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Jean-Marc Leblanc, représentant de l’IRD au Burkina : « La communication pour un chercheur est un devoir, une obligation et une nécessité »

Publié le mercredi 6 novembre 2013 à 23h55min

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Jean-Marc Leblanc, représentant de l’IRD au Burkina : « La communication pour un chercheur est un devoir, une obligation et une nécessité »

La semaine du cinéma scientifique se tiendra du 12 au 16 novembre 2013 à Ouagadougou. Organisée par l’Institut français du Burkina, en partenariat avec l’Institut de recherche pour le développement (IRD), cette 3e édition sera marquée par des projections de films suivies de débats avec des chercheurs, experts et réalisateurs autour des enjeux de l’eau. A quelques jours de l’évènement, le représentant de l’IRD au Burkina, Jean-Marc Leblanc nous a accordé un entretien au cours duquel, il parle, avec passion, des enjeux du cinéma scientifique, du menu de cette semaine scientifique, mais aussi et surtout de la nécessité de communiquer autour des résultats de recherche scientifique. Lisez plutôt.

Lefaso.net : Comment est née l’idée de la semaine du cinéma scientifique et quel est l’objectif visé ?

Jean-Marc Leblanc : Le concept du cinéma scientifique est quelque chose qui se fait depuis quelques années en France et dans les pays occidentaux pour intéresser la société civile à la recherche. Dans une des conférences animées à l’université de Ouagadougou, je disais que la communication maintenant pour un chercheur est un devoir, une obligation et une nécessité.

C’est un devoir parce que nous ne sommes plus payés pour rester dans des « tours d’ivoire ». La recherche se doit donc de rendre des comptes. C’est une nécessité parce qu’on travaille avec l’argent du contribuable. Donc, on doit expliquer au contribuable à quoi on sert parce que beaucoup de gens s’interrogent sur l’utilité du chercheur. C’est enfin une obligation parce qu’il faut que les ministères considérés soient convaincus de l’intérêt de la recherche. Dans toutes les sociétés, il y a un débat entre les agents techniques et les chercheurs qui préparent l’avenir, qui préparent des solutions par l’analyse des meilleures richesses potentielles qui existent autour de nous.

La communication est donc un besoin pour tout système de recherche quel qu’il soit. Voilà comment les pays occidentaux ou industrialisés ont mis en place des systèmes de semaine de films scientifiques, pour vulgariser la recherche.

Des pays comme le Burkina Faso se doivent d’avoir une politique de valorisation et de communication des résultats de la recherche. C’est en cela que depuis que je suis arrivé au Burkina, avec l’institut français, nous avons voulu essayer plusieurs initiatives pour aller dans le sens d’une communication des résultats de la recherche au Burkina Faso.

Vous êtes au Burkina depuis 2009, peut-on dire que vous êtes compris et suivi dans cette initiative de vulgarisation des résultats de la recherche ?

Je trouve que la mayonnaise ne prend pas assez vite. J’aimerais que ça aille plus vite. Mais, c’est plutôt encourageant. Il y a de plus en plus de gens qui viennent au « Café des sciences » pour voir et s’informer. Parce qu’aussi les préoccupations des gens au Burkina, avec la vie chère, ce n’est pas d’aller voir des résultats de recherche. Ils ont peut-être des préoccupations terre-à-terre telles que trouver de l’argent pour manger le soir. Ce qui fait qu’on n’a pas forcément le public qu’on aimerait voir tous les soirs.

Néanmoins, je pense que c’est une obligation pour le pays de faire de la communication scientifique. Vous savez que les grands projets scientifiques sont financés par des bailleurs de fonds avec des intérêts du Nord et sont donnés aux ministères techniques. La recherche a très peu d’argent finalement et l’enseignement supérieur encore moins pour faire fonctionner les écoles doctorales. Elles ont encore moins d’argent pour communiquer, pour écrire, pour valoriser dans les journaux de vulgarisation.

A l’IRD (Institut de recherche pour le développement), on a un peu plus d’argent pour ça. Donc, j’ai mis mes troupes au service des ministères de la recherche scientifique et de l’enseignement supérieur pour l’intérêt du Burkina Faso.

De quoi, il sera question durant cette semaine du cinéma scientifique que vous organisez pour la 3e fois, en partenariat avec l’institut français du Burkina ?

Il s’agit essentiellement de montrer des beaux films, montrant la richesse de la vie et comment des chercheurs du monde entier dans des situations différentes abordent le monde qui les entourent pour essayer de comprendre comment ce monde existe, comment il se stabilise et qu’est-ce qu’on peut en tirer pour le bénéfice de l’humanité. Donc, que ce soit les ressources en eau, que ce soit la biodiversité… c’est en regardant les potentiels et je sais qu’au Burkina, il y a beaucoup de potentiel qui est vu, connu, mais que les gens n’apprécient pas forcément.

Quels sont les films qui seront projetés durant cette semaine ?

Le premier film « Créatures du chaud », est surtout intéressant pour la diversité des bactéries, des êtres vivants dans des conditions qui sont anormales pour l’humanité. Mais, il faut savoir que c’est dans ces bactéries qu’on trouve des tas de réactions chimiques et biochimiques utiles pour le développement de l’humanité. On a trouvé dans ces bactéries des enzymes qui servent aujourd’hui dans toutes les analyses moléculaires que fait la police pour retrouver des assassins, que font les gens qui contrôlent les semences qui viennent de l’extérieur... C’est grâce à des bactéries vivant dans des milieux complètement extrêmes. Le Burkina, avec ses températures extrêmes en mars-avril-mai, a des animaux qui vivent dans ces conditions et qui présentent des caractéristiques qui peuvent être intéressantes. Voilà le premier film qui peut intéresser le Burkina.

Le 2e film, c’est « Le trésor sous-marins des îles Marquises ». C’est un film sur la biodiversité. Au-delà des belles images que représente la biologie animale dans les mers tropicales, c’est aussi quelque chose qui montre la richesse de la diversité. C’est dans ces milieux-là que les gens vont chercher dans les éponges les médicaments, notamment contre le cancer. Dans la diversité du Burkina, il existe aussi des milieux où on peut trouver des médicaments utiles. C’est la curiosité au service de l’humanité.

Le 3e film, « L’eau des îles ». On est dans un milieu où il y a très peu d’eau. Comment les gens contrôlent et analysent les quantités d’eau. On n’est pas dans une île au Burkina, mais on est dans un pays où il y a très peu d’eau. Voir que des gens dans un milieu donné ont certaines solutions peut aider à trouver des pistes pour économiser de l’eau dans un pays comme le Burkina.

Enfin « les Maîtres de l’eau » qui parle des problèmes majeurs sur la conquête de l’eau peut intéresser le Burkina Faso. Vous n’êtes pas sans savoir les problèmes qu’il y a avec le Ghana quand le Burkina veut faire de grands barrages dans le pays Lobi qui va réduire la quantité d’eau qui passe au Ghana. Il y a des enjeux politiques qui touchent le Burkina. Ce n’est pas au Burkina, mais les questions qui peuvent être soulevées à travers ces films-là concernent de fait pleinement le Burkina.

Il est aussi prévu un concours dénommé du documentaire scientifique, en quoi consiste cette compétition ? Y a-t-il un engouement réel autour ?

Nous avons, depuis trois ans, essayé de faire un concours du documentaire africain, portant sur les résultats de la recherche. Nous l’avons baptisé le documentaire scientifique. Peut-être que ce titre fait peur à des gens qui réalisent des films. Je sais par expérience que beaucoup de projets ont produit des petits films documentaires. Ce sont ces films que nous avions voulu présenter au large public et primer pour être reconnu comme une expérience positive de communication scientifique. Notre communication est passée par des ambassades, les centres IRD, des collègues, réalisateurs, mais force est de constater que nous n’avons pas eu un grand retour. Nous avons reçu à peine une dizaine de films. Pourtant, je pense qu’il y a beaucoup de films qui ont été produits à l’issu des projets.

C’est un concours qu’on veut absolument pérenniser sur la vie de Ouagadougou, capitale du cinéma africain, parce que le festival des documentaires scientifiques est quelque chose qui se fait de plus en plus dans le monde industrialisé. Mais, ça n’existe pas encore en Afrique. Nous aimerions être porteur d’un projet de films scientifiques au Burkina pour l’Afrique francophone.

Vous l’avez dit, le titre « films scientifiques » effraie peut-être les gens, est-ce qu’il faut s’attendre à un changement de nom ?

Oui, nous y pensons. Peut-être que nous allons l’appeler le « documentaire du développement ». Mais, vos « lecteurs » ont la possibilité de proposer un titre plus pertinent. Il faudrait quelque chose qui parle de développement pour qu’il y ait plus de candidatures. Mais, je suis convaincu qu’une plateforme à Ouagadougou sur la production scientifique africaine autour des problématiques de la recherche et du développement est quelque chose d’important. C’est quelque chose qui est nouveau, il faut prendre du temps, il ne faut pas baisser les bras, je suis convaincu qu’avec le temps, nous arriverons à faire au Burkina Faso une tribune pour le film du développement.

Vous êtes à la 3e édition de la semaine du cinéma scientifique et l’engouement n’y est toujours pas, ne vous arrive-t-il pas d’envisager de mettre fin à cette entreprise ?

Ah, parce que vous me connaissez mal. Je suis très combatif. De telles initiatives, c’est quelque chose de nouveau. Je l’ai expliqué dans les échanges avec les différents groupes tout à l’heure, aujourd’hui les résultats de la recherche ne peuvent être publiés que si on paye. On n’a aucun argent pour faire ça dans les projets de recherche. C’est un problème de culture qu’il faut changer. Vous savez qu’en Afrique plus qu’ailleurs, changer les mentalités prend du temps. Si je dois abandonner après trois ans, c’est que je ne connais rien à l’Afrique.

Depuis 2009, vous êtes représentant de l’IRD au Burkina Faso, qu’est-ce que cet institut fait pour la vulgarisation de l’information scientifique ?

Sur le Burkina en particulier, nous avons augmenté notre appui au secteur de valorisation et communication. Je rappelle que les centres de Ouagadougou et de Bobo offrent des centres d’information documentaire qui reçoit à Ouagadougou plus de 20 000 visiteurs par an qui est certainement un des centres virtuels – avec de l’informatique pour faire de la documentation scientifique - les plus prolifiques de l’Afrique de l’Ouest.

Interview réalisée par Moussa Diallo

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