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Guinée : Le syndrome Sékou Touré ?

Publié le vendredi 21 janvier 2005 à 08h05min

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Les veilles de l’Aïd el Kébir et de l’Aïd el Fitr semblent porter la poisse à Lansana Conté, le président de la Guinée. Tenez ! Il y a deux ans de cela, le 25 novembre 2003, à la veille de la fête qui marque la fin du jeûne (Ramadan ou Aïd el Fitr), le régime de Conakry avait déjoué une tentative de coup d’Etat, dont le cerveau était, semble-t-il, un élément de l’unité blindée du bataillon autonome de la sécurité présidentielle.

Le mercredi 19 janvier 2005 dernier au quartier d’Enco5 (banlieue de la capitale), Lansana Conté a essuyé des tirs d’armes automatiques, mais a pu s’en tirer et n’a "rien eu", selon les termes de Moussa Sanpil, son tout-puissant ministre de la Sécurité. Réelle tentative de coup d’Etat manquée, étant donné que le "wankage" est devenu un mode opératoire de prise du pouvoir ? Mise en scène d’un régime finissant qui veut annihiler dans l’œuf toute velléité de putsch ?

On se perd en supputations, et jusqu’à la date d’hier, les enquêtes se poursuivaient pour situer les responsabilités. Depuis la mort de Sékou Touré le 30 mars 1984 dans un hôpital de Cleveland (USA) et la prise du pouvoir par Lansana Conté le 3 avril 1984, les putschs ou tentatives de putsch jalonnent son règne : déjà le 4 juillet 1985, son adjoint, le colonel Diarra, se mit à vouloir être calife à la place du calife.

S’en suivront des purges sanglantes les 2 et 3 février 1996, la violente mutinerie de l’armée, et Conté ne dut son salut qu’à son refuge-bunker, du fond duquel il a su négocier avec les mutins... Militaire dans l’âme, le général Lansana Conté a su donc, à l’évidence, éviter d’être éjecté du fauteuil présidentiel, que ce soit par les urnes ou par les baïllonnettes, en "gérant la Guinée comme sa famille", a laissé entendre un diplomate qui était en poste dans ce pays.

Face à une opposition qui, souvent, ne s’entend sur presque rien et dont les figures de proue sont Alpha Condé du Rassemblement du peuple de Guinée (RPG), ou Jean-Marie Doré de l’Union du peuple de Guinée ou encore Sidya Touré (son ex-premier ministre) de l’Union des forces républicaines (UFR)... Conté semble ne rien craindre. Pas même des militaires, qui semblent divisés du point de vue ethnique et des générations. Du reste, il semble que le chef de l’Etat ait toujours joué sur les rivalités au sein des corps et entre les huit divisions qui composent la grande muette, pour mieux asseoir son autorité.

Même si selon certaines sources, il a des appréhensions à l’égard des jeunes officiers, qui voient d’un mauvais œil les privilèges dont jouissent les "dinosaures" et se réfèrent à des modèles de militaires new-look, tels ATT, Blaise Compaoré ou Jerry Rawlings. En tout état de cause, l’incident, du reste grave, du 19 janvier ne peut manquer de reposer la problématique de la gestion du pouvoir d’Etat en Guinée-Conakry. Depuis fin 2002 en effet, le chef de l’Etat souffre officiellement d’anémie et de diabète ; il a même effectué un séjour médical au Maroc, d’où il est revenu précipitamment en janvier 2003 pour, selon certains, "calmer les bruits de bottes, se choisir un dauphin...".

Ce qui est certain, c’est que depuis cette date, Conté s’est retiré dans son village de Wawa, où il reçoit un cercle très restreint d’amis et de membres de sa famille, et d’où il semble diriger le pays. Il a, en outre, déjà usé deux Premiers ministres : Sidya Touré et Lanseny Fall, et mis sur la sellette un troisième : Ceillou Diallo. Les premiers ministres se heurtant aux caciques du régime dans l’exécution de leur politique de gouvernement, Lanseny Fall a dû jeter l’éponge pour cause de blocages. Et il semble que d’aucuns n’écartent pas la thèse que ce qui s’est produit le 19 janvier dernier soit lié aux réformes économiques et sociales que tente de faire l’actuel premier ministre, qui a, à l’évidence, contre lui Moussa Sanpil et Bangoura, un "dur" du régime.

Certains par contre y voient une perpétuation de la méthode Sékou Touré, qui avait fait de la "complotite" un moyen de consolidation de son pouvoir. Il ne se passait pas une année dans les années 70 sans que le "Silly" ne dénonce un putsch, belle occasion pour lui d’opérer des purges dans l’élite, l’armée et même au sein de certaines ethnies, jugées "hostiles" à son pouvoir. Généralement, c’était la 5e colonne qui était invoquée pour justifier de telles épurations, et tout le règne de l’homme du "non" au général de Gaulle a été un chemin du Golgotha pour tous ceux qui pensaient autrement que le régime.

Le grabataire de Wawa, qui est un pur produit de l’ère Sékou Touré, a-t-il épousé la même logique ? En 21 ans de pouvoir, Lansana Conté semble avoir prouvé qu’il est un chef d’Etat atypique, qui a fait de l’exercice solitaire du pouvoir du nationalisme à fleur de peau, et de l’autisme, hérité probablement de la période de son prédécesseur, une façon originale de gouverner "le grenier de l’Afrique" occidentale. Et il semble ignorer qu’il a plombé son pays depuis, en sus de l’ère "Sékou".

Agé de 71 ans, il est né vers 1934, "Pessè", qui veut dire en langue Sousou "Celui qui parle brut, dit ce qu’il pense" , passe souvent ses jours sous un grand arbre à Wawa, ou dans ses champs de maïs, où il marche pieds nus ; il semble être resté égal à lui-même : courageux, têtu arc-bouté à ses certitudes, qu’il croit irréfragables, et répond à quiconque le pousse à bout que "Rien ne peut me faire quitter la Guinée, je n’ai peur que de deux choses : Dieu et la foudre".

Zowenmanogo Dieudonné Zoungrana
L’Observateur Paalga

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