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L’image de la Justice dans les médias

Publié le jeudi 31 octobre 2013 à 02h08min

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L’image de la Justice dans les médias

« Restaurer l’image de la Justice ». Voilà l’objectif primordial sur lequel semblent s’accorder acteurs de la Justice, médias et citoyens. Le présent article se propose de retourner cette formule sur elle-même, afin de démêler la part d’incantation et la part d’orientation politique que celle-ci recèle.

Au Burkina Faso, la réflexion sur « l’image de la Justice dans les médias » bute très vite contre des slogans – ces raccourcis de la pensée – profondément enfouis dans la conscience collective, et qui structurent le discours public.

I. Une Justice prisonnière des slogans

L’image de notre Justice est happée par des slogans gracieusement servis aux médias par les acteurs de la Justice eux-mêmes.

1. Slogans sur l’indépendance de la Justice

Pour dénoncer les atteintes à l’indépendance de la Justice, les médias convoquent fréquemment la notion de « juges acquis ».
Les mots sont d’un ancien Garde des Sceaux. Sur leur sens, l’intéressé s’est vigoureusement défendu. Mais la parole d’un Garde des Sceaux a sa magie propre : elle sait s’échapper de l’intention première de son auteur pour alimenter toutes les supputations.
Les médias n’en demandaient pas tant. Autour de ces mots, ils ont su tisser du sens et diagnostiqué une « Justice aux ordres ».
Mais aux ordres de qui ? Question lourde de paradoxe. L’autorité politique est naturellement suspectée d’exercer une pesée de force sur la Justice. De là naît le besoin pour les citoyens de « faire pression » sur la Justice en vue d’opérer un rééquilibrage des forces. Les manifestations se succèdent alors, visant à empêcher que les affaires n’intègrent le fameux registre des « dossiers pendants » – interprétation iconoclaste de la « litispendance » ! Toujours par le jeu de la pression et à coups de lance-roquettes, des militaires parviennent à faire libérer leurs « frères d’armes » incarcérés dans le cadre d’une procédure judiciaire.

Il semble que ces pressions portent parfois fruit, puisqu’il est déjà arrivé que l’autorité politique y obtempère, tantôt en annonçant l’allocation de « moyens spéciaux » aux juges chargés de l’affaire tantôt en fixant un délai pour le traitement des dossiers.
Dès lors, les juges se voient entraînés dans le cercle vicieux du serpent qui se mord la queue. Et la Justice, institution aux yeux bandés, censée restée aveugle à toutes les pressions, se retrouve entre deux feux.

2. Slogans sur la Justice et la corruption

La référence à la corruption s’invite abondamment dans le discours sur la Justice.

Elle apparaît, d’abord, dans le discours des acteurs de la Justice. Ainsi, un avocat se désole d’une « Justice pourrie aux trois quarts », un Bâtonnier dénonce une « Justice du marché central » et un Garde des Sceaux se voit obligé de monter au créneau pour empêcher que le poids de vingt-trois kilogrammes d’or ne dérègle la mécanique de la balance Roberval.

Elle apparaît, ensuite, dans les rapports successifs du Réseau national de lutte anti-corruption (REN-LAC) qui classe la Justice parmi les institutions les plus corrompues selon la perception des citoyens.
S’il en est ainsi, c’est que le retentissement d’un acte de corruption dans la Justice vaut celui de mille autres ailleurs. Et la figure du juge corrompu est insoutenable dans un Etat de droit.

II. Des slogans annonciateurs d’une Justice nouvelle

La communication par voie de slogans, relique d’un passé révolutionnaire, comporte une part d’injustice et une part de vérité.

1. La part d’injustice des slogans

La part d’injustice de ces slogans apparaît à trois niveaux.
D’abord, en « croquant à grands traits », ils offrent une vision réductrice du réel et favorisent une indignation sélective. Les médias n’ont pas à s’attarder sur les trains qui arrivent à l’heure.
Ensuite, en « mettant tout le monde dans le même sac », ces slogans font injustice aux braves juges anonymes qui s’échinent à la tâche.
Enfin, la prégnance de ces slogans est si envahissante qu’ils affaiblissent l’esprit d’initiative et laissent peu de place à l’ineffable, à l’intuition et au « flair » pourtant indispensables à toute œuvre de Justice.

2. La part de vérité des slogans

Au détour de ces slogans, se décline un véritable « discours d’orientation politique ». Ils suggèrent, en effet, les trois principaux leviers à actionner pour regagner la confiance et restaurer l’autorité de l’Etat :
- dégager le juge de l’étreinte du Prince en redéfinissant les rapports entre la Justice et le pouvoir politique ;
- solder les comptes entre la Justice et la corruption par un mécanisme d’enquête interne efficace, permettant de punir les indélicats ou de blanchir les victimes de la délation ;
- renforcer les capacités humaines et opérationnelles de la Justice.
Unité – Progrès – Justice !
Telle est la devise de la Patrie des Hommes intègres. Le peuple burkinabè a pressenti, avant l’heure, la vertu unificatrice et progressiste de la Justice ; peuple famélique qui trouve encore la force de crier Justice avant même que de réclamer du pain. Un tel peuple mérite une Justice nouvelle.

Arnaud OUEDRAOGO
Magistrat spécialiste des droits de l’Homme
Auteur du Manuel juridique de la vie quotidienne
Membre fondateur du Centre pour l’Ethique Judiciaire

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Vos commentaires

  • Le 30 octobre 2013 à 17:00, par Jurisprudent En réponse à : L’image de la Justice dans les médias

    Encore un bel article ! En tout cas, Merci pour toutes ces vérités. Espérons que cet écrit soit accessible, de compréhension, au plus grand nombre, et surtout que les principaux acteurs y trouvent matière à réflexion, afin que la Justice recouvre tout son sens au Burkina Faso.
    Sachez que votre oeuvre n’est pas vaine ; l’avenir nous le dira. On se rappellera le moment venu de toutes ces alertes que vous avez données, mais surtout des solutions que vous proposez pour un retour à la norme et à la normalité démocratique. Merci.

  • Le 30 octobre 2013 à 23:00, par PEACE En réponse à : L’image de la Justice dans les médias

    "La figure du juge corrompu est insoutenable dans un état de droit". Cette phrase que je retiendrai comme une citation de vous est séduisante à plus d’un titre. Elle résume toute la problématique de l’indépendance de la Justice. J’adhère entièrement à vos propositions sur la nouvelle Justice, que nous attendons. Pour que la Justice soit indépendante, il faut effectivement "redfinir les rapports entre celle-ci et le pouvoir politique. C’est pourquoi, je souhaiterais que le Conseil supérieur de la magistrature ne soit pas dirigé par le Président du Faso, idem pour la place du ministre de la justice au CSM. Cette immixtion du pouvoir politique dans le pouvoir judiciaire a des effets néfastes sur l’indépendance du juge. Vive l’indépendance de la Justice ! Merci Arnaud et continues de nous éclairer !

  • Le 31 octobre 2013 à 08:51, par les indignés En réponse à : L’image de la Justice dans les médias

    Merci pour cette grande réflexion qui mérite d’être lue par nos autorités. Au Burkina, depuis le Premier Ministre Zongo, une option a été faite de communiquer. Je dirai même de tapage médiatique. Pourtant, c’est l’action qui fera changée les situation négative au lieu des discours. Il est très difficile de changer la perception de la population surtout qu’elle ne croit plus ni en ses Hommes politiques ni en sa justice car ayant été abusée. Une fois de plus merci.

  • Le 31 octobre 2013 à 08:55, par labagarre En réponse à : L’image de la Justice dans les médias

    hop ! ça c’est vrai notre justice est pourrie et surtout très très corrompue sans le cacher et c’est très grave !l’article vient à point nommer et je félicite mr OUEDRAOGO Mais de redoubler d’efforts le seul article ne suffit pas !

  • Le 31 octobre 2013 à 08:56, par labagarre En réponse à : L’image de la Justice dans les médias

    hop ! ça c’est vrai notre justice est pourrie et surtout très très corrompue sans le cacher et c’est très grave !l’article vient à point nommer et je félicite mr OUEDRAOGO Mais de redoubler d’efforts le seul article ne suffit pas !

  • Le 31 octobre 2013 à 09:27, par Black En réponse à : L’image de la Justice dans les médias

    la justice doit faire un toiletage a son sain la coruption ses un fait reel lorsque vous suvezles audiance vous vous rendez compte que ya pas de justice ou du reste ses une justicr drs des pauvre. Je pense que se t article interpele chaqu un de nous . Le corps des magistrats doit comprendre ils son la pour le peuple et action doit etre equitable

  • Le 31 octobre 2013 à 09:34 En réponse à : L’image de la Justice dans les médias

    Vous ne pouvez pas isoler la justice, comme d’ailleurs tous les autres compartiments de notre société de la situation politique d’ensemble de ce pays. A voir les crimes impunis dont on accuse nos responsables, et les manœuvres que ces mêmes gens organisent pour se défendre, nous comprenons les bâtons dans les roues du judiciaire. Il est impossible d’imaginer une justice libre et débridée sous ce régime. Même si l’excès de justice est un crime, comme disait quelqu’un, il y a un minimum au moins qu’on espère.

  • Le 31 octobre 2013 à 16:22, par Altrasan En réponse à : L’image de la Justice dans les médias

    Belle analyse avec des mots bien choisis. Mais il ne faut pas trop jeter l’anathème sur la justice car c’est à l’image de ce qui a été cultivé dans le pays depuis la fameuse « Rectification »… Au Faso, il n’y a pas de véritable séparation des pouvoirs. On a un Etat (constitué d’un groupe d’individus) dans l’Etat (Nation). On peut concéder à monsieur OUEDRAOGO que « … le retentissement d’un acte de corruption dans la Justice vaut celui de mille autres ailleurs » ; mais il faut avoir en mémoire que le poisson pourrit par la tête et que c’est cette même tête qui nomme tout le monde : depuis le plus petit conseiller du village le plus reculé aux députés, magistrats et autres grands commis de l’Administration. Alors, peut-on s’attendre à autre chose ? Une justice peu fiable, un Etat presqu’inexistant aboutissent à une jungle en puissance dans laquelle la seule règle est qu’il n’y a pas de règle !

  • Le 31 octobre 2013 à 22:11, par TRAORE En réponse à : L’image de la Justice dans les médias

    Merci pour ce message
    vivement que les Burkinabé chacun à son niveau joue sa partition comme vous vous le faite en éveillant davantage les consciences.

  • Le 11 novembre 2013 à 10:16, par le cibal juriste En réponse à : L’image de la Justice dans les médias

    Bel article monsieur ouedraogo, bien vu , Moi je pense que les juges doivent se mettre au travail sérieusement pour s’occuper de tous les dossiers en général et les dossiers brulants en particuliers, le peuple jugera vos collègues à partir de cela et non aux outrages aux magistrats, vos collègues s’attardent sur cette notion oubliant qu’ils ne sont pas là pour ça, en plus des connaissances livresques enseignées a guantanamo, campus de zogona,( connaissances dépassées), ils doivent mettre une dose de tolérance et d’humilité, vos collègues doivent savoir que l’état est une chaîne à plusieurs maillons tout aussi importants les uns que les autres, personne n’est omniscient, chacun maitrise tous les domaines, travaillez et surpassez vos égos ; vos collègues doivent avoir dans leurs petites têtes qu’ils sont en train d’être dépasses par la mondialisation, amicalement

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