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VIH/sida : Comment allier théorie et pratique dans la lutte contre la pandémie ?

Publié le jeudi 9 janvier 2014 à 14h03min

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Au Burkina Faso, c’est dans les années 1980 que le premier cas d’infection par le virus d’Immuno-déficience humaine (VIH) a été notifié officiellement. L’ignorance qui entourait cette infection et l’absence de traitement curatif ont accentués ses conséquences sociales et économiques. La mise en œuvre des actions de lutte contre le sida est un enjeu majeur actuel qui recommande la compréhension des logiques sociales endogènes qui influencent les comportements individuels et collectifs. C’est en cela que l’implication des sciences sociales dans la lutte contre les maladies, en particulier le sida, constitue un enjeu, en termes de définition des modalités de leurs contributions.

Rappelons que l’anthropologie contribue à la compréhension des problèmes contemporains auxquels les communautés sont confrontées dans la dynamique du changement social. Dans cet article, nous mettons en évidence trois niveaux de contribution des sciences sociales, notamment la sociologie, la socio-anthropologie, la psychologie et dans une certaine mesure le droit et l’économie, la bioéthique à la prévention du sida et la prise en charge des personnes infectées par le VIH. Ces disciplines contribuent à la lutte contre le VIH d’une part, par des réflexions et des éléments d’analyses constructives, et d’autre part, l’aptitude des porteurs de ces disciplines est parfois sollicitée pour la mise en œuvre des actions et l’organisation des systèmes de soins.

Le but de cet article est d’attirer l’attention des acteurs de la recherche sur le VIH pour les applications des recherches en sciences sociales. Ces disciplines ont été mobilisées dans une perspective de recherche opérationnelle qui a aidé et qui aide toujours à la prise de décision en matière de politique publique et plus particulièrement dans le cas de la lutte contre le VIH. L’anthropologie, jadis orientée vers la recherche fondamentale a été amené à s’ouvrir à la recherche-action pour contribuer à l’épanouissement des populations vulnérables à cause de la maladie et la précarité qu’elle engendre. Elle est sortie de son cadre normatif pour ouvrir ses champs d’investigations et faire évoluer ses concepts et ses démarches. Cet article a fait l’objet de communication lors du 2ème Forum des acteurs de la recherche sur le VIH au Burkina Faso du 17 au 19 décembre 2013.

Apport des sciences sociales par l’ethnographie

La première contribution des sciences sociales dans la lutte contre le VIH se décline en termes de d’apport à l’analyse et à la compréhension des représentations de la maladie. Ce fut les cas de Bernard Taverne en 2000 et Michèle Cros en 2005 qui ont tous mené des recherches au Burkina qui ont cherché à comprendre les comportements des populations face à la maladie, les modalités de recours thérapeutiques. Comprendre les perceptions de la maladie pour déconstruire les discours stigmatisant les personnes atteintes du VIH. Comprendre aussi les perceptions relatives aux risques d’infection par le VIH selon les modes de contaminations connus. Ce qui permit aux personnes vivant avec le VIH (Pv.VIH) de sortir de la clandestinité, d’accepter la maladie en faisant des témoignages à visage découvert et intégrer des associations de prise en charge. Des analyses socio-comportementales accompagnées de plaidoiries ont été orientées sur la nécessité d’opter pour la gratuité des soins au profit des personnes infectées par le VIH, afin de leur assurer une bonne qualité de vie et leur productivité.

En plus, les théories liées aux représentations et comportement des populations face aux épidémies (variole, lèpre, tuberculose, peste), aux maladies chroniques (diabète, hypertension, cancers) ont été revisitées pour établir un lien avec la survenue du VIH. Le rapport à la mort et les contraintes de vivre avec une maladie chronique et incurable a été analysé et rapproché du contexte du sida pour aider à l’élaboration des messages d’éducations sanitaires pour la prévention. Ceci, dans le but de pouvoir tenir un discours public sur la maladie, sans accentuer ou provoquer des séries de psychoses collectives, et mettre en place des mécanismes de prise en charge psychosociale des personnes affectées par l’impact du VIH, notamment les veuves, veufs et orphelins. Une épidémie meurtrière déclenche inévitablement un phénomène particulier dans le comportement des populations. Les manières de percevoir la maladie à travers les nosographies populaires, les procédées diagnostics, déterminent les itinéraires thérapeutiques. Le recours à la médecine traditionnelle qui n’a malheureusement pas non plus une réponse adéquate face au VIH et parfois des phyto-médicaments ont des interférences avec certains ARV.

Apport des sciences sociales par l’anthropologie critique

La deuxième contribution des sciences sociales a été la mise en œuvre des analyses critiques des politiques publiques se rapportant à la lutte contre le VIH et à la prise en charge des malades. Les travaux de Laurent Vidal en 2000 en Afrique de l’Ouest et ceux de Paul Farmer en 2006 en Haïti, ont mis en évidence le caractère très politique de la lutte contre le VIH et avancé des arguments montrant que la lutte contre le VIH est problématique des droits humains fondamentaux. Bien que cela face l’objet de polémiques et source de tension entre divers acteurs, les socio-anthropologues ont porté courageusement un regard critique sur les opinions publiques qui tendent à définir les normes et les modalités d’accès aux soins par les populations au Nord et au Sud.

Des études sur la mobilité des populations, notamment en démographie humaine, ont montré le caractère dangereux de cette option, parce que les malades du Sud qui avaient les moyens se déplaçaient au Nord pour se faire soigner. De même, les gens du Nord qui venaient au Sud pour des raisons professionnelles ou pour le tourisme couraient des risques de contamination par le VIH. Autant soigner tout le monde sur terre. La définition de la responsabilité dans la propagation du VIH qui influençait les orientations dans la lutte contre cette maladie a été remise en question. Les femmes sont accusées de propager le VIH parce qu’elles auraient découvert leur statut sérologique positif dans le cadre des programmes prévention de la transmission mère-enfant du VIH (PTME) sont sujettes à des accusations par leurs conjoints. Les réflexions ont contribués à nuancer les stratégies d’incrimination des groupes vulnérables face au VIH, nuancer l’incrimination des pratiques culturelles à risque, nuancer l’incrimination des types de comportement et des niveaux de connaissances en remettant en question les conclusions des études de type « connaissances attitudes et pratiques » qui montrent les impacts de la sensibilisation au VIH.

Des populations peuvent avoir de très bonnes connaissances en techniques de prévention du VIH, sans pour autant utiliser les moyens recommandés pour se prémunir. Les grossesses multiples et non-désirées, le non recours à l’usage du préservatif, la persistance de la prévalence du VIH expliquent cela. Dans ce sens, l’anthropologue français Alain Epelboin fait remarquer en 1992 que de nombreux spécialistes ont fait le constat du décalage entre le comportement des gens face au risque du VIH et leur propos.

Aussi, nombreux travaux ont été interpellant pour réduire l’impact négatif du VIH et améliorer l’accès aux soins selon le genre, organiser mieux l’offre de soins pour tenir compte des spécificités de genres. Aussi, dans de nombreuses études de faisabilité et d’évaluation d’impact des programmes de lutte contre de VIH, les compétences en matière d’approche sociologique ou anthropologiques sont associées. Peut-être pas assez, mais il y a tout même un espoir pour que leur avis soient considérés dans la mise en œuvre des actions.

Apport des sciences sociales par l’implication des acteurs

Dans une démarche participative, des anthropologues ont mis la main à la pate. Sans être les praticiens de la santé, ils ont été amenés à collaborer étroitement dans l’organisation du processus thérapeutique. La troisième contribution des sciences sociales à la lutte contre le VIH se traduit par la participation des porteurs de ces disciplines à l’accompagnement des politiques et associations de lutte contre la maladie dans la mise en œuvre de leurs de préventions du VIH. Au Burkina Faso, c’est l’exemple des socio-anthropologues impliqués dans les actions de sensibilisation auprès des jeunes, des prostituées à travers les associations. Cela se traduit par le développement de l’approche par les pairs éducateurs, l’implication des conseillers/es dans les programmes d’inclusion des femmes dans les files actives de PTME ou de traitement aux ARV.

Les propositions d’analyse ont montré la pertinence d’organiser la lutte contre la maladie selon les catégories sociales et de tenir compte des conditions socio-économiques personnes concernées comme démontré par Blandine Bila, dans un article. Dans leurs activités, des psychologues et des anthropologues ont été sollicités en tant que personnes ressources et acteurs de la mise en œuvre des activités. On requière pour cela leur aptitude à organiser les relations entre les acteurs et les institutions. Cela s’est traduit dans la pratique à travers la description des profils des agents lors des recrutements de personnels dans le cadre de la prévention et la prise en charge des personnes vivant avec le VIH.

En concluions, le VIH a induit une évolution majeure dans le déploiement des sciences sociales. Dans une perspective théorique de la socio-anthropologie, l’intérêt d’une démarche d’implication est de favoriser les changements de perspectives dans la mise en œuvre des actions des politiques publiques. Ceci rejoint la démarche originelle même de l’ethnographe. S’engager d’abord dans une interaction et prendre de la bonne distance critique ensuite pour élaborer des connaissances anthropologiques.

La problématique du VIH a été abordée par les sciences sociales au même titre que les projets de développement et les dynamiques du changement social du point de vue de l’anthropologue Olivier de Sardan, (2010). Ce qui aide à explorer la problématique du caractère « inhospitalier » des services de santé et analyser les dimensions culturelles et symboliques des perceptions de la maladie et des modalités de recours thérapeutiques.

Roger ZERBO, Ph.D, Anthropologue
Attaché de recherche, CNRST/INSS / Roger.zerbo@gmail.com

Pour en savoir plus

BILA, B. (2011) « Différences de recours aux traitements des PvVIH et valeurs liées au genre au Burkina Faso », in : DESCLAUX, A. MSELLATI, P. SOW, K. (dir), (2011) Femmes et VIH dans les pays du Sud, Paris, ANRS.

CARAËL, M. (2006) « Face à la mondialisation du sida : vingt ans d’interventions et de controverses », in : Denis, Ph. & Becker, C. (dir.), L’épidémie du sida en Afrique subsaharienne. Regards historiens ; Louvain-La-Neuve - Paris, Bruylant-Academia-Karthala, pp 43-61.

CROS, M. (2005) Résister au sida – Récits du Burkina, Paris, PUF.

DESCLAUX, A. (2000) L’épidémie invisible. Anthropologie d’un système de santé à l’épreuve du sida chez l’enfant à Bobo-Dioulasso, Burkina Faso, Lille, Presses Universitaires du Septentrion.

FASSIN, D. DOZON, JP. (1988) « Les États africains face à l’épreuve du Sida ». Politique africaine, n°32, pp. 79-85

OLIVIER DE SARDAN J.-P. (2010), « Anthropologie médicale et socio-anthropologie des actions publiques », Anthropologie et santé, v°1, <http://anthropologiesante.> .

OUATTARA, F. GRUENAIS, M. E. HUYGENS, P., TRAORE, A. (2004) Sida, stigmatisation et exclusion Étude anthropologique au Burkina Faso (Bobo-Dioulasso, Banfora, Niangoloko, Orodara), Rapport d’étude, IRD-Shadeï, Marseille/Bobo-Dioulasso.

VIDAL, L. (2008) « L’anthropologie au cœur de la médecine » MEDECINE/-SCIENCES, Vol. 24, n°10, pp. 879-882.

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Vos commentaires

  • Le 9 janvier 2014 à 19:47, par Zéro En réponse à : VIH/sida : Comment allier théorie et pratique dans la lutte contre la pandémie ?

    Assez de bavardage et de théories sans grand intérêt ; la seule et unique chose qui intéresse la plupart des gens aujourd’hui c’est le remède du VIH et rien d’autre. Plus le temps passe (sans ce remède) on a l’impression que cette maladie est une grande arnaque orchestrée par quelques vampires du monde capitaliste et raciste. Jamais épidemie n’a tardé à être vaincue par l’homme (plus de 30 ans !!!!) et encore en ce 21 siècle ; siècle de la science, de la technique et de la technologie

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