LeFaso.net, l'actualité Burkinabé sur le net
Proverbe du Jour : “Soyez un repère de qualité. Certaines personnes ne sont pas habituées à un environnement où on s’attend à l’excellence.” Steve jobs

Tourisme : Retour à Bazoulé, « La terre de ceux qui ne sont pas bêtes »

Publié le lundi 21 octobre 2013 à 23h34min

PARTAGER :                          
Tourisme : Retour à Bazoulé, « La terre de ceux qui ne sont pas bêtes »

En prélude de la dixième édition du Salon international du tourisme et de l’hôtellerie de Ouagadougou (Sitho) qui s’est tenue du 26 au 29 septembre, un Eductour a été organisé à l’attention de responsables d’agences nationaux, africains et européens sur les sites touristiques des régions de l’Ouest et du sud-ouest. La première étape de ce périple qui a duré 4 jours a été Bazoulé, un canton situé dans la commune rurale de Tanghin-Dassouri, à environ 37 km de Ouagadougou. Peuplé de 5000 âmes, Bazoulé est une des destinations touristiques de la région du Centre, grâce à la marre aux crocodiles sacrés qu’il abrite.

Soumis à un timing assez serré, l’équipe d’Eductour n’y avait passé qu’une petite heure le 22 septembre dernier et le guide, Prosper Kaboré, avait été obligé de résumer au maximum son discours sur les crocodiles. Frustrant !

Quelques jours après, Lefaso.net est retourné à Bazoulé le rencontrer, le temps d’un après-midi pour de mieux comprendre, du moins écouter le récit détaillé de ces relations pour le moins mystérieuses, en tout cas, irrationnelles existant entre les habitants du village et ces grands reptiles amphibiens.

A 32 ans, marié et père de trois enfants, Prosper Kaboré est vice-président de l’Association tourisme et développement de Bazoulé (ATDB). C’est elle qui gère le campement construit à proximité de la marre aux crocodiles pour accueillir les touristes ou ceux qui ont besoin de fuir les bruits et le stress de la capitale.

Guide touristique reconnu par le ministère du Tourisme, il nous parle de l’histoire transmise par ses ancêtres sur l’arrivée des crocodiles, la place que ces bêtes occupent dans l’organisation culturelle du village et explique également l’impact du tourisme sur la vie des habitants de Bazoulé, un village chargé d’histoire.

Comment fonctionne l’Association tourisme et développement de Bazoulé dont vous êtes le vice-président ?

L’association a été créée en 1978 et au début, c’était les vieux qui géraient le site avant de laisser la place aux jeunes, surtout à ceux qui ont fait des études car la fréquentation ne cessait d’augmenter et on ne pouvait plus continuer comme avant. Un bureau a donc été composé et c’est ce bureau qui a décidé de modifier les tarifs des visites ; avant les visites coûtaient 500 F par personne pour les nationaux et les groupes même s’il y a 100 personnes dans le même groupe et 1000 F pour les étrangers. Nous avons estimé que cette tarification était discriminatoire et depuis l’an 2000, on a institué un seul tarif valable pour tout le monde qui est de 1000 F.

Combien rapporte en moyenne les visites par an ?

Entre 6 et 8 millions de F CFA de recettes pour près de 9000 visiteurs. Les visiteurs sont des étrangers, des Européens, surtout des Français, des Belges, Italiens, Espagnols, et les Japonais commencent à venir de même que les Chinois de Taïwan. Les Burkinabè aussi viennent beaucoup, puis les Béninois, les Ghanéens et les Camerounais. Quant il y a des séminaires ou des rencontres à Ouaga, l’ONTB nous apporte des visiteurs et c’est l’ensemble de ces visiteurs qui nous procure les recettes indiquées. Ils viennent essentiellement pour voir les crocodiles et les tortues. Le chef a remarqué que les choses s’améliorent et il a décidé de construire un musée, ce qui a été fait avec le soutien du ministère du Tourisme et du Japon qui nous a aidés avec 54 millions F CFA.

En plus des visites aux crocodiles, nous avons construit des bungalows où on héberge des gens qui viennent passer quelques jours, parfois des semaines ici. Il y a les grandes cases et les petites dont les prix vont de 7500 à 10 000 F la nuit, y compris le petit déjeuner. La grande case avec douche, toilettes, ventilateur coûte 10 000 F et la case simple avec douche et toilettes à l’extérieur 7500 F. Le week-end par exemple, beaucoup de gens viennent de Ouagadougou juste pour passer de bons moments avant de repartir, mais on a aussi des Européens qui réservent leur place sur notre site www : bazoule.net et qui viennent passer trois semaines, voire un mois. Il n’y a pas d’animation tous les jours, c’est seulement quand il y a des gens rester quelques jours qu’on organise des animations pour elles. Le plus souvent, les gens viennent pour être au calme.

L’association gère aussi la restauration ?

Avant c’était nous, mais ce n’est plus le cas ; on a confié la gestion à un groupe hôtelier. Ce que je souhaite souligner, c’est que nous faisons du tourisme communautaire parce que les recettes servent en partie à régler certains problèmes du village. Par exemple dans l’éducation, certains n’arrivent pas à payer la scolarité de leurs enfants et l’association paye parfois la moitié. L’association contribue aussi à payer les ordonnances dans certaines familles et en période de famine, nous payons des vivres et chaque famille a droit à un sac de maïs.

Pour la fête du Koom-Lakré et la fête du mil, nous apportons notre contribution financière à leur organisation. L’argent est géré dans la transparence et pour l’instant il n’y a pas de problème de gestion comme ça été le cas dans le passé.

Je profite de votre micro remercier ceux qui nous ont soutenus et continuent de nous soutenir, surtout le Territoire de Belfort en France, les Engagements nationaux qui ont permis de curer la marre, le ministère de la Culture, l’Association Atoude (art et tourisme).

La principale attraction ici, ce sont les crocodiles sacrés. D’où et quand sont-ils arrivés ici ?

Les crocodiles que nous avons ici sont ceux qu’on appelle les crocodiles du Nil et on les trouve surtout en Afrique de l’Ouest. D’après ce que nos ancêtres nous ont appris, c’est que personne ne peut dire d’où sont venus les crocodiles, mais ils seraient arrivés après une grande pluie et n’y sont plus repartis. Quelque temps après, le village a connu une terrible sécheresse et les femmes étaient obligées d’aller à plus de 20 km pour chercher l’eau. Au même moment, les crocodiles vivaient dans leur coin et creusaient des trous pour s’y refugier, et à un moment donné, on a trouvé de l’eau dans le nid des crocodiles. Une femme qui est allée à la recherche de bois est passée par là et a constaté qu’il y avait de l’eau et comme elle avait soif, elle est allée prendre l’eau boire. A son retour à la maison, elle a informé le chef qu’il y avait de l’eau dans les nids de crocodiles ; ce dernier leur a donc dit qu’au lieu d’aller à 20 km pour chercher l’eau, elles peuvent maintenant aller enlever l’eau dans les nids des crocodiles. Chose bizarre, l’eau ne tarit jamais, même en saison sèche et les crocodiles ne font du mal à personne.

C’est le début de la cohabitation entre les crocodiles et les habitants, et à partir de ce moment, le chef a dit qu’il faut les respecter comme des êtres humains même morts. Ils sont devenus comme un totem du village et si un crocodile meurt, on est obligé de l’enterrer comme un être humain. Comme les crocodiles étaient éparpillés, les gens ont creusé la marre afin de les regrouper et éviter qu’on les tue surtout qu’ils étaient devenus nombreux. Au départ, ils étaient hors du village, à environ 1km d’ici et le lieu est devenu sacré. Chaque année, c’est là-bas qu’on les remercie par des sacrifices en sacrifiant tuant un âne, un coq, un bouc et en organisant une fête en leur honneur. On coupe la viande en plusieurs morceaux et on leur jette dans la marre. Avant, la fête étaient organisée tous les trois ans en juin ou août et comme on a vu que ça intéresse beaucoup de gens, on a demandé au chef de le faire chaque année et de changer le mois. Vous savez qu’au Burkina, les mois de juin et d’août coïncident avec de grosses pluies ; or après le sacrifice, la pluie doit tomber du matin au soir et comme les gens veulent venir voir, on a ramené ça à la dernière pluie, c’est-à-dire au dernier dimanche du mois d’octobre. Le sacrifice est passé et il a effectivement plu ce jour, maintenant, il reste la fête qui est prévue pour le 26 octobre. J’espère que vous serez là parce que c’est une grande fête et beaucoup de gens viennent de partout, même d’Europe pour participer à cette fête qui rassemble tout le monde y compris les chrétiens et même les curés.

Lors de notre passage le 22 septembre, vous avez dit que chaque famille a un crocodile. Expliquez-nous comment se font ces attributions

Chaque foyer ici a un crocodile, et ce n’est pas une répartition qui se fait comme on répartit des objets ; non, ça se fait tout seul. Pendant la saison sèche, quand il n’y a pas plus assez d’eau dans la marre, chaque crocodile se rend dans une concession et c’est à ce moment-là qu’on découvre que tel crocodile est adopté par telle famille. Le crocodile peut aller dans la concession et là on l’arrose d’eau et on lui offre un poulet avant qu’il ne revienne dans la marre. Le crocodile sait dans quel famille il doit aller et y va seul, et le matin on le découvre dans la cour, parfois dans la maison. Il peut y rester un ou deux jours et repart après ; c’est le crocodile qui choisit sa famille et il peut y aller plusieurs fois s’il est bien traité et ne pas y aller dans le cas contraire. Il est considéré comme un membre de la famille et tuer un crocodile à Bazoulé, c’est criminel ; c’est comme si on tuait un être humain. D’ailleurs, quand le crocodile meurt, sa famille et le village font des sacrifices. Quand le plus vieux des crocodiles est mort, ça été considéré comme si c’était le plus vieux du village qui était décédé ; on a donc fait les sacrifices nécessaires exactement comme si c’était un vieux. On organise des funérailles comme pour une personne. Si le crocodile est malade et sent qu’il va mourir, il sort de l’eau passe ses derniers jours loin de la marre

Est-ce qu’il n’y a jamais eu d’incident avec les enfants qui se baignent dans la marre ?

Jamais ! Vous savez, quand un évènement majeur va arriver dans le village, qu’il soit heureux ou malheureux, le crocodile fait des signes, poussent des cris et les vieux du village qui savent décrypter les cris savent ce qui va se passer. Une fois, les crocodiles ont poussé des cris et les vieux qui ont compris le message, ont interdit aux gens d’aller dans la marre. Un soir, un enfant est allé contre cette interdiction en allant dans la marre pour cueillir des nénuphars et il s’est noyé. Le lendemain, la famille a informé le village que l’enfant est sorti hier soir mais n’est pas revenu ; immédiatement on a allé à la marre et on a vu ses chaussures qui étaient posées et on a compris qu’il s’est noyé. Le soir, à peu près à la même heure de sa noyade, on a vu un crocodile en train de pousser le corps de l’enfant hors de l’eau. On a appelé la police pour faire le constat avant de l’enterrer ; les crocodiles ne l’ont pas mangé, ce qu’ils auraient fait si c’était des crocodiles ordinaires.

Il peut arriver qu’il y ait des incident mais uniquement quand la femelle a des petits ; elle devient agressive envers tout le monde, à commencer par le mâle qui mange ses propres enfants ; donc la mère les protège et celui s’approche d’elle s’expose à un danger ; dès qu’elle a des bébés, elle chasse le mâle.

Pour les visiteurs, quelles sont les consignes à respecter pour éviter les incidents ?

Il est formellement déconseillé d’aller visiter les crocodiles sans la présence du guide ; lui seul sait ce qu’il faut faire et ne pas faire pour éviter les incidents et celui qui ne respecte pas les consignes prend des risques pour sa vie. Un jour, un jeune est venu ici avec des étrangers européens ; je leur ai expliqué qu’il y a des endroits du corps du crocodile qu’il ne faut pas toucher. Mais un d’eux a voulu toucher pour voir ce qui allait se passer. D’un coup, le crocodile s’est retourné et a attrapé son doigt, et quand il a crié, le crocodile a lâché son doigt et est retombé dans la boue. Après il se sentait bête et il m’a dit de demander pardon au crocodile. Mais dans l’ensemble, les gens respectent les consignes et prescriptions du guide et tout se passe bien.

Pouvez-vous nous raconter l’histoire de ce village et la signification de Bazoulé ?

D’après ce que nous savons, Bazoulé a été fondé par le fils de Naaba Kouda et veut dire « Je ne suis pas bête » ; en mooré ça se dit « m’pazolg-yé ». Bazoulé, c’est la terre de ceux qui ne sont pas bêtes. Et Kaboré, le nom de famille des gens d’ici est une déformation de « Kavonré », qui veut dire, « Tu ne vaux rien ».

Vous avez que chez nous, la chefferie se transmet de père en fils et Naaba Kouda, de qui nous descendons, avait quatre enfants, une fille, l’ainée nommée Yempoaka et trois garçons. Elle était mariée au chef de Zongo, un village pas loin d’ici. Le premier garçon est parti avec son frère cadet à Ruissam dans le Yatenga actuel, l’autre est allé à l’aventure et s’est installé à Lallé, dans la province du Boulkiemdé. Entre-temps, Yempoaka s’est brouillée avec son mari et est revenue chez son père, Naaba Kouda. A l’époque, la première fille était beaucoup considérée et respectée et son père lui a octroyé un territoire sur lequel elle règne. Quant au cadet parti avec son grand frère, ce dernier lui a trouvé une femme avec qui il s’est marié. Bien des années après, il est revenu auprès de son père Naaba Kouda et lui a dit qu’il voulait aussi un territoire où régner. Son père lui a dit d’aller voir sa sœur et lui demander de lui céder une partie de son territoire. Le petit frère est allé voir sa sœur et lui a expliqué ses ambitions. « Ca tombe bien ; comme je suis devenue vieille, je ne peux plus gouverner comme avant, donc je te donne tout mon territoire » lui a t-elle répondu. Peu de temps après, Yempoaka est décédée et on l’a enterrée au milieu de son territoire, dans un lieu qui s’appelle « Tinsouka », qui veut dire, « le centre de la terre » et aujourd’hui, les autochtones de ce village ont l’interdiction d’aller voir la tombe de cette chef. En cas de sécheresse, on va faire un sacrifice là-bas et avant la fin du sacrifice, il pleut.

Tout heureux de la réponse de sa sœur, le petit frère est revenu informer son père que sa sœur lui a légué tout son territoire pour gouverner. Son père lui a alors posé cette question : « Comme tu ne vaux rien, est-ce que tu vas pourvoir gouverner le territoire ? ». En Mooré, tu ne vaux rien se dit : « Fo-Kavonré ». Et lui, de répondre : « m’pazolg-yé », c’est-à-dire « Je ne suis pas bête ». Autrement dit, « Je ne suis pas bête et je serai capable de gouverner ». C’est ainsi que le jour de son intronisation, il choisit de baptiser son territoire « Pazolg-tenga », la terre de ceux qui ne sont pas bêtes, et prit comme nom, Naaba Pazolgo. Pazolg-tenga deviendra plus tard Bazoulé et Kavonré donnera Kaboré, le nom de famille des habitants du village.

L’actuel chef, Naaba Kiiba, est le 21e Naaba, il est un acteur central dans la résolution des problèmes de terre et parfois, la justice renvoie les gens vers lui.

Propos recueillis à Bazoulé par Joachim Vokouma (Lefaso.net) France

PARTAGER :                              

Vos commentaires

  • Le 22 octobre 2013 à 06:09, par wilfried En réponse à : Tourisme : Retour à Bazoulé, « La terre de ceux qui ne sont pas bêtes »

    Assez impressionnant en effet. J’y étais il y a juste un mois. Et sa proximité avec Ouaga est un vrai atout.
    Je l’ai recommandé à plusieurs de mes connaissances locaux et non burkinabé.
    Merci et félicitation au initiateurs

  • Le 22 octobre 2013 à 08:31, par Pierre Michaillard En réponse à : Tourisme : Retour à Bazoulé, « La terre de ceux qui ne sont pas bêtes »

    Venez tous nombreux à la fête de Bazoulé dimanche prochain 27 octobre.
    Le Koom LAKRE correspond à une fête traditionnelle qui consiste à demander aux ancêtres par l’intermédiaire des crocodiles d’offrir une dernière pluie aux récoltes. Depuis 2012, cette fête publique s’est une peu déconnectée chronologiquement des pratiques traditionnelles qui suivent un calendrier très variable et l’équipe des animateurs de Bazoulé souhaite en faire progressivement un nouveau festival annuel en dehors de Ouaga qui se tiendrait chaque dernier dimanche d’octobre.
    Pour la première fois, deux groupes musicaux ont été conviés : Ibrahim Keita et Nankama et Patrick Kabré. Ils font partie des jeunes talents du Burkina. Venez les écouter et encourager les jeunes de Bazoulé à réussir leur pari sur l’avenir du village et de la commune de Tanghin-Dassouri.

  • Le 22 octobre 2013 à 14:04, par rayhan En réponse à : Tourisme : Retour à Bazoulé, « La terre de ceux qui ne sont pas bêtes »

    juste une contribution. j’ai lu "un canton situé dans la commune rurale de Tanghin-Dassouri, à environ 37 km de Ouagadougou". Il y a pas de canton au Burkina Faso. On peut s’en tenir au découpage officiel. Le fait aussi de décaler la fête juste pour les raisons évoquées, ne ne semble pas pertinent du point de vue authenticité. Si on peut revoir....
    bonne fête tout de même

    • Le 22 octobre 2013 à 23:42, par kaboré En réponse à : Tourisme : Retour à Bazoulé, « La terre de ceux qui ne sont pas bêtes »

      juste pour remercier par rapport aux differents points de vue, nous voudrons vous garantir que le fait de decaler la date n’ecartera point l’authenticité de cette fete. Le chef et le conseil des sage font toujours ce qu’ils ont toujours fait pendant la fete . Les sacrifices ont lieu bien avant la fete. pour permettre au publique d’y participer une date est fixée en accord avec le chef et le conseil des sages du village et les troupes traditionnelles du canton qui viennent jouer . je pense que c’etaient plus authentiques les cantons que les decoupages officiel. Bazoulé est un chef lieu de canton et ce decalage de date du koom lakré a été beaucoup sollicité par les habitants du canton qui trouvaient pertinent d’avoir une date fixe pour leur fete.

 LeFaso TV
 Articles de la même rubrique
Burkina / Musique : Patrick Kabré chante Francis Cabrel