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Djibrill Y. Bassolé : un médiateur veut être « utile » à ceux qui ont choisi « la guerre des hommes » plutôt que « la guerre des idées » (1/2)

Publié le samedi 7 décembre 2013 à 07h38min

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Djibrill Y. Bassolé : un médiateur veut être « utile » à ceux qui ont choisi  « la guerre des hommes » plutôt que « la guerre des idées » (1/2)

Cela tombe bien. Et c’est sans doute un hasard du calendrier. Dans quelques jours, à L’Elysée, les chefs d’Etat africains vont faire d’une pierre deux coups : leurs courses de Noël à Paris et la participation à la conférence Afrique-France sur le thème de la paix et de la sécurité. Et puis, il y a la situation qui prévaut au Mali : Bamako grogne contre la France qui aurait trop tendance à privilégier le dialogue avec le MNLA ; et, par effet collatéral, c’est la médiation menée par le Burkina Faso qui se trouve ainsi mise en cause.

« L’accord préliminaire de Ouagadougou » a permis, en réintégrant dans la négociation le MNLA et d’autres « groupes armés non-terroristes », d’aller à l’élection présidentielle malgré la situation qui prévalait à Kidal. Ibrahim Boubacar Keïta étant élu, chacun, à Bamako, tend à oublier d’où vient le Mali. Djibrill Y. Bassolé, ministre d’Etat burkinabè, ministre des Affaires étrangères et de la Coopération régionale, avait déjà, récemment, souhaité faire le point sur cette question. Enfin, pas directement mais par raccroc : c’était le jeudi 21 novembre 2013 dans le cadre du point presse gouvernemental.

Ce jour-là, Bassolé avait appelé à rester « solidaires » et à ne pas faire apparaître de divergences au sein de la coalition (cf. LDD Burkina Faso 0396/Jeudi 21 novembre 2013). Il vient de « remettre le couvert ». Dans un autre contexte ; dans une autre perspective. Le jeudi 28 novembre 2013, dans le cadre de l’amphi Leclair de Sciences Po Lyon, de 18 h à 20 h, Bassolé a planché sur le thème : « Processus de médiation du Burkina Faso dans les conflits en Afrique de l’Ouest : cas de la Côte d’Ivoire et du Mali ». Beau sujet.

On notera que la Côte d’Ivoire, vieille affaire (qui a trouvé son épilogue voici trois ans avec la présidentielle 2010), revient ainsi sur le devant de la scène diplomatique. Si la situation que connaît le Mali n’a rien à voir avec celle qu’a connue la Côte d’Ivoire, la réussite de la médiation burkinabè dans le cadre du « dialogue inter-malien » est un point d’appui et une référence pour Ouagadougou. L’occasion de « clouer le bec » à ceux qui pensent que Ouaga a failli dans sa mission au Mali.

Il n’est pas inutile non plus de rappeler que Beyon Luc Adolphe Tiao, actuel premier ministre burkinabè, lorsqu’il était ambassadeur à Paris, avait rédigé un ouvrage sur ce sujet des médiations de Blaise Compaoré. Son ouvrage était quasiment achevé quand la crise post-présidentielle ivoirienne a changé la donne. Et, dans le même temps, les « mutineries » mettaient le Burkina Faso dans une situation politique difficile.

Tiao avait été rappelé de Paris à Ouaga pour prendre la suite de Tertius Zongo à la primature. Son livre se trouvait, du même coup, inachevé. C’est donc Bassolé qui apporte sa pierre à l’édifice. Et, pour l’occasion, il a appelé à la rescousse deux hommes sous les auspices desquels il a placé son intervention. Victor Hugo d’abord : « La guerre, c’est la guerre des hommes, la paix, c’est la guerre des idées ». René Descartes ensuite : « C’est proprement ne rien valoir que de n’être utile à personne ». Déjà, lors du point presse gouvernemental, Bassolé avait rappelé que « la médiation est un processus continu difficile à mettre en œuvre » et qui nécessairement suscite des « critiques », des « voix dissidentes ». « Normal, avait souligné Bassolé, les critiques et les divergences sont générées par les crises que, justement, les médiations visent à résoudre ». Ouaga a donc déclenché « la guerre des idées » pour empêcher « la guerre des hommes » !

Pour le reste, Ouaga entend rappeler à ceux qui seraient prompts à critiquer son action que la finalité de celle-ci est d’être « utile »*. Rien d’autre. Nécessaire précision quant on prête aux Burkinabè des ambitions hégémoniques régionales. Sans compter le reste. Il est vrai que les médiations menées sous les auspices de Compaoré ont un impact continental et international significatif ; mais c’est, d’une part, qu’il a les moyens politico-diplomatiques de les conduire, et, d’autre part, qu’il a en la matière un réel savoir-faire.

Notons, cependant, que sa réussite est, aussi, celle du Burkina Faso, de ses gouvernements et de son administration, mais également de sa population : elle a été concernée, au premier chef, par la situation de crise qui prévalait en Côte d’Ivoire ; elle l’a été à nouveau, dans une moindre mesure (mais il suffit de faire un tour du côté de Bobo Dioulasso et des frontières pour relativiser cette impression), par l’afflux de réfugiés maliens sur son pourtour, de l’Ouest jusqu’au Nord du pays.

Pourquoi devient-on médiateur ? D’abord, parce que les sociétés africaines vivent « une crise de croissance » affirme Bassolé, à juste titre (c’est la thèse que j’ai toujours développée, notamment à l’occasion des « mutineries » de 2011). « L’Afrique de l’Ouest, précise-t-il, a particulièrement été éprouvée par certains foyers de tensions exacerbées par les sentiments de frustration, d’exclusion et d’injustice ressentis par certains groupes sociaux. Ainsi, les crises que la région a enregistrées sont issues de la mal-gouvernance, de la défaillance des processus électoraux, de la confiscation du pouvoir par des clans, de la mauvaise répartition des richesses du pays, etc ».

Ensuite, nous dit-il, cette « implication du Burkina Faso […] résulte fondamentalement de sa Constitution » qui prône la paix, la coopération internationale, le règlement pacifique des différends entre Etat… On peut, cependant, douter que quelques mots dans une charte, fut-elle fondamentale, puisse changer quoi que ce soit. Les Constitutions sont, chacun le sait, à géométrie variable.

Heureusement, Bassolé avance d’autres arguments : « la position géographique » du pays « au cœur de l’Afrique de l’Ouest » ; son « enclavement » qui fait que le pays a des frontières en commun avec six pays ; sa « tradition d’ouverture et d’accueil ». Mais c’est le dernier argument qui me semble fondamental : « sa connaissance des différents protagonistes et acteurs des crises […] ainsi que l’environnement de ces crises ».

Bassolé, cependant, fait l’impasse sur deux éléments fondamentaux : 1 – Une diaspora présente massivement dans la région et dont l’évolution économique et sociale est liée à la bonne gouvernance dans les pays d’accueil. 2 – Des équipes gouvernementales et une administration qui sont à la hauteur de la tâche ; il n’est qu’à observer l’organisation des sessions de médiation pour s’en convaincre, car ce job, plus qu’aucun autre, est à temps complet et ne souffre pas l’improvisation ni l’à-peu-près.

Bassolé dit encore que le Burkina Faso « inscrit sa démarche dans le cadre d’une action concertée avec les pays voisins et les partenaires de la communauté international ». C’est bien plus une formule de politesse (et une nécessité diplomatique) qu’une reconnaissance effective du rôle joué par les institutions africaines. Bassolé parle d’ailleurs « d’accompagnement » et de « contributions multiformes ».

On peut regretter, d’ailleurs, que ces actions de médiation ne soient pas du ressort des organisations multilatérales, ce qui éviterait qu’un Etat ne soit trop impliqué personnellement dans ces opérations au risque d’être accusé de dérives (Blaise Compaoré est mandaté comme médiateur au Mali par la Cédéao dont le président de la Commission est un Burkinabè ; tout dérapage sera nécessairement mis au compte de Ouaga). Mais bien évidemment, on ne peut reprocher au Burkina Faso de faire un job que personne d’autre n’est en mesure d’assurer.

* Djibrill Y. Bassolé rappelle que, hormis le Mali, Blaise Compaoré a été désigné médiateur et facilitateur dans les crises qu’ont connu le Togo (1990-1993 et 2005-2006), le Niger (1992-1995), la Côte d’Ivoire (2002-2007), la Guinée (2009-2010). Les dates limites qu’il cite sont celles de la crise proprement dite ; il est bien évident que la résolution de la crise par un accord ne signifie pas pour autant la fin de la médiation, loin de là.

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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