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Mali : Cheick Oumar Diarrah, la réconciliation nationale et le « principe de réalité »

Publié le lundi 11 novembre 2013 à 23h27min

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Mali : Cheick Oumar Diarrah, la réconciliation nationale et le « principe de réalité »

Il faut bien le reconnaître. Le Mali, vu d’ailleurs, s’appelle MNLA. C’est lui qui, le 17 janvier 2012, a déclenché la « guerre » contre Bamako. C’est lui qui l’a perdue, au lendemain du coup d’Etat du 22 mars 2012, contre les groupuscules des « islamistes radicaux ». C’est lui, encore, qui a joué, parfois, les supplétifs des troupes françaises après le déclenchement de l’opération « Serval » (11 janvier 2013). C’est toujours lui qui est montré du doigt à Kidal après que les journalistes de RFI aient été assassinés. Du même coup, ce qui se passe à Bamako est passé sous silence.

Dès lors, les initiatives politiques du gouvernement ne rencontrent pas l’écho qu’elles méritent. Ajoutons à cela que Ibrahim Boubacar Keïta (IBK) a largement polarisé jusqu’à présent l’attention des médias. Deux mois après la formation du premier gouvernement de Oumar Tatam Ly (dimanche 8 septembre 2013), la visibilité de son action laisse à désirer. Il fallait donc ne pas rater, ce dimanche 10 novembre 2013, la prestation à « Internationales » de Cheick Oumar Diarrah, ministre de la Réconciliation nationale et du Développement des régions du Nord. « Internationales » est une émission diffusée par la chaîne francophone TV5Monde et réalisée en collaboration avec RFI (Sophie Malibeaux) et Le Monde (Christophe Châtelot). Sous l’autorité de Philippe Dessaint. Pas d’anecdotique ; du politique.

Cheick Oumar Diarrah a été la surprise du gouvernement de Oumar Tatam Ly. Par le titre d’abord : il semble que ce soit la première fois dans le monde qu’un ministre de la Réconciliation nationale soit nommé (c’est « Internationales » qui souligne ce fait). L’individu ensuite. Diarrah, numéro trois du gouvernement, n’est pas une tête d’affiche politique au Mali même si chacun sait qu’il est un proche du chef de l’Etat. Né le 6 juin 1954 à Koutiala, Diarrah a été scolarisé en région parisienne (à Garches) pendant une décennie (1964-1973) avant de venir passer son bac (1974) à Bamako, au lycée Sankoré.

Ce sera, ensuite, Bordeaux, l’Institut d’études politiques (IEP) et l’université où il décrochera un doctorat en sciences politiques (1987) après avoir étudié au sein du Centre des études d’Afrique noire (CEAN), alors un des plus prestigieux en France (il a été à l’origine de la création de la revue « Politique africaine » et a formé toute une nouvelle génération d’africanistes), où il obtiendra un DEA (1980) et un doctorat (1982).

Il sera chargé de mission à la Délégation générale du Nord au temps de la rébellion touareg (1991-1992), directeur de cabinet du ministre de l’Education nationale (1992-1993), conseiller politique du Premier ministre (1994-1995) avant d’être nommé ambassadeur aux Etats-Unis où il va rester de longues années, profitant de son séjour pour y enseigner. Il est, par ailleurs, l’auteur de nombreux livres (dont un en anglais publié aux Etats-Unis) sur la démocratie au Mali (principalement édités par L’Harmattan) ; son premier livre, en 1986, a été consacré au « Mali de Modibo Keïta » (dont on va fêter le centenaire de la naissance le 4 juin 2015).

Je ne sais pas grand-chose de Cheick Oumar Diarrah, de son parcours politique, de ses livres, de son actuelle action. Mais sa façon d’être devant la camera de TV5Monde et les journalistes français m’ont épaté. Un look incroyable, sans calcul esthétique pour autant, de kolkhozien et de rappeur. Et, surtout, une sérénité et une cohérence dans le propos qui rassurent quant au devenir de la République du Mali. Mais aussi quant à l’analyse de son passé.

Cheick Oumar Diarrah n’emploie pas un mot pour un autre. Même s’il a gardé ses réflexes de diplomate et a conscience que son job politique l’oblige à peser ses mots. Deux maux, dit-il, sont la « cause fondamentale » de la situation dans laquelle se trouvent le Mali et l’Afrique : la « balkanisation » lors des indépendances et « l’ajustement structurel » prôné par les bailleurs de fonds. Ils ont provoqué « l’affaiblissement des Etats ». Ajoutons à cela « une démocratisation qui n’a pas été pensée par nous-mêmes ».

Quant à la situation actuelle, c’est un héritage du laxisme étatique des années passées : « Ceux qui étaient aux affaires sont responsables », explique-t-il, rappelant que les rançons payées dès 2003 ont permis l’émergence des organisations mafieuses. « Personne n’a agi contre AQMI », souligne-t-il. Il met en cause « l’impunité », responsable d’une « déstabilisation durable ». Il dénonce la mauvaise gestion publique lors de la décennie passée. « Tripoli n’a été qu’un accélérateur de la décomposition de l’Etat malien », la « clochardisation de l’armée » ayant fait le reste. « L’effondrement de l’Etat » à la suite du 22 mars 2013 a conduit à l’occupation des 2/3 du territoire par des groupuscules étrangers. « Le Mali est traumatisé, pas divisé » affirme le ministre.

Voilà pour le passé. Le présent porte un nom ; non, pas MNLA mais Kidal ! « On ne peut pas se voiler la face sur la situation de Kidal » dit le ministre. Qui dénonce « les porteurs d’armes » qui « humilient le gouverneur » ; celui-ci y vit dans des conditions « indignes de la République ». « Tant que l’instabilité régnera à Kidal, il y aura l’insécurité dans cette ville comme au plan national et au plan régional », c’est pourquoi, dit-il, « « il faut trancher le nœud gordien ».

Qui sont donc ces « porteurs d’armes qui participent au processus de déstabilisation de la région » ? Pas question pour Diarrah de stigmatiser qui que ce soit (il est ministre de la Réconciliation nationale). « Ceux qui portent les armes sont des fauteurs de troubles, y compris pour la communauté touareg qu’ils ne représentent pas ». Ils sont « en osmose totale » avec les groupes armés responsables de la « criminalité transfrontalière ». « Tous ces groupes sont hors-la-loi », précise-t-il tout en soulignant que, cependant, il discute, par des « canaux informels », avec les groupes armés qui ont signé « l’accord préliminaire » de Ouagadougou.

Nul ne nie la connexion entre les groupes armés signataires de cet accord et les « porteurs d’armes » de Kidal. Il s’agit de « privilégier le dialogue » tout en appelant chacun à « prendre ses responsabilités ». Le discours est clair. Si le MNLA et les autres, qui représentent les « groupes armés » signataires de l’accord de Ouaga, veulent se « crédibiliser », il faut que les « porteurs d’armes sortent de Kidal et acceptent d’être cantonnés afin qu’on mette en place le processus DDR ». Ils auraient promis de le faire avant le 14 novembre 2013. Ne pas le faire, c’est prendre le risque d’être confronté à la Minusma, « Serval », les Tchadiens et l’armée malienne ; des forces qui « ne peuvent pas être mises en échec ». « Il faut appliquer le principe de réalité » dit et redit le ministre. Y compris en ce qui concerne l’intégration des « porteurs d’armes » dans l’armée. « Nous n’intégrerons que ceux qui sont en mesure de l’être », a-t-il précisé.

Réalité qui s’oppose à l’irréalité des ambitions des « porteurs d’armes ». « Nous allons vers une régionalisation, réponse institutionnelle aux besoins d’accélération du développement du Nord » affirme en substance Diarrah. « Il faut rompre avec la mal gouvernance structurelle. Pas d’indépendance. Pas d’autonomie. Pas de fédéralisme. Le Mali est un pays unitaire et le restera mais dans le cadre d’une décentralisation poussée qui accueille toutes les communautés ». Réalité et vérité en vue d’une refondation de l’Etat !

La réalité c’est job des Assises nationales qui, par le dialogue (national, intercommunautaire et intracommunautaire), visent à « ressouder le tissu social » avant que ne soient organisées des assises régionales qui doivent « valider l’ensemble des propositions de sortie de crise ». La vérité, c’est la tâche (pour les trois ans à venir) de la Commission dialogue, vérité, réconciliation qui doit « revisiter en profondeur l’histoire » du Mali depuis… 1963. Il s’agit de « ne pas insulter l’Histoire » et de « reconstituer les faits importants afin de ne pas faire les mêmes erreurs ».

Voilà enfin un interlocuteur malien avec lequel il va falloir compter. Et surtout ne pas imaginer un seul instant qu’on puisse fausser les comptes.

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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