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Bras de fer Laurent Fabius/Jean-Yves Le Drian : la « diplomatie économique » face au « complexe militaro-industriel » (2/2)

Publié le mercredi 15 janvier 2014 à 14h47min

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Bras de fer Laurent Fabius/Jean-Yves Le Drian : la « diplomatie économique » face au « complexe militaro-industriel » (2/2)

L’un est ministre de la Défense. Incontournable sur le terrain africain. L’autre, ministre des Affaires étrangères, parle aussi et surtout de compétitivité, croissance, déficit commercial, chômage, transition énergétique, etc. Face à Jean-Yves Le Drian – qui, depuis qu’il est à l’hôtel de Brienne, laboure le terrain africain avec l’armée – Laurent Fabius, patron du Quai d’Orsay, prône une « diplomatie économique » qui a des allures de programme politique : un programme de premier ministre !

Avec une démarche économique dont le fondement est, dit-il, « le triangle du redressement ». Le premier côté est « la compétitivité de nos entreprises » car « ce sont les entreprises qui créent richesse et emplois ». Le deuxième côté est « l’attractivité du site France » : il faut lutter contre « le poids de la fiscalité, les rigidités, les complexités » et promouvoir « notre centralité géographique, notre démographie, nos technologies, nos marques, etc. ». Le troisième côté est « la nécessaire sobriété dans nos dépenses publiques, condition de l’allégement des impôts et des charges ». On ne s’étonnera pas que ce programme soit présenté dans Les Echos (vendredi 10 et samedi 11 janvier 2014).

On ne s’étonnera pas que Fabius, le moins radical des cadres du PS, soit le chantre de ce libéralisme façon « gauche réformiste ». Il enfonce là un clou qu’il avait déjà posé quelques jours auparavant (mercredi 8 janvier 2014) dans son entretien avec Le Parisien. Mais sans s’attarder sur ces questions économiques : le plus populaire des journaux français n’a pas la même clientèle que le quotidien économique, proche du patronat et des milieux d’affaires.

Du même coup, c’est Le Monde (daté du vendredi 10 janvier 2014) qui se fait l’écho de ce que cette « offensive du Quai d’Orsay sur le front de la diplomatie économique sème la zizanie » au sein de l’administration et du milieu des affaires. « Quand une entreprise se tourne vers le ministère des affaires étrangères et qu’on la renvoie vers Bercy, elle a le sentiment d’avoir perdu son temps. L’économie, c’est un métier et les professionnels sont à Bercy » souligne-t-on ainsi du côté du ministère de… l’économie et des finances. Tandis, ajoute Le Monde, que « les entreprises se demandent qui fait quoi ».

Pour Fabius, la « diplomatie économique », ce n’est pas un « plus ». C’est le fondement de sa politique étrangère. A tel point qu’il a créé une nouvelle direction des entreprises et de l’économie internationale qui compte 75 personnes + sept ambassadeurs en région. Il y a nommé, pour la diriger, Jacques Maire, le fils de l’emblématique ex-dirigeant de la CFDT, un énarque qui a débuté au Quai d’Orsay (il a été notamment en poste en Algérie) avant de rejoindre le groupe AXA en 2002 où il a été directeur des relations sociales, directeur des affaires européennes et publiques, directeur de la région Méditerranée…

L’irruption du Quai d’Orsay dans le pré carré de Bercy agace. D’autant que, dans le même temps, les services consulaires traînaillent à octroyer des visas pour les cadres des grandes compagnies étrangères : à Shangaï, il faut huit semaines, explique Le Monde, pour obtenir un rendez-vous pour un visa quand les Britanniques traitent le dossier en 24 heures. D’où ce commentaire acerbe : « Pour certains, le Quai d’Orsay devrait commencer par mieux faire ce qui lui incombe plutôt que de se mêler des grands contrats dont le bouclage des financements relève du Trésor, ou d’identifier les PME ou les ETI susceptibles d’exporter, rôle dévolu à Ubifrance, l’agence française pour le développement international des entreprises, qui dépend de Bercy ».

Du même coup, Isabelle Lasserre, ce matin (lundi 13 janvier 2014), dans Le Figaro, a posé la bonne question : « La diplomatie française a-t-elle tenu son rang en 2013 ? ». Pour y répondre, Lasserre en pose d’autres : « L’accord sur le nucléaire iranien est-il pérenne ? La France a-t-elle fait un mauvais calcul en Syrie ? La France a-t-elle une politique russe ? La politique européenne a-t-elle échoué ? Quelles sont les raisons de l’interventionnisme en Afrique ? ». La réponse du quotidien de droite n’étonne pas : « L’interventionnisme français comme la fermeté de ses diplomates, qui font parfois apparaître la France comme le nouveau gendarme du monde, doit d’abord se lire en creux. Il prospère sur la faiblesse des autres, notamment les Etats-Unis et la Grande-Bretagne, sur l’indifférence des émergents, réticents au droit d’ingérence, ou sur les manipulations intéressées de pays comme la Russie ».

Autrement dit, le gouvernement de gauche mène une politique extérieure qui, en d’autres temps, aurait pu être de droite mais n’est pas en adéquation avec les jours d’aujourd’hui. Pour parfaire son raisonnement, Lasserre fait appel à Fabius qui « parle souvent d’un monde « zéro polaire ». Un monde dans lequel aucune puissance n’est assez forte pour régler seule les crises. Puissance globale, la France veut assumer ses responsabilités internationales. « Malgré nos imperfections, nous sommes capables de faire ce que les autres ne font pas », a rappelé le ministre des Affaires étrangères au Sénat. Jusqu’à quand ? ».

Ce « jusqu’à quand ? » sonne comme une condamnation de ce que j’appelle la « diplomatie de substitution » : nous nous substituons non seulement aux Etats faillis dans leur tentative de résurrection, mais également aux organisations régionales et internationales même si nous agissons avec leur onction. Une vision que ne manque pas de contester Fabius qui, dans son entretien avec Les Echos (vendredi 10 et samedi 11 janvier 2014), dit qu’il s’agit « d’être aux côtés des Africains et non pas se substituer à eux, tel est le sens de notre partenariat avec ce continent d’avenir ». Il peut bien souligner que la France « soutient le projet de l’Union africaine de développer à l’horizon 2015 […] une force interafricaine capable d’une réponse rapide aux crises », personne ne peut y croire.

La visibilité de notre diplomatie repose aujourd’hui, essentiellement, sur les interventions militaires en Afrique menées sous l’autorité du président de la République et de son ministre de la Défense. En amont et en aval ; le récent déplacement de Jean-Yves Le Drian au Niger, au Tchad, au Congo et au Gabon (quatre pays où la France n’est pas engagée, actuellement, dans des combats) en est la meilleure expression. Fabius peut bien communiquer sur ses déplacements (501.521 km parcourus et 53 pays visités en 2013 !), l’impression domine que notre diplomatie, stricto sensu, n’est guère convaincante. Fabius, dans son entretien avec Le Parisien (mercredi 8 janvier 2014 – cf. LDD Spécial Week-End 0613/Samedi 11-dimanche 12 janvier 2014) dit avoir fixé « quatre grands objectifs » à la politique étrangère de la France : « la paix, la planète, l’Europe, le redressement ».

Le « redressement », c’est ce qu’il ne cesse de tambouriner : la « diplomatie économique » dont on vient de voir les limites ; la « planète » c’est le changement climatique dont il disait lors du World Policy Forum de Monaco (14 décembre 2013) qu’il « peut nous réserver d’autres surprises désastreuses, et même des cataclysmes inimaginables » (c’est Paris qui accueillera, en 2015, une grande conférence sur ce thème). La « paix » et « l’Europe », cela n’a rien de très spécifique en matière de diplomatie sauf que la politique étrangère de la France a, aujourd’hui, plutôt choisi la guerre et le grand large (Mali, Centrafrique, Syrie, Iran) et que l’Union européenne (sans parler de « l’Europe de la défense ») est toujours atone au-delà des déclarations de bonnes intentions.

A la veille de la « grande » conférence de presse de François Hollande (mardi 14 janvier 2014), la France, malgré ses implications militaires au Mali et en Centrafrique qui lui donnent une visibilité internationale qui fausse la donne, constate que sa politique extérieure n’est pas plus probante que sa politique intérieure. C’est aussi pourquoi notre ministre de la Défense, notre ministre des Affaires étrangères et d’autres s’efforcent déjà de « ne pas injurier l’avenir ». Ces ambitions personnelles font que le collectif ne fonctionne pas au sein du gouvernement. Mais ça, c’est le job de Hollande et de son premier ministre, Jean-Marc Ayrault.

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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