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Lettre de Sayouba Traoré à son grand frère Blaise Compaoré : « Pourquoi voulez-vous faire un referendum pour savoir qu’une femme est du genre féminin, et qu’un homme porte des testicules ? »

Publié le vendredi 10 janvier 2014 à 23h41min

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Lettre de Sayouba Traoré à son grand frère Blaise Compaoré : « Pourquoi voulez-vous faire un referendum pour savoir qu’une femme est du genre féminin, et qu’un homme porte des testicules ? »

Ceci est une lettre au grand frère Blaise Compaoré. Il la lira s’il le veut. Si ses conseilleurs veulent bien la lui montrer. Si son entourage veut lui en faciliter l’accès. Il réfléchira à son contenu, s’il le juge utile. Il donnera la suite qu’il estime nécessaire. Pour ma part, je remplis avec ces mots un devoir de petit frère. Un petit frère, spécialiste de rien du tout. Un petit frère ne revendiquant que cette seule qualité. Petit frère soucieux de notre devenir commun.

Grand Frère !

Je vous appelle ainsi, car c’est la seule qualité dont je suis certain aujourd’hui, vous concernant. Capitaine Compaoré ? Je ne connais rien à la chose militaire. Peut-on être Capitaine depuis 1983 et le demeurer ? Peut-on être Capitaine et instituer des gens généraux ? Peut-on rester Capitaine et se déclarer ministre de la Défense Nationale, l’autre nom du ministère de la Guerre, sinon de la guérilla, ou de la répression ? Serait-il possible de se donner une disponibilité des armes, une disponibilité des larmes, dont on est seul à même d’en déterminer et la durée et le périmètre ? Nous ne sommes pas nombreux au Burkina Faso à pouvoir répondre avec certitude à ces questions. Prudemment donc, je vous appelle Grand frère !

Grand Frère !

L’adage dit que quand deux mossé se suivent, il y a entre eux un chef. Sous toutes les latitudes, quand deux nègres se rencontrent, l’aîné prend instinctivement le commandement, et le cadet annexe naturellement la protection de son kôrô. Ce qui est une autre façon de s’approprier le porte-monnaie du grand frère. Dôgô sur l’acte de naissance, je suis donc fondé à vous donner cette appellation. Personnellement, il y a dix longues années, je me refuse à vous considérer comme mon président. Pourquoi une telle posture ? Vos conseilleurs et sinistres vous l’ont peut-être caché, je suis l’auteur d’un article publié dans L’Observateur Paalga intitulé « un bâtonnet plus un bâtonnet ». Je reste fidèle à ma position. Il n’y a là aucun mérite, puisque c’est ce que nos parents au village nous ont enseigné.

Je vous demande humblement de compter avec moi. Un bâtonnet plus un bâtonnet, ça fait bien deux bâtonnets. Et non quatre bâtonnets. On peut compter avec les doigts de la main. On peut être plus pragmatique : une kalachnikov plus une kalachnikov, ça fait deux kalachnikov. On peut même trouver plus tordu : une élection truquée plus une élection truquée, ça fait deux élections truquées. Autre déclinaison : un referendum truqué plus un referendum truqué, ça fait deux referendums truqués. Résultat des courses : ça fait maintenant huit ans que vous, grand frère, auriez dû quitter le pouvoir. Comprenez donc que ça fait huit ans que je ne vous considère plus comme mon président. Je ne vous demande pas de l’accepter. C’est la logique qui le commande. Si bien donc que je ne puis vous appeler Monsieur le président, mais sobrement, et très tristement, Grand frère !

Grand frère !

Il y a bien d’autres ambiguïtés à lever, tant votre situation est un théâtre d’ombres. Mais je choisis de m’arrêter là pour aujourd’hui. Une requête cependant : à la lecture de ces quelques lignes, ne torturez pas les membres de votre cabinet ! Si des petits frères se permettent de vous adresser de telles lettres, il ne faut pas chercher un autre responsable. Car si la savane frémit à l’écoute du rugissement du lion, le fauve est seul coupable. Vous avez voulu la peur comme votre marque personnelle. Eh bien, si on vous craint, si on a peur de vous dire la vérité, il faut saluer le résultat de votre action. On ne peut que vous dire bravo ! Beau succès ! Magnifique ! On vient à vous en tremblant. Formidable ! Grâce à vous, quand on prononce le prénom Blaise dans un bistrot, tout le monde se tait et pose son verre. Le mot Ziniaré est suffisamment éloquent de puissance terrifiante ! Et rares sont les écervelés qui osent prononcer le mot Kosyam, quand bien même il se voudrait synonyme de sagesse.

Grand frère !

Venons-en maintenant au véritable objet de cette lettre. Sortez des ambiguïtés ! Ce n’est pas une requête, je n’ai rien à quémander. Ce n’est pas un ordre, un petit ne peut se le permettre. Ce n’est pas un conseil, vous payez grassement des gens pour ce travail consistant en murmures et frôlements, sous-entendus et non-dits. Pour votre propre estime, sortez des ambiguïtés ! Et dites à vos gens que nous ne sommes plus blaguables au Burkina Faso. Le CCRP, ça n’a trompé que ceux qui voulaient être trompés. Le sénat, ça n’a pas marché parce que, nourris d’expérience sur votre gestion, nous voyions l’entourloupe se mettre en place. C’est vrai, le grand frère oublie souvent que le petit frère est présent qui l’observe, et qui apprend à lire ses faits et gestes.

L’article 37, on voit depuis des années que c’est là votre cauchemar personnel. Là, il faut rafraîchir quelque peu les mémoires. Pour vous dire que nous avons suivi le match. Au temps des luttes de la CFD contre votre pouvoir, de part et d’autre, on a accepté cette constitution a minima parce qu’on savait que la question était remise à plus tard. Comment je le sais et comment je peux très tranquillement l’affirmer ? Je vous explique. Quand ça bagarrait à Ouaga, à l’étranger on n’est pas resté indifférents. J’ai fait partie du Comité d’Actions Démocratiques Burkinabè (CADB) de France, qui relayait les actions de la CFD au pays.

D’autres peuvent vous en parler mieux que je ne le puis. On savait qu’on avait raison de vouloir sortir de l’État d’Exception. Vous, vous saviez que votre camp avait tort. Mais comme ce sera mieux dit plus tard, « vous aviez le pouvoir, l’argent et les armes ». C’est pourquoi vous avez pu épuiser notre combativité, et cette constitution a minima a été proposée au peuple par voie de referendum en juin 1991. Pour notre part, nous savions que l’article 37 vous barrait la route dix années plus tard. On sait ce que vous en avez fait. La constitution a été tripatouillée dans tous les sens. Problème : vous entendez continuer, à coups d’actions ambiguës. Et c’est la seule raison de nos aigreurs actuelles.

Grand frère !

Vos pensez que je vous calomnie ? Que je vous prête de mauvaises intentions ? Que je porte des accusations sans savoir ? Que je ne sais pas ce que je dis ? Eh bien, examinons les faits ! Les faits, rien que les faits ! Voltaire, un grand penseur français, a dit ceci : « Il y a pire que la calomnie, il y a la vérité ! ». En effet, la calomnie, on peut la démonter par l’examen des faits. La vérité, elle, est cruelle.

Il se dit que vous et vos partisans envisagez de lancer une campagne de signatures pour demander un referendum. Pourquoi voulez-vous faire un referendum pour savoir que mon salaire est à moi ? Pourquoi voulez-vous faire un referendum pour savoir que le soleil se lève à l’est ? Pourquoi voulez-vous faire un referendum pour savoir qu’une femme est du genre féminin, et qu’un homme porte des testicules ? Pourquoi voulez-vous faire un referendum pour savoir que le feu, ça brûle ? Vous êtes un commando para. Pourquoi voulez-vous faire un referendum pour savoir que l’air soutient le parachute pendant l’évolution du pilote ? Pourquoi tenez-vous à faire un referendum pour savoir que « un plus un, ça fait deux » ? A un moment ou à un autre, un parachutiste lit fatalement son altimètre. Et cet instrument dit que « un plus un, ça fait deux ». A-t-on besoin d’un referendum pour lui dire que la terre s’approche dangereusement, et qu’il doit faire gaffe à la gaffe ?

Grand frère !

Dans un précédent écrit, j’ai parlé d’un « usage privé de la justice... et des autres lieux de pouvoir ». Il paraît que la formule a choqué. Mais, de vous à moi, fraternellement, n’est-ce pas là une vérité ? Cela fait maintenant deux décennies qu’on entend parler de l’affaire Dabo. Il a suffi que vos partisans historiques choisissent de quitter votre sérail, pour que le magistrat retrouve la mémoire. Le même juge a subitement pu ravitailler son stylo en encre. Comme par miracle, il a pu retrouver et classer ses dossiers en bon ordre. M’Soala Wendé ! Les membres de votre cabinet sont-ils si cons pour nous croire si idiots ? Et pourquoi ce juge ne retrouve-t-il pas la mémoire pour les autres dossiers que l’on dit « pendants » ? Patisankana ! Quelle mémoire si performante, qu’elle en devient à ce point sélective ! Du reste, nous nous attendons à d’autres montages, tout aussi saugrenus.

Récemment, vous avez rencontré longuement les grands pontes de l’armée. A quel dessein ? Pour nous mâter, si jamais il nous venait à l’idée de dire que nous ne sommes pas d’accord avec vous ? La question n’est pas anodine. Nous ne pouvons pas donner des membres de nos familles pour composer la troupe, nous ne pouvons pas puiser dans nos impôts pour former, équiper et entretenir une armée qui en retour vient nous menacer dans nos opinions. Pourtant, ne cherchez pas loin, regardez autour de vous, sur le pas de votre porte. L’armée de la nation qui nous empêche de respirer, c’est ce que nous vivons depuis de longues années. Nos propres fils qui donnent la main, pour notre propre malheur. Adwè Fô Panè !

Grand Frère  !

En fait, le problème c’est vous. Vous et vous seul ! Là également, je vous dois des explications. Ça fait longtemps que je cherchais l’occasion propice pour vous dire ces choses. Peur ? Lâcheté ? Timidité ? Respect des convenances sociales ? Un peu de tout cela à la fois. Car pour porter haut l’honneur, il faut du courage. Pour ma part, j’ai toujours exprimé ce que je pense. Sur le moment, et sans fioritures. Des gens ont appelé cela de l’inconscience. Alors, je me lance avec certainement une bonne dose d’inconscience. Mais, pas d’insouciance. Croyez le,

Grand frère !

Pour une fois dans votre vie, faites preuve de courage. Je ne dis pas bravoure. La bravoure s’apparente à un coup de folie momentané. Le courage s’assume sur le long terme. Faites preuve de courage ! Venez à la télé, votre télé ! Et prononcez ces mots essentiels, ces mots primordiaux, ces mots difficiles. Dramatiquement, nul ne peut le faire pour vous.

« Chères sœurs, chers frères ! Le passé, c’est ce qui a eu lieu. Regardons demain ! J’ai fauté envers vous. Maintes fois ! Des actes funestes ont été posés, qui ont détruit des vies, et dévasté des destinées. Demain impose des sacrifices. A chacun d’entre nous. Moi, j’ai puisé en moi pour vous demander pardon. Humblement, sincèrement. Pas comme le 30 mars. Je m’en remets à vous. Vous à qui il revient de puiser en vous pour pardonner. Asseyons nous ensemble pour tracer un futur pour nos enfants et nos petits enfants ! ».

Grand Frère !

Il vous est aisé de rejeter ces divagations d’un petit frère. Selon votre mot célèbre, l’écrit d’un « plaisantin ». Ecoutez vos conseilleurs ! Mûrissez vos plans ! Continuez à vouloir tenir la multitude en respect et demain sera certainement séditieux ! Et le désastre collectif sera ponctué d’une litanie de dévastations ! Pour ma part, je considère mon devoir rempli. Cette conversation est terminée.

Sayouba Traoré,
Journaliste, Ecrivain

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