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Nelson Mandela : au-delà des hommagesretenir les leçons d’un homme politique réaliste (1/2)

Publié le mardi 10 décembre 2013 à 00h51min

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Nelson Mandela : au-delà des hommagesretenir les leçons d’un homme politique réaliste (1/2)

Nelson Mandela est mort ! L’information tombe en ce jeudi 5 décembre 2013 alors que Paris est à la veille d’accueillir une flopée de chefs d’Etat et de gouvernement du continent africain et que, dans quelques jours (samedi 7 décembre 2013), il y aura vingt ans qu’est mort Félix Houphouët-Boigny. Les symboles se bousculent. Ajoutons à cela que Paris s’engage militairement, dans le même temps, en République centrafricaine.

Si j’évoque, à cette occasion, le « Vieux », c’est aussi qu’il a été le promoteur du « dialogue » avec l’Afrique du Sud de l’apartheid, ce qui ne lui a pas valu que des amis en Afrique et ailleurs mais a peut-être fait avancer les choses. L’Afrique va donc être, pour quelques jours, sur le devant de la scène médiatique.

Positivement. Pas sûr que ça change grand-chose mais bon, pour une fois qu’un chef d’Etat africain fait l’unanimité ne boudons pas notre plaisir. Nelson Mandela est une star internationale. Il ne lui a fallu qu’une décennie (1990-1999) pour devenir une légende vivante, l’Africain noir le plus célébré dans le monde. Mort (après une fin interminable sur laquelle planera toujours un mystère « politique » - cf. LDD 022/Jeudi 18 juillet 2013). Sa vie pourrait tenir en quelques dates : sa naissance en 1918 ; son arrestation en 1962 ; sa condamnation à la prison à vie pour terrorisme en 1964 ; sa libération en 1990 ; le Nobel de la paix en 1993 ; son élection en 1994 ; son retrait de la vie politique en 1999 ; sa mort le jeudi 5 décembre 2013. Toute une vie.

La mienne aussi. L’apartheid a fait de l’Afrique du Sud une terra incognita pour des générations d’africanistes français. C’était une autre Afrique. Dans nos rêves de terres noires, elle était notre cauchemar d’homme blanc. D’autant plus que Paris pratiquait à l’égard de Pretoria une diplomatie non dépourvue d’hypocrisie. En août 1970, jeune journaliste, je m’étais installé à Dar es-Salaam. 1970 : année du centenaire de la naissance de Lénine. Impossible de l’oublier dans la capitale tanzanienne qui était alors le siège des mouvements de libération reconnus par l’OUA. Je m’y suis lié avec Marcelino Dos Santos, alors secrétaire général du Frelimo, le Mouvement de libération du Mozambique, et je fréquentais assidument le siège des autres organisations nationalistes.

C’est ainsi que j’ai découvert dans Sechaba, le bulletin officiel de l’ANC, la personnalité de Nelson Mandela. Il avait fait notamment la couverture du numéro daté du 2 février 1970. La photo prise par Eli Weinberg – et qui le représente dans la tenue traditionnelle de la famille royale des Thembu – a depuis fait le tour du monde. Six années auparavant, le vendredi 12 juin 1964, il avait été condamné à l’emprisonnement à vie alors que les observateurs s’attendaient à un verdict de peine de mort. En 1970, Mandela n’était encore qu’un prisonnier à vie enfermé à Robben Island.

Le procès de Rivonia, à l’issue duquel il avait été condamné, avait été suivi dans le monde entier non seulement par les « révolutionnaires » et autres « anti-impérialistes », mais également par tous ceux que le racisme en général et le régime de l’apartheid en particulier révulsaient. Certes, le nom de Mandela sera, tout au long de ses vingt-sept années d’emprisonnement, scandé sans fin dans tous les meetings de San Francisco à Tokyo, en passant par New York, Londres et Paris. Mais combien de ceux qui criaient son nom comme on crie « liberté » connaissaient la réalité de son combat et celui de l’ANC.

Mandela, dans les années 1970, faisait d’autant plus l’unanimité parmi la jeunesse et l’intelligentsia « occidentale » que l’Afrique du Sud était loin des capitales européennes et Nord-américaines (où les icônes des ghettos noirs étaient alors Malcolm X et Stokely Carmichael) et que personne ne pouvait imaginer qu’il sortirait libre, un jour, de son pénitencier du bout du monde. La prison à vie rend plus fréquentables les « terroristes » et les « communistes » ; ils sont inaccessibles et la presse raconte leur vie comme, autrefois, les livres de catéchisme « La Vie des Saints » ! Après tout, le « Che », une fois mort, est devenu un best-seller sur papier glacé format poster avant d’orner le T.shirt des « Bobos ». Et la réalité sud-africaine s’effaçait, trop souvent, devant les performances de ses rugbymen, de ses hommes d’affaires et de ses chirurgiens.

Le reflux des mouvements révolutionnaires dans le monde, l’échec des expériences « socialistes » en Afrique et ailleurs, laissaient penser aux autres que l’apartheid était, sur le continent, un moindre mal : le prix à payer pour parvenir à rendre performant un pays doté par la nature de prodigieuses richesses minérales (et stratégiques). Certes, la « communauté internationale » avait sanctionné la République Sud-Africaine en l’excluant des organisations mondiales et en prononçant, à son encontre, des mesures d’embargo ; mais ces sanctions étaient plus symboliques qu’effectives. Et l’isolement diplomatique de l’Afrique du Sud n’était qu’un thème annuel de discussion lors des rencontres des pays membres du Commonwealth.

Mandela, un symbole, allait vite devenir un mythe. Vingt ans après sa condamnation à la prison à vie, on évoquait toujours son nom ; un peu plus fort quand les ghettos de Sharpeville ou de Soweto explosaient. Jetez un œil sur les rayons de votre bibliothèque. Vous n’y trouverez guère de livres consacrés à l’Afrique du Sud –versant noir – et moins encore à Mandela. Il a fallu attendre 1987 pour que le groupe Jeune Afrique publie, sous la signature de François Soudan, Mandela l’indomptable, la première biographie en français consacrée au nationaliste sud-africain. 1987 ! Cela faisait cinq ans que Mandela avait été transféré du pénitencier de Robben Island à la prison de Pollsmoor, près du Cap. L’heure des négociations avait sonné. Début 1986, Mandela avait pu s’entretenir avec un groupe de sept « personnalités éminentes » déléguées par le Commonwealth et conduites par le général nigérian Olusegun Obasanjo et l’ancien premier ministre australien Malcom Fraser.

Quand Mandela a été libéré de prison, le dimanche 11 février 1990, j’étais en reportage à Abidjan, capitale de la Côte d’Ivoire. J’ai assisté en direct, sur CNN, à la retransmission de la libération triomphale du leader nationaliste sud-africain dans le bureau de Balla Keïta. Il était alors, pour quelques jours encore, le tout-puissant ministre de l’Education nationale (le samedi 17 février 1990, les étudiants vont s’insurger sur les campus ; la Côte d’Ivoire ne le savait pas encore mais elle allait entrer, rapidement, dans une période troublée qui va conduire à l’instauration du multipartisme).

Balla Keïta (assassiné à Ouagadougou en août 2002) avait été, en septembre 1975, alors qu’il était directeur de la recherche scientifique, un des membres de la délégation ivoirienne qui avait séjourné en Afrique du Sud à la demande du président de la République de Côte d’Ivoire. Formé en Allemagne, il maîtrisait parfaitement la langue de Goethe proche de l’afrikaans. Le président ivoirien Félix Houphouët-Boigny était le partisan le plus affiché du « dialogue » avec le régime quasi universellement honni (du moins officiellement) de Pretoria. Le 21 septembre 1974, déjà, il avait rencontré, dans sa ville natale, Yamoussoukro, le premier ministre sud-africain John Vorster.

Seize ans plus tard, chacun pensera – et affirmera haut et fort – être l’homme providenciel qui avait permis à Mandela de sortir des geôles sud-africaines (à noter que dans sa première autobiographie, publiée en 1994, Mandela ne fait pas référence à la démarche d’Houphouët). Sa libération était certes le résultat d’une incessante mobilisation internationale. Elle était surtout et essentiellement le fait de la lutte de centaines de milliers d’hommes et de femmes – Noirs, Blancs et Métis – sur le terrain sud-africain : arrêtés, emprisonnés, torturés, assassinés… Pas que des militants de l’ANC !

Quoi qu’il en soit, Mandela était libre. Libre d’aller et de venir. Et de poursuivre le combat jusqu’à l’éradication totale de l’apartheid en Afrique du Sud et la victoire politique de l’ANC.

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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