut du journaliste professionnel, la formation des journalistes au « traitement » des affaires judiciaires et le renforcement de la juridiction des pairs comme alternative au procès pénal.

Que le juge soit indépendant, et que le journaliste soit libre !

Il n’y a pas de Justice indépendante sans une presse libre, et pas de presse libre sans une Justice indépendante. D’où la nécessité d’imaginer des solutions qui préservent l’honneur du juge sans faire planer la menace sur la plume du journaliste. Le Burkina Faso a une précieuse ceinture à défendre, celle de 5e pays africain le plus respectueux de la liberté de presse selon le classement 2013 de Reporters Sans Frontières.

Arnaud OUEDRAOGO
Magistrat spécialiste des droits de l’Homme
Auteur du Manuel juridique de la vie quotidienne
Membre fondateur du Centre pour l’Ethique Judiciaire

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Vos commentaires

  • Le 28 janvier 2014 à 02:57, par MAKEUP En réponse à : La diffamation du juge : le procès paradoxal

    Deux ridicules personnalités ! Et un Procès comique, quand les deux parties s’égalent en matière de complexe ou d’orgueil ! Et pourtant l’une n’est jamais objective ; et l’autre toujours hypocrite. Amitié déjà impossible ; et jugement toujours biaisé ! <
    Alors,multipliez les diffamations et les condamnations de tous bords. Pour nous permettre de bien vous lire les répertoires !

  • Le 28 janvier 2014 à 10:39, par Un ex journaliste de L’Indépendant En réponse à : La diffamation du juge : le procès paradoxal

    Grand merci monsieur Ouédraogo ! C’est une contribution énorme qui devrait permettre de faire évoluer la liberté de presse et encourager le journaliste dans son travail pour dénoncer effectivement la corruption. J’ai toujours estimé que notre loi en ce qui concerne la diffamation est conçue pour protéger les suspects dans les affaires de corruption et de ce fait elle limite, voire empêche le travail du journaliste d’investigation. Le principe de la charge renversée qui est appliqué en cas de procès tend à reprocher au journaliste ses allégations et empêche qu’on interroge le suspect sur ce qu’on lui impute. En somme c’est une disposition qui bloque le débat citoyen sur le sujet qui a entrainé le procès en ramenant les discussions sur des banalités qui concernent le journaliste et ses méthodes. A la fin c’est le journaliste qui est condamné dans 99% des cas. Sur la base de notre code actuel, il est pratiquement impossible pour un journaliste de gagner un procès en diffamation. En plus, tout est fait pour qu’il soit contraint de dévoiler ses sources pendant le procès.
    Le problème le plus grave que pose le système actuel, c’est que rien ne permet affectivement de montrer que la personne qui gagne son procès en diffamation contre un journaliste est lavée de tous soupçons. Puisque le débat n’a pas été dirigé dans ce sens. Vous soulignez très bien d’ailleurs cet aspect dans votre démonstration : "Au reste, lorsque le tribunal décide que la diffamation est constituée, il n’en conclut pas pour autant que la personne diffamée est lavée de tout soupçon. Aussi le procès laisse-t-il un arrière-goût d’inachevé." C’est exact et je suis bien placé en tant que journaliste pour le confirmer. L’assurance de pouvoir bénéficier de cette couverture que la loi offre aux suspects (quasiment des coupables) galvanise toujours ces derniers. Ainsi sont-ils toujours les premiers à brandir la menace d’aller en justice comme si cette justice n’existait que pour condamner systématiquement des journalistes.
    Je suis entièrement d’accord avec vous qu’il faut "Redéfinir le statut pénal du journaliste". Le code de l’information doit être réélu pour soutenir le travail du journaliste en faveur de la bonne gouvernance. C’est vrai, "le journaliste d’investigation mérite une protection spécifique, notamment lorsqu’il enquête sur des infractions pénales, y compris sur des cas de corruption dans le milieu judiciaire".
    Merci pour votre contribution. Chaque fois que j’ai été auditionné au CSC, vous avez toujours été la personne, qui a su se démarquer de positions militantes. Votre position n’a jamais été celle de ces fonctionnaires nommés pour faire marcher au pas les "journalistes indépendants". A partir de cette contribution, je pense que le débat évoluera. il appartient aussi aux journalistes, surtout les jeunes de s’impliquer. Je dis bien les jeunes parce que les anciens semblent avoir fini de jouer leur partition. C’est ce qu’on peut ressentir.

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