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Taipei s’ancre durablement en Afrique au-delà… de ses positions diplomatiques (1/2)

Publié le mardi 26 novembre 2013 à 23h15min

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Taipei s’ancre durablement en Afrique au-delà… de ses positions diplomatiques (1/2)

Il y avait le Burkina Faso, la Gambie, Sao Tomé & Principe et le Swaziland. C’était le dernier carré des ambassades de la République de Chine sur le continent africain. Afrique de l’Ouest, Afrique centrale et Afrique australe. Un pays enclavé et sahélien ; un fleuve et ses rives ; des îles et îlots du golfe de Guinée ; un royaume à l’histoire controversée. Un anglophone ; un francophone ; un lusophone ; un swatiphone.

Hormis le Burkina Faso qui compte pas loin de 20 millions d’habitants et une diaspora tout autant significative, la Gambie c’est moins de 2 millions d’habitants, le Swaziland à peine 1,2 million et Sao Tomé & Principe même pas 200.000. Peut-on faire une politique africaine avec de tels partenaires ? Sans doute pas. Sauf à être Taïwanais. L’île de la mer de Chine a une histoire africaine. Bien plus ancienne que l’autre Chine, celle de Pékin. Parce que Taïwan avait une démarche diplomatique quand elle appartenait pleinement à la « communauté internationale » et notamment aux Nations unies, tandis que la Chine de Mao avait une démarche idéologique qui limitait sa présence aux « pays frères », parfois dans une confrontation avec l’URSS. Bien sûr, au fil du temps, la montée en puissance de Pékin sur la scène mondiale a réduit l’impact de Taipei sur le continent.

Les capitales africaines ont vite compris l’intérêt (financier) qui pouvait être celui du chef en place à jouer l’un contre l’autre. Parfois dans des A/R désastreux pour l’image de ces pays. Mais, bon, comme on dit, « le jeu en valait la chandelle ». Surtout quand la chandelle est largement surpayée… !

On pouvait penser que le dernier carré des fidèles à Taipei le serait jusqu’au bout du processus (qui, pour beaucoup d’observateurs, ne peut conduire qu’à la réunification des deux Chines). Après tout, hormis Ouagadougou, laquelle de ces capitales que sont Banjul, Sao Tomé et Mbabane peut être considérée comme présentant un intérêt géopolitique significatif. Leur connexion avec Taipei, bien au contraire, leur profite largement : les chefs d’Etat de ces confettis africains sont reçus à Taïwan comme des personnalités « mondiales » ; ce qu’ils ne sont pas. On ne voit donc pas ce qui peut, aujourd’hui, justifier une rupture des relations diplomatiques avec Taipei. Bien au contraire. Taïwan porte à ses partenaires diplomatiques une attention bien plus significative qu’aucun autre pays.

Ce n’est sans doute pas le point de vue de Yahya Jammeh. Si tant est que cet homme-là ait jamais eu un « point de vue » sur une quelconque question essentielle ; rien d’autre que des préjugés ou des intérêts. Le jeudi 14 novembre 2013, Banjul a donc décidé de rompre ses relations diplomatiques avec Taipei. Après un « examen rétrospectif » et afin de répondre à un « intérêt national stratégique ». Cinq mots bien ambitieux pour un pays, la Gambie, dont le chef de l’Etat (on hésite à parler d’un président de la République) est un mix entre Kadhafi, Bokassa et quelques autres déglingués ; sauf que les temps ont changé et qu’être un « Ubu roi » en 2013 n’est plus acceptable et encore moins tolérable. Le mercredi 2 octobre 2013, déjà, Yahya Jammeh avait décide de retirer son pays du Commonwealth dont il était membre depuis 1965. Il entendait ainsi dénoncer une « institution néo-coloniale […] qui représente un prolongement du colonialisme ». Yahya Jammeh aura quand même mis près de vingt ans pour s’en rendre compte : c’est en 1994 qu’il est parvenu au pouvoir à la suite d’un coup d’Etat (il sera « élu » en 1996 puis « réélu » en 2001, 2006 et 2011).

La Gambie avait noué des relations diplomatiques avec Taipei en juillet 1995. En janvier 1997, Yahya Jammeh avait affirmé que la Gambie serait une « amie véritable et sincère de Taïwan contre vents et marées ». Manifestement, les « vents et marées » ont eu raison de la « sincérité » de Banjul. Cette « rupture subite », aux dires de Taipei, ne va pas ébranler, pour autant, l’implication de Taïwan en Afrique qui se situe au-delà de son ancrage diplomatique.

De plus en plus insignifiant en Afrique comme dans le reste du monde (à peine plus d’une vingtaine d’Etats ont des relations diplomatiques avec Taipei). Ce qui est concevable : la Chine de Pékin est devenue une puissance économique majeure et a entrepris de prendre des positions dans ce qu’on appelait autrefois le « Tiers monde » tandis que Taïwan (ce qui n’est pas nécessairement le cas des Taïwanais) tergiverse toujours sur sa réintégration au sein de l’ex-mère patrie. Autant dire que beaucoup pensent que, à court terme, ce réseau diplomatique taïwanais n’aura plus sa raison d’être.

Taipei, par ailleurs, donne le sentiment de rechercher bien plus son admission au sein des institutions spécialisées multilatérales que de conquérir (ou de sauvegarder) des positions diplomatiques bilatérales. « Le gouvernement de la République de Chine est à la recherche de soutiens pour augmenter sa marge de manœuvre internationale » déclarait récemment Stephen Shu-hung Shen, ministre en charge de l’Administration de la protection de l’environnement. Soulignant qu’en 2009, les pays membres des Nations unie ont invité pour la première fois la République de Chine à participer officiellement aux travaux de l’Assemblée mondiale de la santé, puis en septembre 2013 à participer à la 38ème session de l’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI), Shen a espéré « que la communauté internationale prendra en compte ces deux précédents et autorisera Taïwan à participer à la Convention-cadre des Nations unies sur le changement climatique (CCNUCC) de manière significative ». « Cela nous permettrait, ajoutait-il, de recevoir le soutien de la communauté internationale et aussi de lui apporter notre contribution »*.

Ce qui permet à Emmanuel Lincot, professeur d’histoire contemporaine chinoise d’affirmer** : « Taïwan est en train de reconquérir finalement une part de sa reconnaissance diplomatique en participant à un certain nombre d’instances internationales ». Il ajoute : « Tout ceci montre que Taïwan est en train de regagner du terrain sur le plan diplomatique. Néanmoins, là où Taïwan se singularise, c’est dans sa capacité d’exister à travers la proposition d’un nouveau modèle, c’est-à-dire le soft-power taïwanais, la promotion de la démocratie dans la région et ce en dépit d’une non-reconnaissance de la diplomatie de la majorité des Etats de la communauté internationale. C’est ce qui est très intéressant, cette situation d’asymétrie entre son statut qui est un statut de diplomatie quasi inexistante et malgré tout sa réalité qui est incontournable sur le plan économique ».

La problématique, bien sûr, est liée à la pérennité de « l’indépendance » taïwanaise. Adama Ouédraogo Damiss, dans L’Observateur Paalga (18 novembre 2013), évoquant le « yoyo diplomatique dans le détroit de Formose » ne manque pas de noter que, « en réalité, ce yoyo diplomatique des Africains entre les deux Chines prendra fin un jour avec les retrouvailles entre ces deux pays asiatiques qui, du reste, entretiennent depuis des relations économiques et commerciales ». Il ajoute : « Cela dit, si la short-list des partenaires africains de Taipei se rétrécit, à quelque chose malheur est bon, car la part de ceux qui sont restés fidèles pourrait s’en trouver mieux garnie ». Un peu cynique bien sûr mais le Burkina Faso, qui va fêter le 2 février 2014 le vingtième anniversaire de ses relations diplomatiques avec Taïwan***, sait l’intérêt qu’il trouve, au quotidien, dans cette relation.

* Message publié dans le quotidien privé burkinabè L’Observateur Paalga du 4 novembre 2013 : « Taïwan poursuit ses efforts pour relever le défi du changement climatique ».

** Entretien recueilli à Taipei par Mamoudou Traoré et publié par le quotidien privé burkinabè Le Pays (vendredi 25 octobre 2013).

*** A l’occasion de ce vingtième anniversaire le président du Faso et son premier ministre seront invités à Taipei.

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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