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Incivisme et Patriotisme au Burkina Faso : Analyse des correspondances multiples à travers l’enquête sur les valeurs de 2010

Publié le dimanche 8 décembre 2013 à 18h36min

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Incivisme et Patriotisme au Burkina Faso : Analyse des correspondances multiples à travers l’enquête sur les valeurs de 2010

Le thème du 11 décembre 2013 « Civisme et cohésion sociale : fondamentaux d’un développement durable » portant sur le 53e anniversaire de la fête nationale de notre pays peut orienter la réflexion sur le patriotisme qui est le fondement du civisme. Etant donné le niveau d’incivisme qui a atteint un seuil critique au Burkina Faso, quel peut-être le niveau de patriotisme des burkinabè ? Quels profils ont les burkinabè considérés comme patriotes ?

Pour apporter des réponses à ces questions, l’auteur de cet article utilise des données d’une enquête réalisée en 2010 par le Centre pour la Gouvernance Démocratique (CGD) et un outil d’analyse statistique dénommé Analyse des Correspondances Multiples (ACM).

Il ressort que les burkinabè dans une grande majorité sont des patriotes, le patriotisme entre autres a un visage jeune et urbain, les actes d’incivisme ne sont pas une remise en cause du sentiment patriotique et l’éradication du phénomène de l’incivisme passera nécessairement par la prise en compte des aspirations des jeunes.
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Le 11 décembre 2013, le Burkina Faso commémora son 53e anniversaire de la fête nationale sous le thème « Civisme et cohésion sociale : fondamentaux d’un développement durable »

Ce thème qui cible le civisme n’est pas fortuit car jamais il n’a été dans une phase aussi critique que maintenant. Actuellement, les actes d’incivisme sont légion au Burkina Faso et les autorités politiques et administratives ont entamé une vaste campagne de communication et de sensibilisation (impliquant différents leaders d’opinion et notamment les leaders religieux et traditionnels) pour calmer les ardeurs dans un pays ou de plus en plus l’incivisme devient la règle de conduite.

Pourtant il est établi que le civisme est le fondement du patriotisme. Ces actes d’incivisme veulent-ils signifier que le sentiment patriotique des burkinabè est également hypothéqué ?
Le patriotisme au sens définitionnel se mesure à travers l’attachement qu’on a pour son pays.
Le patriote est celui qui aime son pays et est prêt à le servir. Et il n’y a pas de meilleure expression du patriotisme que celle de défendre ses couleurs et éventuellement quand il est en danger (notamment en cas de guerre).

L’enquête sur les valeurs réalisée en 2010 par le Centre pour la Gouvernance Démocratique (CGD) permet de mesurer ce sentiment ou du moins de recueillir les points de vue des burkinabè sur leur patriotisme.

Cette enquête réalisée auprès d’un échantillon de 1200 citoyens âgés de 18 ans et plus et vivant dans les treize régions (13) du pays avait dans son outil de collecte une question formulée comme suite : « Naturellement, nous espérons tous que notre pays continuera de vivre en paix avec ses voisins. Mais en cas de guerre, seriez-vous prêt à combattre pour votre pays, le Burkina Faso ? ». Au vue des définitions ci-dessous et des critères d’appréciation du patriotisme, cette question pourrait être utilisée comme variable « proxy » pour la mesure du patriotisme des burkinabè.

Des résultats de cette enquête, il ressort que les burkinabè dans une grande majorité (plus de 4 burkinabè sur 5) peuvent être considéré comme des patriotes car prêts à aller au front pour défendre la patrie en cas de guerre. A peine 1 burkinabè sur 10 (12%) n’est pas prêt à risquer sa vie pour le pays (donc considérer comme non patriotes) et 4% reste indécis face à cette question.

Graphique : Seriez-vous prêt à combattre pour votre pays, le Burkina Faso en cas de guerre ?


Source : CGD : Enquête sur les valeurs, 2010

Le niveau general de patriotisme des burkinabè étant déterminé, il serait intéressant de décrire les profils des patriotes. Des outils statistiques et plus précisément l’Analyse des Correspondances Multiples existent et permettent d’apporter des réponses au point soulevé.

Hypothèses de travail
Pour réaliser une ACM, il convient de faire le choix des variables pertinentes sensées expliquer la variable d’intérêt qu’est ici le patriotisme. Pour ce faire, les hypothèses de travail suivantes sont établies :

Facteurs économiques et politiques :

Selon le philosophe français Michel Lacroix : « l’attachement à son pays est un sentiment qui a besoin d’être entretenu par des facteurs économiques et politiques ». Ainsi avoir un emploi, bénéficier des moyens de l’État-providence, pouvoir exercer la citoyenneté… pourraient être des ingrédients qui « assaisonnent le sentiment patriotique ».
Ainsi dans l’analyse, a été testé le lien entre le patriotisme et les facteurs suivants : le bonheur, le satisfaction de la vie menée, la situation financière du ménage, la proximité à un parti politique.

Caractéristiques socio-démographiques :

Le lien entre caractéristiques sociodémographiques et patriotisme a également été testé dans cette analyse. Les variables utilisées sont : la région, le milieu de résidence, l’âge, le niveau d’éducation, le statut matrimonial, l’appartenance à une confession religieuse, l’ethnie.

Variables liées au civisme :

Enfin le lien entre un certain nombre de variables liées au civisme et le patriotisme a été testé. Il s’agit des variables suivantes : exiger du gouvernement des bénéfices ou privilèges auxquels on n’a pas droit, frauder dans le paiement des impôts et des taxes lorsqu’on en a l’occasion, accepter des pots-de-vin dans le cadre de son travail.

Résultats

L’analyse des correspondances multiples illustre les profils suivants pour les patriotes :

De ces résultats, les points importants portant sur le patriotisme au Burkina Faso à retenir sont :
-  Le patriotisme, un visage urbain et jeune : les patriotes se retrouvent au niveau des jeunes (moins de 35 ans) habitant les centres urbains du Burkina Faso.

-  Le patriotisme, un sentiment vécu par les personnes d’un certain niveau d’éducation : les patriotes au Burkina Faso sont des gens qui ont au moins achevé l’école primaire.

-  Le patriotisme, un sentiment vécu par les « moins nantis » du point de vue économique et affectif : les Burkinabè ayant un attachement profond au pays sont des gens qui estiment être malheureux et ne sont pas satisfaits de la vie qu’ils mènent . Cela confirme l’assertion « A celui qui n’a rien, la Patrie est son seul bien » de Jaurès.

-  Le patriotisme, un sentiment vécu par les personnes neutres en politique et en religion : les burkinabè considérés comme patriotes affirment ne pas être proches d’un parti politique et n’appartenir à aucune confession religieuse.

-  Des régions et des ethnies se distinguent par leur patriotisme : Pour des questions déontologiques, aucune région, ni ethnie ne sera indexée dans les résultats. Toutefois il est important de retenir que le patriotisme au Burkina Faso est régional (les patriotes se retrouvent dans les régions codifiées I, L, N, et F) et ethnique (les patriotes se retrouvent dans les ethnies codifiées W_Q12, F_Q12, J_Q12, Z_Q12, H_Q12, U_Q12, et A_Q12).

-  Les patriotes mesurent en partie les droits et les devoirs que les citoyens ont envers l’Etat : Pour les enquêtés considérés comme patriotes, frauder dans le paiement des impôts et des taxes lorsqu’on en a l’occasion ou exiger du gouvernement des bénéfices ou privilèges auxquels on n’a pas droit n’est jamais un acte justifié. Par contre accepter des pots-de-vin dans le cadre de son travail est selon eux toujours justifié.

A l’épilogue de cet article, l’on peut retenir que :

Contrairement à l’ordre établi, la monté de l’incivisme au Burkina Faso n’est pas due à un désaveux de la partie. Les burkinabè dans une majorité restent attachés au pays et sont prêts à faire de gros sacrifices pour le défendre et le protéger.

Les jeunes citadins en particulier (qui sont au cœur des actes d’incivisme dans les villes du pays) sont les garants du patriotisme au Burkina Faso. Mais leur situation économique précaire, le sentiment d’être malheureux et leur niveau d’instruction élevé qui permet de comprendre les enjeux liés à la gestion des affaires publiques orientent leurs comportements. Ainsi les pratiques inciviques en monté ces derniers temps ne traduisent pas une remise en cause de la patrie, mais peuvent être assimilés à des formes d’expression politique non conventionnelles pour en réalité exiger la prise en compte de leurs aspirations dans la gestion des affaires publiques .

Des actions doivent être menées pour canaliser ces jeunes qui constituent l’avenir du pays et la force motrice de son développement. Leurs aspirations sont connues et s’orientent vers la lutte contre le chômage par la création d’emploi, une distribution plus équitable des fruits de la croissance, une justice plus équitable, le renouvellement de l’élite dirigeante et plus de place accordée aux jeunes dans les processus de prise de décision, la lutte contre les formes d’incivisme lié à la gestion des ressources publiques (concussion, corruption, l’incivisme fiscal) et l’exemplarité dans l’utilisation de la force publique.

Adama Tiendrebéogo
Economiste-statisticien
E-mail : tabz822@yahoo.fr

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Vos commentaires

  • Le 8 décembre 2013 à 21:41 En réponse à : Incivisme et Patriotisme au Burkina Faso : Analyse des correspondances multiples à travers l’enquête sur les valeurs de 2010

    Analyse impeccable ! Ce que les dirigeants actuels appellent incivisme est en fait un rejet de leur gouvernance médiocre par la jeunesse. Malheureusement le régime se trompe d’époque en croyant que donner de l’argent a des chefs coutumiers ou religieux suffirait a endormir la conscience des jeunes, que nenni ! Que l’on arrête de ne voir en l’incivisme que la casse des jeunes énervés. Cette colère généralement légitime découle de l’incivisme managériales et fiscal des apatrides tapis dans je ne sais ou. Personne n’aime ce pays plus que les jeunes, mais donnons leur une chance de se compter comme des acteurs a part entière. Arrêtons de vouloir les utiliser comme bétail électoral ou politique. Et pour ce faire, il faut appréhender l’ère du temps, ils sont plus mûrs que les dirigeants actuels, et ne sont pas des victimes des traumatismes révolutionnaires ou des assassinats sous le front populaire de Blaise.
    L’article conclut très bien par une proposition qui a elle seule vaudrait mieux que tous ces séminaires et autres grandes rencontres sur l’incivisme. "Des actions doivent être menées pour canaliser ces jeunes qui constituent l’avenir du pays et la force motrice de son développement. Leurs aspirations sont connues et s’orientent vers la lutte contre le chômage par la création d’emploi, une distribution plus équitable des fruits de la croissance, une justice plus équitable, le renouvellement de l’élite dirigeante et plus de place accordée aux jeunes dans les processus de prise de décision, la lutte contre les formes d’incivisme lié à la gestion des ressources publiques (concussion, corruption, l’incivisme fiscal) et l’exemplarité dans l’utilisation de la force publique.".

  • Le 9 décembre 2013 à 01:09, par verite no 1 En réponse à : Incivisme et Patriotisme au Burkina Faso : Analyse des correspondances multiples à travers l’enquête sur les valeurs de 2010

    L’incivisme ne veut pas dire manque de patriotisme au Burkina, les gens veulent seulement dire non a la mauvaise repartition des biens. Ce n’est pas normal que quelqu’un se donne le luxe d’octroyer des voitures et des parcelles a sa maitresse pendant que le citoyen moyen n’arrive pas a avoir 2 repas par jour. L’incivisme nait alors et il faudra une sensibilisation ou la creation d’un ministere des valeurs civiques pour palier a ce probleme.

  • Le 9 décembre 2013 à 09:44, par YN En réponse à : Incivisme et Patriotisme au Burkina Faso : Analyse des correspondances multiples à travers l’enquête sur les valeurs de 2010

    Bonjour

    Belle tentative. J’ai toutefois des questionnements sur la pertinence des résultats aux niveaux des régions et des éthnies. L’échantillon me parait dérisoire pour un tel exercice car, avec 1200 personnes dans l’échantillon, cela revient à moins de 100 personnes en moyenne par région et si on considère 60 ethnies au bas mots au Burkina, on aurait moins de 20 personnes par éthnie en moyenne. Il y a donc forcement une mauvaise représentation des régions et des éthnies dans l’échantillon. Il est certain qu’il est fortement influencé par les zones comme Ouagadougou et Bobo Dioulasso sur lesquelles sûrement une bonne partie de l’échantillon est alloué.
    Bonne journée

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