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Centrafrique. L’armée française « au cœur des ténèbres » (2/2)

Publié le lundi 16 décembre 2013 à 19h58min

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Centrafrique. L’armée française « au cœur des ténèbres » (2/2)

En 1899, l’écrivain Joseph Conrad avait écrit « Au cœur des ténèbres ». Une histoire africaine qui se déroule sur le fleuve Congo et qui deviendra un succès mondial et la source d’inspiration pour de nombreux cinéastes. Lui, son inspiration, il l’avait puisée dans un livre écrit dix ans auparavant, en 1888, par Rudyard Kipling : « L’Homme qui voulut être roi ». Ce sont là des épopées coloniales au temps flamboyant de l’impérialisme anglais.

Dans Le Monde d’hier (daté du mercredi 11 décembre 2013), Denis MacShane, ancien ministre des Affaires européennes du gouvernement de Tony Blair, fait référence, lui aussi, à Kipling. « Assumez le fardeau de l’homme blanc » écrit Kipling, le poète de l’impérialisme anglais à la fin du XIXème siècle. Il lançait ainsi un appel aux Etats-Unis afin qu’ils viennent soutenir l’Angleterre et la France dans leurs missions « civilisatrices » en Afrique et en Asie. Aujourd’hui, c’est au tour du président François Hollande d’assumer ce fardeau afin d’apporter un brin de stabilité en Afrique centrale ».

MacShane pense que c’est peine perdue : « Le palmarès des anciennes puissances impériales qui ont cherché à imposer leur vision à des régimes qui font fi de nos valeurs « civilisées » n’est guère encourageant […] Dans tout les pays où elles ont établi une présence, elles laissent derrière elles plus de problèmes que de solutions ». Il ajoute : « Ce n’est pas la fin de l’Histoire qui doit nous troubler, mais plutôt le fait que l’on n’en tire plus aucun enseignement, surtout lorsqu’il s’agit d’événements récents ». L’ancien ministre de Blair évoque ainsi l’expérience de son gouvernement, en 2000, en Sierra Leone qui, « douze ans plus tard, reste un des pays les plus pauvres et les plus corrompus de la planète ».

Voilà qui ne va pas remonter le moral de Hollande ni celui de ses troupes. Le chef de l’Etat l’a dit hier à Bangui : c’est une mission « dangereuse mais nécessaire » pour éviter « un carnage ». « Je suis là pour pacifier le terrain » a-t-il ajouté ; un discours façon « guerre d’Algérie » ! De ses entretiens avec les responsables politiques locaux (il aurait rencontré le président Michel Djotodia à l’aéroport), rien n’a filtré mais qui peut penser que le dialogue ait été serein et constructif : pas le genre de Djotodia. Nous sommes, là encore, « au cœur des ténèbres ».

Et le portrait de « Djo » que dresse ce matin (mercredi 11 décembre 2013) Les Echos est éloquent : « On comprend que François Hollande ne soit pas emballé de devoir traiter avec un tel homme de confiance. Mais à soixante-trois ans, Déya, auquel son passage au petit séminaire à valu le prénom de Michel, n’est pas près de céder le pouvoir, il a eu assez de mal à l’obtenir au gré de ses fidélités. Ses quatorze années passées en URSS, son expérience de diplomate en ont fait un polyglotte, il n’est tout de même pas facile à décrypter ».

C’est le moins que l’on puisse dire. On ne sait d’ailleurs pas quels ont été les sponsors de « Djo », lui facilitant l’acquisition des 4 x 4, des armes et des moyens de télécoms qui lui ont permis de conquérir Bangui en mars 2013. Seule constatation : depuis son accession au pouvoir, l’opposition musulmans/chrétiens a été instrumentalisée et c’est une nouveauté dans ce pays. Mais il est vrai que ce n’est pas par le biais de la politique ou de l’idéologie que le chaos pouvait être créé.

Laurent Fabius l’a dit : la RCA est un « Etat néant ». Et le pays ne vaut pas mieux. On peut d’ailleurs légitimement se poser la question de savoir quelle signification aurait une consultation électorale dans un pays en miettes qui n’a jamais connu ne serait-ce qu’un semblant de démocratie. Et même une élection démocratique ne garantirait pas l’efficience du président élu.

La Centrafrique n’est pas le Mali et l’Afrique centrale n’est pas l’Afrique de l’Ouest. Biya, Bongo, Déby, Nguema, Sassou sont comme les cinq doigts d’une même main. Pas franche. La force régionale de 3.000 soldats africains présente en RCA est constituée, pour l’essentiel, d’hommes fournis par le Cameroun, le Gabon, le Tchad et le Congo. Tout juste aptes à faire du gardiennage ! Et la CEEAC n’est pas la Cédéao. Par ailleurs, au Mali, quel que soit l’état de délabrement de l’administration au temps d’Amadou Toumani Touré, les institutions avaient une réalité qu’elles n’ont pas dans cet « Etat néant » qu’est la RCA. « Serval » combattait des groupes armés identifiés dans les confins désertiques du Nord-Mali tandis que « Sangaris » est confronté à des individus armés incrusté dans une capitale qui rassemble plus du quart de la population centrafricaine tandis que la brousse permet toutes les positions de repli imaginables (sans oublier les caches d’armes).

Autant dire que « Sangaris » ne sera pas un remake de « Serval ». Le général Francisco Soriano, qui a quitté la tête des Forces françaises au Gabon (FFG) pour diriger « Sangaris », le sait. C’est un homme de terrain et d’expérience : cinquante-quatre ans, Saint-Cyrien, formaté par les Troupes de marine, il a été le chef de corps du 11ème Régiment d’artillerie de marine (RAMa) avant de commander la 7ème Brigade blindée dont l’état-major est basé à Besançon. A ce titre, il a été le patron du contingent national français à Kaboul, entre novembre 2012 et avril 2013, chargé d’assurer la protection des convois logistiques dans le cadre du retrait des forces françaises d’Afghanistan.

Si l’intervention française au Mali avait reçu (globalement) l’assentiment de la classe politique et de l’opinion, ce n’est pas le cas de celle en cours en RCA. Certes, elle coûte moins cher puisqu’il n’y a pas (pour l’instant) de rotations aériennes, mais si le danger du « terrorisme islamique » au Nord-Mali pouvait apparaître comme un risque « collatéral » aux Français, ces affaires de massacres inter-religieux ou inter-ethniques, parfois à la machette, en Afrique centrale, dans un pays considéré comme la plus monstrueuse des caricatures, est d’abord une affaire de « nègres ».

Au Mali, il fallait défendre les « bons » (Bamako) contre les « méchants » (les « islamistes radicaux » et autres « terroristes »). En RCA, qui sont les « bons » et qui sont les « méchants » ? « Djo » est arrivé au pouvoir à la suite d’une guerre de conquête, il a débarrassé le pays d’un autocrate mais qui peut avoir envie de mourir pour lui ? Faut-il donc mourir pour éviter le « carnage » promis par Hollande ou, comme il l’a dit devant les cercueils de Nicolas Vokaer et Antoine Le Quinio, « pour sauver autant de vies que possible » ? Pas très motivant quand on lit les reportages des journalistes sur place qui évoquent « une dynamique infernale de représailles » et ce « match retour » (autre nom de la vengeance) mortel et barbare.

« Au cœur des ténèbres », Paris cherche une lueur d’espoir. Mais ce n’est pas en RCA ou en Afrique centrale qu’elle la trouvera. L’opération « Serval » a été déclenchée à la demande des autorités de Bamako. Mais auparavant, il avait fallu négocier le retrait du pouvoir des putschistes et mettre en place des institutions de transition qui tiennent la route : un président de la République par intérim aussi constitutionnel que possible et un premier ministre crédible. Au Mali, la France et la « communauté internationale » avaient des interlocuteurs et connaissaient les acteurs de la crise. Rien de cela en RCA. « Who’s Who ? ». « L’objectif est-il réaliste ? François Hollande soutient-il, ou non, Michel Djotodia ? Est-on capable de remplir la mission dans les délais ? » a interrogé Christian Jacob, président du groupe UMP à l’Assemblée nationale où, hier, mardi 10 décembre 2013, un débat a été organisé sur cette intervention française.

Les experts militaires évoquent la nécessité d’une présence décennale si on veut éviter que la RCA ne retombe dans ses errements du passé. Pas sûr que dix ans suffisent. Pas sûr non plus que ce soit le job de la France de régler les problèmes politiques des Centrafricains. C’est le fond du problème. A quel titre sommes-nous à Bangui ? Jacob évoque une cause « noble, juste, et conforme aux valeurs de la République ». Que ce soit un leader de la droite française qui agite ce drapeau n’est pas fait pour me rassurer. Que ce soit un leader de la gauche, devenu président de la République, qui ait engagé la France dans cette « cause » ne manque pas de me poser problème. Mais, c’est vrai, nous sommes « au cœur des ténèbres »… !

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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Vos commentaires

  • Le 17 décembre 2013 à 03:21, par fis da bidjan En réponse à : Centrafrique. L’armée française « au cœur des ténèbres » (2/2)

    Pauvre RCA tu seras occupé pour toujours comme la RCI. Courage. Nous en RCI c’est fini on a perdu toute indépendance et toute souveraineté. Ils sement la zizanie et se servent d’elle pour s’installer definitivement et contrôler au mieux leurs opérations de pillage des ressources naturelles et ça s’appelle ’’necessité d’une présence decennale’’ ou "Etablissement de la democratie" . yako

  • Le 17 décembre 2013 à 10:28, par fis da bidjan En réponse à : Centrafrique. L’armée française « au cœur des ténèbres » (2/2)

    C’est bizarre mes post ne passent pas je crois que ce n’est pas à cause de mes propos je dis rien de grave que la France est à la base de tout et se croie à la hauteur de tout .

  • Le 17 décembre 2013 à 20:20, par le burkinabe En réponse à : Centrafrique. L’armée française « au cœur des ténèbres » (2/2)

    article intéressant ! ce qui m’inquiète en RCA est ceci : on savait ce pays en difficulté mais les dernières tournures sont plus inquiétantes. depuis mars 2013, on disait que c’est SELEKA qui traumatisait des civils ; jamais je n’ai entendu que les civils se sont affrontés sur des bases réligieuses ! mais dépuis l’arrivée de Sangaris, des civils chrétiens s’en sont pris aux civils musulmans ; allant meme jusqu’à vouloir proclamer la fin de l’islam en RCA !
    Cela est d’autant plus inquiétant que SELEKA n’a pas dit avoir pris le pouvoir pour installer une théocratie musulmane.
    Ce que je pense est les gens cherchent à provoquer un mouvement venant des civils musulmans pour résister aux Anti-Balaka ; ainsi on va crier au terrorisme international ! Toute révendication musulmane (à ne pas confondre avec islamiste) est vue en Occident comme du terrorisme ! Dommage que l’Africain moyen ne comprend rien à la politique internationale !

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