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Pénitence de Roch Marc Christian KABORE ou contribution attendue des démissionnaires du CDP à la renaissance démocratique au Burkina Faso

Publié le vendredi 10 janvier 2014 à 23h39min

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Pénitence de Roch Marc Christian KABORE ou contribution attendue des démissionnaires du CDP à la renaissance démocratique au Burkina Faso

Depuis quelques jours, la scène politique burkinabé s’est emballée avec la démission de plusieurs dizaines de membres du bureau politique national du Congrès pour la Démocratie et le Progrès (CDP) dont les trois ténors que sont Roch Marc Christian Kaboré, Salif Diallo et Simon Compaoré. Les raisons explicites de cette démission collective portées sur la lettre adressée au Secrétaire Exécutif National de leur ex-parti tiennent, selon eux, au non respect de la plate forme démocratique fondatrice du parti, à l’absence de démocratie interne au sein du CDP, à la mise en place forcée du sénat et aux velléités de modification de l’article 37 de la Constitution en vue de supprimer la limitation du nombre de mandats présidentiels.

Cette démission de nombreux et importants cadres du parti au pouvoir a été diversement accueillie et appréciée par l’opinion publique et les partis politiques. Si pour le parti qu’ils quittent, il s’agit d’un « non évènement », la plupart des acteurs et des observateurs considèrent cette démission comme un séisme politique sans précédent dans l’histoire politique du Burkina Faso qui ne peut déboucher que sur d’importantes conséquences politiques pour notre pays.

Pour ma part, l’émotion de l’annonce passée (car, malgré le fait que l’évènement était plus ou moins attendu, il y en a eu), et à la lumière des déclarations des principaux concernés dans lesquels certains battaient déjà leur coulpe, plusieurs questions se sont succédé dans mon esprit dont certaines me semblent dignes d’être partagées.

En effet, au-delà de la faute reconnue, il est bon de s’interroger sur l’étendue réelle des fautes commises et l’ampleur des conséquences des erreurs politiques de Roch Marc Christian Kaboré, des autres démissionnaires et de leurs camarades restés encore au CDP sur la démocratie burkinabé et les répercussions aux plans politique, économique et social pour le pays. Par ailleurs, en considérant le repentir de Roch Marc Christian Kaboré et de ses camarades comme sincère, il sera loisible de savoir quelle sera la pénitence appropriée, ou en d’autres termes, quelle conduite politique le groupe des repentis devrait-il adopter pour la réparation des conséquences de leurs erreurs en vue de la construction d’une société burkinabé désormais plus démocratique ?

J’ai déjà eu a traité partiellement de la réponse à la première partie de cette interrogation dans un article intitulé « Démocratie burkinabé : Eléments d’analyse d’un système perverti » et publié dans la presse le 26 décembre 2012. L’erreur de Roch Marc Christian Kaboré, à l’évidence partagée par ses camarades, ne se limite pas à sa déclaration malheureuse sur l’article 37. Elle est beaucoup plus profonde, congénitale au CDP et consiste en une perversion de la démocratie par les dirigeants du CDP dont certains sont aujourd’hui démissionnaires, qui ont instauré ou toléré un système démocratique de façade caractérisée par des institutions démocratiques de parade, juste bons pour tromper l’opinion internationale, des élections malpropres destinées à un électorat médusé à la conscience vilement achetée, une justice corrompue et aux ordres, des contre-pouvoirs mal aimés et généralement aphones. Au plan économique, ils ont contribué à asseoir une économie clanique monopolistique de fait où la corruption est la règle, et au plan social, ils ont cautionné et favorisé la dépravation de la vie dans une société désormais sans repères, séparée en deux par un énorme fossé entre riches et pauvres. Et ils ont bien profité du système.

Si pour l’échec de la démocratie burkinabé, les démissionnaires du CDP semblent aujourd’hui, en filigrane, reconnaitre leur responsabilité, puisqu’ils déclarent que la plateforme démocratique fondatrice du parti qui a dirigé le pays pendant 18 ans avec eux en tête, n’a pas été respectée, il reste encore pour eux, à déterminer dans quelle cadre inscrire leur action et quelles formes elle doit prendre afin de construire une société plus juste pour notre pays. C’est dire donc que la réponse au deuxième aspect du questionnement appartient entièrement aux démissionnaires. Mais dans la mesure où eux-mêmes reconnaissent qu’en tant qu’humains ils sont susceptibles d’erreurs, il n’est pas malsain, humblement, en tant que citoyen, de leur proposer des pistes de réflexion afin de minimiser les risques d’erreur si préjudiciables au bien commun qu’est notre démocratie. Ce sera donc l’objet de la suite de mon propos.

Dans les premières déclarations des désormais ex-membres du Bureau Politique National du CDP que la presse nous a rapportées, il est question d’une part de l’inscription de leurs actions immédiates dans le cadre de l’opposition à la mise en place du sénat et de la modification de l’article 37 de la Constitution, et d’autre part, de leur volonté de créer un parti politique. Il serait malséant pour moi Boanga que personne n’a jamais vu à l’œuvre, de vouloir donner des leçons à des dinosaures politiques de la trempe de ceux qui viennent de quitter leur parti.

Mais je me permets humblement de m’exprimer pour deux raisons : la première, c’est que la cause est commune, il s’agit de notre démocratie ; la deuxième, c’est que la dernière fois que je me suis publiquement exprimée dans un article intitulé « Article 37 : le piège facile du référendum » et publié le 4 janvier 2013, j’avais eu raison, pendant que eux se trompaient toujours, de dire que l’article 37 ne devait être modifié par aucun artifice. Mon point de vue n’est donc peut-être pas totalement dénué d’intérêt.

Il est une vérité universelle que les peuples finissent toujours par avoir raison et que les actes posés en faveur et avec le peuple sont les moins susceptibles d’être frappés, avec l’effet du temps, du sceau de l’erreur. L’opposition à la mise en place du sénat et à la modification de l’article 37 est une lutte entamée depuis plusieurs mois déjà par le peuple. Elle n’est pas une revendication nouvelle des démissionnaires du CDP. Bien au contraire, excepté Salif Diallo, les démissionnaires du CDP doivent certainement avec amertume, se rappeler que les actes les plus importants en faveur du sénat et de la modification de l’article 37 ont été posés quand ils étaient à la direction de leur parti.

Les déclarations malheureuses de Rock Marc Christian Kaboré à propos de l’article 37 et de Simon Compaoré sur la succession à Kosyam leur ont déjà été opposées par leurs anciens camarades du parti et par une partie de la presse. Qu’à cela ne tienne, l’essentiel est qu’aujourd’hui ils ont décidé de s’engager aux cotés des autres forces opposées à la mise en place du sénat et à modification de l’article 37. Ce nouvel engagement, qui est une prise de position en faveur de l’alternance et de la démocratie en général a été salué par une bonne partie des acteurs politiques, et s’il est ferme, sera perçu par le peuple comme un gage de sincérité démocratique des nouveaux repentis.

Si l’opposition à la mise en place du sénat et à la modification de l’article 37 a été unanimement applaudie par tous les démocrates, la création prochaine d’un parti politique, quant à elle, suscite de nombreuses questions et inquiétudes. Est-il vraiment opportun de créer un parti politique ou n’est-il pas plus judicieux de rejoindre un parti politique existant qui aurait la même vision, étant donné que déjà des transfuges du système, ont avant eux, créé des partis politiques sur la base des mêmes griefs reprochés au CDP ? En quoi le projet de société que leur parti proposera sera t-il différent de ceux des partis de leurs ex-camarades ? Et si le parti voyait le jour, quel rôle va-t-il réellement jouer dans la restauration d’une démocratie véritable dans notre pays ?

Les ex-ténors du CDP, qui, en 18 ans n’ont pas su ou pu faire appliquer la plateforme fondatrice du parti, et qui seront probablement les premiers responsables du nouveau parti, sauront-ils se départir des reflexes acquis pour asseoir un parti réellement démocratique et partant la démocratie au niveau national ? Un parti politique étant créé pour la conquête du pouvoir d’Etat, le peuple burkinabé sera-t-il prêt à confier ses destinées à un groupe qui a failli pendant si longtemps dans la gestion des affaires de l’Etat ? Il est évident que beaucoup d’entre eux ont acquis d’importantes fortunes à la faveur de l’exercice du pouvoir qu’aujourd’hui ils déplorent ; est-il moralement acceptable que les avantages acquis au cours de cet exercice décrié du pouvoir, surtout matériels, soient utilisés pour la reconquête du pouvoir perdu, tout en reniant, du moins partiellement, le bilan de l’exercice ?

Loin de vouloir dénier à des burkinabé leur droit de participation à la vie politique nationale, d’ailleurs je loue leur courage et salue l’humilité de Rock Marc Christian Kaboré, ces questions se veulent une interpellation des démissionnaires à plus de prudence, plus de responsabilité et de culture de la démocratie dans leur action.

Une synergie d’action de toutes les forces progressistes est une condition indispensable à la réalisation de l’alternance. La part attendue des démissionnaires tiendra sans doute de leur capacité de mobilisation des masses populaires, mais aussi de la connaissance du système dans lequel ils ont vécu si longtemps.

Des pratiques politiques qui seraient sans doute appréciées par le peuple consisteraient pour ceux qui ont été à la tête de notre pays pendant de nombreuses années avec les conséquences que l’on connait, de s’abstenir de vouloir systématiquement jouer tous les premiers rôles aussi bien dans leur parti qu’au niveau national, tout en donnant l’occasion à une nouvelle classe politique de profiter de leur expérience. En effet, une expression trop forte de leurs ambitions rendrait suspecte leur noble rébellion d’aujourd’hui et serait interprétée par la classe politique et l’opinion comme une habile manœuvre consistant simplement à quitter par vagues successives le navire qui coule avec pour dessein de garder le pouvoir pour en jouir et aussi éviter pour eux, ainsi que leurs anciens camarades restés au CDP, d’éventuelles tracasseries judiciaires en cas d’alternance. Ce qui braquerait inévitablement l’opposition actuelle et le peuple, et du même coup, réduirait l’impact de leur action en faveur de la démocratie.

Au sein de leur parti, aucun groupe de responsables ne devraient désormais s’autoriser des libertés avec les principes démocratiques. Le centralisme démocratique comme forme d’organisation politique qu’ils ont appliqué pendant si longtemps ne colle plus aux aspirations des peuples. Ils gagneraient certainement à faire de la promotion des jeunes et du genre, au-delà du slogan, une plus grande préoccupation que de par le passé. Aussi, ils seront sans doute sollicités pour faire preuve dans le parti, de plus d’esprit d’ouverture au débat et à la critique, de plus de tolérances des courants d’idées contraires. Il ne manquera pas des appels incessants de la part de leurs militants, à partager, non seulement leurs expériences, mais aussi leurs ressources sur le terrain.

Pour des gens qui ont passé plusieurs décennies dans un système stalinien, ce changement de comportements en faveur de la démocratie vaudra réellement une pénitence qui mériterait l’absolution du peuple.

Dr M. Joseph SOMDA ( reseaum@yahoo.fr )

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