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Economie informelle au Burkina Faso : On sait où elle commence. Mais sait-on où elle s’arrête ? (1/2)

Publié le mardi 15 octobre 2013 à 20h47min

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Economie informelle au Burkina Faso : On sait où elle commence. Mais sait-on où elle s’arrête ? (1/2)

C’est un problème majeur. Qui n’est pas prêt d’être résolu. Le Burkina Faso s’est penché sur la question lors de la XIIIème Rencontre gouvernement-secteur privé, les lundi 7 et mardi 8 octobre 2013, à Bobo Dioulasso. Et il faut espérer que les différentes communications présentées ce jour-là feront l’objet d’une compilation afin que la réflexion menée ne se perde pas dans les méandres d’une administration publique qui a tendance à bien plus gloser sur les TIC qu’à en faire un outil de gestion efficient. C’est la première fois, depuis la tenue le 25 mai 2001de la 1ère Rencontre gouvernement-secteur privé, qu’elle se déroule sur deux journées.

« Le poids du secteur informel : quelles stratégies d’intégration dans l’économie formelle ? ». Bonne question. A laquelle a tenté de répondre du beau monde. Le premier ministre, bien sûr, mais aussi ses ministres et les principaux acteurs institutionnels de l’économie burkinabè : chambre de commerce, patronat, associations professionnelles… Sans oublier les opérateurs économiques locaux et nationaux qui ont fait, en masse, le déplacement jusqu’à la « capitale économique » du Burkina Faso.

Aussi étonnant que celui puisse paraître à un esprit « occidental » formaté par René Descartes, il existe au « Pays des hommes intègres » une Direction générale du secteur informel. Dont le DG est Hamidou Frédéric Sawadogo. Il parle d’ailleurs, plus volontiers, de « secteur non structuré » que de secteur informel. Selon une enquête de l’Institut national de la statistique et de la démographie (INSD), le secteur informel non agricole regroupe environ 80 % des actifs urbains et sa contribution au PIB est estimée à plus de 32 %. Autant dire, et Sawadogo le dit, que c’est devenu « une réalité incontournable dans notre environnement économique et social, à telle enseigne qu’aucune politique de développement ne peut se concevoir sans en tenir compte »*.

La Banque africaine de développement (BAD), qui finalise une étude sur l’informel au Burkina Faso**, évoque un « secteur informel de subsistance » : ambulants, vendeurs des rues… qu’elle ne prend pas en compte dans son étude. On pourrait évoquer, aussi, un secteur informel de complément : ceux et celles qui, ayant un emploi qui les met au contact du public, vendent « sous le manteau » bijoux, vêtements, chaussures, biscuits, friandises… afin d’arrondir leur fin de mois. Mais il y aussi un secteur formel/informel : ces entreprises, généralement du secteur des services (presse, édition, restauration, hôtellerie, transports…), qui ont pignon sur rue mais emploient stagiaires, scolaires, étudiants et étudiantes, mais aussi des diplômés de l’université, non-déclarés et, du même coup, non-protégés (sans être stricto sensu du « travail au noir » dès lors que la relation employeur-employé s’inscrit dans la durée).

On sait donc où commence l’économie informelle ; on ne sait pas où elle s’arrête. Or, selon la BAD, la « mutation des entreprises informelles faiblement productives vers de nouvelles entreprises plus productives et dont les gains de productivité se diffusent au reste de l’économie », passe par quatre actions : « améliorer l’accès au financement ; renforcer l’accès aux infrastructures marchandes et d’artisanat ; adapter les formations aux besoins ; faciliter l’accès aux marchés publics ». C’est dire que ces entreprises formelles/informelles sont incapables d’avoir une politique de formation adaptée aux besoins. Ce qui pénalise leur évolution et celle de leurs employés.

Un temps, l’informel était présenté comme un outil de lutte contre la pauvreté. Ce n’était pas faux. C’est pourquoi la BAD évoque un « secteur informel de subsistance ». Sauf que cette « informellisation » de l’économie est devenue une façon, parmi d’autres, de mettre en défaut l’ensemble du processus économique : pourquoi payer des salaires conformes à la législation ; pourquoi payer des taxes et des charges ; pourquoi refuser une main-d’œuvre corvéable à merci ; pourquoi ne pas favoriser une flexibilité de l’emploi qui profite aux entreprises… ? Quand on pose la question aux « entrepreneurs », ils rétorquent que l’administration burkinabè étant réticente à payer sa dette vis-à-vis du secteur privé – quand elle la paye, ajoutent-ils – qu’elle serait mal venue à avoir des exigences vis-à-vis des entreprises. Non pas que l’argent manque, précisent-ils, mais la corruption (au moins le clientélisme) s’est immiscée dans les « rencontres » entre administration publique et secteur privé.

Ils ajoutent que sans connexion politique rien n’est possible ; ou pas grand chose. Et que certains peuvent bien proclamer que « le secteur privé est le moteur d’un développement durable et prospère comme consigné dans la Stratégie de croissance accélérée et de développement durable (SCADD) »***, il suffit de faire un tour dans leurs entreprises pour constater que leur proximité avec Ouaga 2000 est un élément essentiel de leur stratégie de croissance. Ce sont les mêmes qui vous font faire la tournée de Ouaga-Ville et de Ouaga 2000 pour stigmatiser les « commerçants », dont on dit qu’ils sont proches du pouvoir, à travers leurs réalisations immobilières et leurs gros 4 x 4.

Peut-il en être autrement dans un pays sous-développé où les fondements de l’économie sont le fait d’entrepreneurs qui ont été… entreprenants sans avoir jamais été en mesure de maîtriser les fondamentaux de l’entreprise ? S’il avait fallu attendre une génération de diplômés en administration des entreprises pour que le Burkina Faso, à l’instar d’autres pays africains, implante des activités de production, les femmes de Banfora bouderaient toujours les pagnes au profit des feuilles****. Blaise Compaoré est conscient qu’il lui faut faire avec une classe entrepreneuriale qui n’est sans doute pas, aujourd’hui, à la hauteur des ambitions du Burkina Faso. Mais il n’y en a pas d’autre. Et ces entrepreneurs-là ont joué le jeu (et certains ont beaucoup gagné dans l’affaire), permettant au pays de passer d’une économie centralisée à une économie libéralisée. Aujourd’hui personne n’ambitionne d’être Sankara ; tout le monde veut être celui ou celle qui est au volant d’un puissant 4 x 4 V8 blanc immaculé !

Il n’en demeure pas moins qu’il faut passer à autre chose. Il y a quelques jours, Assimi Kouanda, ministre d’Etat, ministre chargé de mission à la Présidence du Faso, évoquait avec moi les changements sociologiques majeurs auxquels avait été confronté le Burkina Faso en l’espace de quelques années. Nous nous sommes mis d’accord pour qualifier cette évolution de « ratchet effect », ce fameux effet de crémaillère qu’affectionnaient les économistes autrefois mais qui reste d’actualité, aujourd’hui, au plan sociologique (alors que c’est un concept, à l’origine, de comportement « individuel »). Autrement dit, quand on a atteint un certain niveau d’évolution, il devient difficile de revenir à un niveau « inférieur ». Le Burkina Faso, à l’instar de beaucoup de pays dans le monde (à commencer par les pays « émergents »), ne peut pas accepter de remettre en question ses perspectives d’évolution.

* D’après L’Economiste du Faso du Lundi 7 octobre 2013. Article de Christian Koné et d’Elie Kaboré : « Secteur informel : un vieux débat remis au goût du jour ».

** D’après L’Economiste du Faso du Lundi 14 octobre 2013. Article de Karim Gadiaga : « La BAD mise sur une transformation structurelle ».

*** Alizèta Ouédraogo, présidente de la Chambre de commerce et d’industrie du Burkina Faso (CCI-BF), lors de la XIIIème rencontre gouvernement-secteur privé.

**** A la fin des années 1940 l’Union fraternelle des originaires de Banfora (UFOB) était entrée en conflit avec le RDA après avoir décidé l’interdiction du port des feuilles par les femmes qui boudaient les pagnes. La région de Banfora était alors intégrée à la colonie de Côte d’Ivoire où le PDCI, émanation du RDA, parti panafricain, dictait sa loi politique. Le PDCI considérait que le positionnement de l’UFOB était fondé sur des bases ethniques pénalisant son recrutement.

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche DIplomatique

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