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Les ex-« clients » du CDP quittent le parti présidentiel burkinabè. Trop « clientéliste » disent-ils ! Ah bon, c’est nouveau ?

Publié le mardi 7 janvier 2014 à 22h51min

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Les ex-« clients » du CDP quittent le parti présidentiel burkinabè. Trop « clientéliste » disent-ils ! Ah bon, c’est nouveau ?

La trêve de Noël aura tout juste été respectée. Et il n’a pas fallu longtemps pour que les hostilités politiques reprennent au Burkina Faso où les « hommes intègres » ont parfois tendance à s’adonner avec délectation à la… désintégration. Cette fois, le coup n’est pas venu de l’opposition mais des rangs mêmes du parti présidentiel : le Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP). J’ose dire : une fois de plus. Et, j’ajoute : avec cette ambiguïté dans le comportement qui est la marque de fabrique de la classe dirigeante burkinabè.

Décrypter la vie politique du Burkina Faso est toujours une tâche ardue. Ce pays ne se laisse pas facilement apprivoiser et sa complexité est un héritage, tout à la fois, de sa culture mossi et de ses pratiques « révolutionnaires » passées. Qu’on en juge : après un entretien avec le président du Faso, Blaise Compaoré, quelques figures de proue de la vie politique burkinabè sont venues déposer, le dimanche 5 janvier 2014, à 17 heures, la liste des militants de ce pays qui avaient décidé d’en démissionner. Pas une petite affaire ; mais un vrai clash, à la manière des trotskystes adeptes des scissions ; sauf que ceux qui sont partis n’en sont pas et ne risquent pas d’en être. Des têtes d’affiche, des membres du BP, des militants. 75 au total !

Le trio de tête à l’origine de cette affaire est composé de Simon Compaoré, Salif Diallo et Roch Marc Christian Kaboré. Des apparatchiks et des nomenklaturistes du CDP et qui l’ont été, également, des précédentes formations politiques issues de la « Révolution », de la « Rectification » puis de la « Démocratisation ».

Ironie de l’histoire, quelques uns de ces hommes participaient, la veille, le samedi 4 janvier 2014, à la cérémonie de mariage de Cédric Zongo et de Judith Vanessa Tiao, le fils de l’ex-premier ministre Tertius Zongo et la fille de l’actuel premier ministre, Luc Adolphe Tiao. Le mariage civil a été célébré par le nouveau maire de Ouagadougou, Marin Casimir Ilboudo. Il y avait là Alain Edouard Traoré, ministre de la Communication et Porte-parole du gouvernement, Soungalo Ouattara, président de l’Assemblée nationale, Albert Dé Millogo, président de la Cour constitutionnelle, Assimi Kouanda, ministre d’Etat, chargé de mission à la présidence du Faso, directeur de cabinet de Compaoré mais également patron du… CDP, Béatrice Damiba, présidente du Conseil supérieur de la communication (CSC), François Compaoré, frère du chef de l’Etat et son conseiller économique, Alizéta Ouédraogo, la belle-mère de François Compaoré, femme d’affaires dont on dit qu’elle est à la tête d’une fortune significative, mais aussi Roch Marc Christian Kaboré et Simon Compaoré, deux des démissionnaires.

Il n’est pas nécessaire d’être un intime de ces gens-là pour savoir la détestation qu’ils peuvent avoir, parfois, les uns pour les autres mais la vie politique est ainsi faite, partout sur la planète, qu’il faut s’en accommoder.

Sauf que bien sûr, Roch Kaboré, Simon Compaoré et Salif Diallo, après pas loin de trois décennies de compagnonnage avec les autres, ont jugé l’atmosphère irrespirable au sein du CDP et ont décidé, en ce début d’année, de démissionner du parti (sans pour autant annoncer, jusqu’à présent, leur démission des postes et fonctions qu’ils occupent au titre du parti). « Caporalisation, exclusion, délation, intrigues, hypocrisie, coterie », le CDP est devenu « une affaire de copains ». Du même coup, « les démocrates et les progressistes qui l’on fondé dans le but d’en faire un instrument de conquête démocratique et sociale ne s’y reconnaissent plus ».

Les signataires de la lettre de démission mettent directement en cause le secrétaire exécutif national du CDP, en l’occurrence Assimi Kouanda. « Vous êtes parvenu, en si peu de temps [Kouanda est le patron du parti depuis le Vème congrès du CDP, 2-4 mars 2012], à vider cette plateforme fondatrice de son contenu initial et à liquider les nombreux acquis chèrement conquis ». Autrement dit : Kouanda aura été le liquidateur du parti fondé en février 1996. Il est vrai que la liste des « personnalités » qui ont décidé d’aller voir ailleurs ce qui se passe est impressionnante : hormis le trio de tête, il y a là des noms incontournables de l’histoire politique du Burkina Faso : Jean-Marc Palm, Basile Guissou, Mathias Somé…

Mais, dans le même temps, les auteurs de la lettre de démission collective appuient leur démonstration sur le fait que « nous sommes en train d’assister à des tentatives d’imposer la mise en place du Sénat aux forceps et à des velléités de réviser la Constitution dans le but de sauter le verrou de la limitation des mandats présidentiels dans un contexte où le peuple est profondément divisé ». Autant dire que dès lors la cible est Blaise Compaoré. Sauf à penser qu’il aurait été mal conseillé par son ministre d’Etat en charge des réformes politiques : Bongnessan Arsène Yé (nommé à ce poste par Tertius Zongo et maintenu par Luc Adolphe Tiao).

Mais, du même coup, les « démissionnaires » se positionnent strictement sur la ligne de l’opposition, telle qu’elle ne cesse d’être développée depuis plusieurs mois, et n’apportent aucune proposition nouvelle. Drôle de tactique… ! Et ne parlons pas de stratégie, sauf à penser qu’elle est tordue.

On n’oublie pas d’ailleurs que Roch Kaboré a été secrétaire exécutif national du CDP d’août 1999 à juin 2003, puis président de son nouvel organe dirigeant : le Bureau politique national (BPN)*. C’est à l’occasion de la 45ème session ordinaire de son bureau national, le 14 janvier 2012, que Kaboré avait laissé entendre qu’il ne se représenterait pas à la présidence du parti au nom de « l’alternance ».

Le vendredi 2 mars 2012, lors de la séance inaugurale du Vème congrès ordinaire du CDP, il avait appelé à « libérer l’esprit », affirmant être « révolu le temps » où celui-ci était « formaté », « incarcéré », « standardisé », « embastillé », « emprisonné », maintenu sous une « chape de plomb » derrière « un rideau de fer ». Un discours dont j’avais à l’époque souligné les « accents de déstalinisation » (cf. LDD Burkina Faso 0296/Vendredi 2 mars 2012). Mais le « stalinien » s’appelait alors Kaboré… ! C’est lui d’ailleurs qui, dans son message aux congressistes, avait appelé à ce que les structures du parti soient « revigorées ». Ce qui laissait entendre que sous sa direction elles étaient plutôt atones.

L’arrivée de Kouanda à la tête du parti était une mise sous tutelle présidentielle du CDP qui n’était plus une structure autonome mais une structure d’exécution (le passage d’un Bureau politique national à un Bureau exécutif national était explicite) dans la perspective de la présidentielle 2015. L’arrivée de Kouanda avait été aussi l’occasion de favoriser « l’entrisme » dans le parti de la Fédération associative pour la paix et le progrès avec Blaise Compaoré (FEDAP-BC) qui se veut l’expression de la société civile et dont le promoteur est « Monsieur », autrement dit François Compaoré, frère du président du Faso.

Notons encore que lors de ce congrès de 2012, c’est Simon Compaoré, alors maire de Ouagadougou, qui avait eu la mission de livrer le message du chef de l’Etat aux congressistes (cf. LDD Burkina Faso 0297/Lundi 5 mars 2012).

Kouanda a répliqué sèchement à ses détracteurs : « Après plus de vingt ans de camouflage, ils en sont arrivés à utiliser tous les moyens pour liquider le CDP qu’ils n’arrivent plus à contrôler pour assouvir leurs ambitions personnelles » (communiqué de presse du Secrétariat exécutif national – mardi 7 janvier 2014).

Reste à savoir à quel jeu jouent les « démissionnaires » et pour le compte de qui ils roulent. Trop tôt pour le dire aujourd’hui. Sauf que la sincérité de leur comportement est mis en question : quand les ex-« clients » dénoncent le « clientélisme », qui les a fait ce qu’ils sont, on peut se poser des questions.

* Quand Roch Kaboré présidait le CDP, Salif Diallo en était le premier vice-président en charge de l’orientation politique et Simon Compaoré le deuxième vice-président.

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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