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Crise ivoirienne : quand deux peurs se rencontrent

Publié le lundi 24 janvier 2005 à 07h38min

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Une Union africaine (UA) qui se parjure en concédant à Laurent Gbagbo son référendum constitutionnel alors qu’elle avait musclé son discours après la reprise des hostilités le 4 novembre 2004. Une Organisation des Nations unies (ONU) qui rejette aux calendes onusiennes ses sanctions ciblées contre les fauteurs de paix et qui, dans le même temps, après avoir décrété un embargo sur les ventes d’armes, autorise Abidjan à réparer sa flotte aérienne détruite suite à l’heureuse faute des mercenaires ukrainiens le 6 novembre 2004...

Le moins que l’on puisse dire est que l’action de la communauté internationale manque cruellement de lisibilité depuis quelques semaines. Et le médiateur de l’UA, le président sud-africain Thabo Mbeki, dont on se demandait dans ces mêmes colonnes, s’il réussirait là où nombre de ses pairs se sont cassés le nez, est en train de s’embourber petit à petit dans le marigot ivoirien, dont il n’est pas près de sortir.

Mandaté, on se rappelle, dès le 9 novembre par l’Organisation panafricaine pour circonscrire très rapidement un incendie qui venait de se déclarer et qui menaçait de se généraliser, le médiateur venu du Cap, toutes affaires cessantes, s’est investi pleinement dans la résolution du conflit, payant de sa personne, de son temps et de ses moyens dans des allers et retours entre Pretoria, Abidjan, Bouaké, Abuja et Libreville.

Le 11 janvier dernier encore, dès le lendemain du premier sommet du Conseil de paix et de sécurité (CPS) de l’UA, tenu dans la capitale gabonaise, il s’était à nouveau rendu à Yamoussoukro pour assister au Conseil des ministres censé regrouper tous les membres du gouvernement de réconciliation nationale. Las ! L’opposition armée et politique, mécontente du rapport de Mbeki, qui a servi de document de travail aux chefs d’Etat du CPS, étaient aux abonnés absents. Ce qui n’a certes pas manqué d’irriter le successeur de Mandela, mais pouvait-il raisonnablement s’attendre à autre chose après la volte-face spectaculaire opérée par l’UA, entre autres sous son instigation.

Pour autant, il n’a pas désarmé, et ce week-end il a de nouveau reçu à Prétoria, pour une franche explication, des membres du G7 (RDR, PDCI, Forces nouvelles...) conduits par Alassane Dramane Ouattara. On ne le sait que trop, si au lieu de promulguer la loi constitutionnelle votée par l’Assemblée nationale le 17 décembre 2004, le locataire du palais de Cocody tient au référendum comme à la prunelle de ses yeux, c’est que, pense-t-il, in petto, le peuple souverain rejettera la loi fondamentale remaniée et barrera, du même coup, la route à ADO dont la candidature, croit-il savoir, "va empirer la situation et créer des troubles encore plus grands". Rien de moins.

Dans ces conditions, et sans préjuger de la question qui sera posée au référendum, comment penser un seul instant que le fils de Mama jouera franc-jeu quand bien même il appelerait à voter oui comme il l’a promis à ses homologues le 10 janvier 2005. Mais Gbagbo est honnête, ou plutôt il est à la hauteur de ses péchés, il faut au moins le lui reconnaître, quand il dit dans le même temps qu’il ne peut pas garantir le vote de ses militants. Surtout quand on peut dire oui du bout des lèvres et battre campagne, en sous-main, pour le "non". Encore que les militants FPI, chauffés à blanc depuis deux ans, n’aient pas besoin d’être coachés pour rejeter l’article 35 dans le secret de l’isoloir.

Il faut donc être d’une extrême naïveté pour penser, à l’image de Thabo Mbeki, que le référendum sur le fameux article 35 est "sans danger" alors même que c’est précisément le danger que Gbagbo recherche puisqu’il soutient que la candidature d’ADO, déjà déclarée au demeurant, va foutre le bordel. Etrange paradoxe, car on pensait jusque-là que l’exclusion du patron des républicains du jeu démocratique ivoirien était le nœud gordien de toutes les crises qui ont émaillé la Côte d’Ivoire depuis la mort du vieux jusqu’à l’éclatement de la rébellion le 19 septembre 2002.

L’historien-président nous en donne une autre leçon même si, ce faisant, on se convainc définitivement du peu de volonté du boulanger-pâtissier qui va, de nouveau, rouler ses pairs dans la farine si d’aventure le référendum avait lieu. Qu’ils sont bien loin le serment et l’euphorie de Linas-Marcoussis quand, dans la nuit du vendredi 23 au samedi 24 janvier 2003 à 1h 40 mn, dix partis politiques et mouvements armés ivoiriens ont signé un accord au Centre national de rugby (CNR) de la banlieue parisienne sous l’œil attendri du constitutionnaliste français Pierre Mazeaud.

La larme à l’œil, les mains dans les mains, Henri Konan Bédié, Alassane Dramane Ouattara, Guillaume Soro, Pascal Affi N’Guessan, Paul Akoto Yao, Innocent Kobéna Anaky, Gaspard Deli, Théodore Mel Eg, Félix Doh et Francis Wodié ont sauté le champagne et entonné l’Abidjanaise pour sceller ce compromis historique que les chefs d’Etat, convoqués dès le lendemain par le grand chef blanc sur l’avenue Kléber, allaient entériner. Depuis, plus rien, ou presque. La feuille de route de Marcoussis est toujours dans l’impasse. Et ce n’est pas le récent blanc-seing que l’UA a voté pour Gbagbo qui fera avancer les choses. Deux ans après Marcoussis on a tout essayé, mais les eaux de la lagune Ebrié sont plus que jamais troubles.

Sans qu’on voie trop, à quelque 10 mois de la présidentielle, ce qui pourrait les éclaircir rapidement pour qu’on s’achemine enfin vers un scrutin ouvert, libre, équitable et transparent après que le désarmement sera devenu effectif, que le territoire aura été réunifié et que tous les Eléphants de la faune politique ivoirienne auront pu prendre le départ de la course à la présidentielle. Or dans ce duel à mort entre Gbagbo et Ouattara, c’est en fait la rencontre de peurs bleues. ADO a peur du référendum alors qu’il plastronne en soutenant que le RDR et son allié PDCI du moment font 70% de l’électorat ; suffisant donc, en principe, pour remporter une élection, quelle qu’elle soit.

Il se trouve qu’en bonne démocratie, rien n’est vraiment joué d’avance et un Baoulé, s’il se sent plus proche d’un Bété que d’un dioula, ne suivra pas forcément la consigne donnée par HKB, qui n’est d’ailleurs pas suffisamment claire dans cette affaire. D’où cette crainte à peine contenue du suffrage universel. Gbagbo, lui, de son côté a peur d’une présidentielle ouverte à tous les poids lourds, car aucun des trois ne peut vraisemblablement gagner au premier tour.

Et si l’alliance conjoncturelle PDCI-RDR fonctionnait, le second tour lui serait fatal. Et ce serait tellement bête de se faire débarquer après une arrivée calamiteuse en octobre 2000 et cinq années d’exercice difficile du pouvoir pour les raisons qu’on sait. Pour quelqu’un qui a traqué le pouvoir deux décennies durant, ça confine, il est vrai, au suicide politique. Alors, quand deux peurs se rencontrent, ça donne le blocage qu’on voit.

Observateur Paalga
Sidwaya

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Vos commentaires

  • Le 24 janvier 2005 à 15:17, par am En réponse à : > Crise ivoirienne : quand deux peurs se rencontrent

    "(l’onu) autorise Abidjan à réparer sa flotte aérienne détruite suite à l’heureuse faute des mercenaires ukrainiens le 6 novembre 2004..." j’ose espérer que l’auteur de cet article a fait une malheureuse faute de frappe en écrivant "l’heureuse faute". Comment peut on se réjouir de la mort des autres, c’est inadmissible d’écrire des horreurs pareilles.
    a.m.

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