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Mali : IBK bat le tambour d’un Mali glorieux avec les tibias des morts venus d’ailleurs.

Publié le dimanche 22 septembre 2013 à 22h22min

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Mali : IBK bat le tambour d’un Mali glorieux avec les tibias des morts venus d’ailleurs.

L’image qui me restera de cette journée d’exception est celle que l’on a annoncée mais que je n’ai pas vue. La chaîne française d’information en continu i>TELE a entrepris de retransmettre en direct cette cérémonie d’investiture bis du président Ibrahim Boubacar Keïta. Pas de problèmes. Sauf que ce type de manifestation ne se déroule jamais en Afrique francophone (à quelques exceptions près) selon le timing annoncé.

Un ambassadeur de Guinée équatoriale en France aimait à me répéter que Dieu avait bien fait les choses : il a donné la montre aux « Blancs » et le temps aux « Noirs ». Les VIP rassemblés à Bamako ayant finalement déjeuné à l’heure du goûter, i>TELE a donc dû meubler tout au long d’une cérémonie qui tirait en longueur. Du même coup, la conférence de presse prévue pour clore la journée a été largement décalée dans le temps. On avait annoncé la présence de quatre présidents pour répondre aux questions : IBK, bien sûr, et François Hollande, mais aussi Idriss Déby Itno et Alassane D. Ouattara. Et le bandeau d’annonce d’i>TELE n’a cessé de proclamer la présence de ce quatuor tout au long de sa retransmission de la conférence de presse.

Apparemment ADO, président de la Cédéao, n’était pas de l’opération. Dommage : l’image aurait été forte de la présence du chef de l’Etat français auprès du « socialiste » malien, du « libéral » ivoirien et de « l’autoritaire » tchadien. Trois chefs d’Etat africains qui doivent leur accession ou leur maintien au pouvoir à l’armée française. Une armée française engagée à leurs côtés sous des présidents différents, de droite (Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy) comme de gauche (Hollande).

Symbolique ! Non pas d’une « Françafrique », concept auquel je n’ai jamais adhéré, mais d’une Afrique qui, trop souvent, revendique haut et fort son indépendance et sa souveraineté, sans jamais se donner les moyens d’assurer l’une et l’autre. Le long discours de IBK, au stade du 26-Mars, s’est inscrit dans ce cadre d’affirmation-négation. Un Mali historique, glorieux, mondialisé avant la mondialisation (et, bien sûr, la colonisation), une puissance internationale dont l’impact se faisait ressentir jusqu’en Asie…

Et puis cette longue litanie égrenant les amitiés dont peut se flatter, aujourd’hui, le « Mali nouveau ». Il est vrai que pas loin d’une trentaine de chefs d’Etat et de gouvernement a fait le déplacement jusqu’à la fournaise du stade du 26-Mars. Hollande, incontournable ; Déby Itno inévitable ; ADO, Blaise Compaoré, son « infatigable frère » (seul chef d’Etat accompagné de son épouse), Thomas Boni Yayi, les acteurs-vedettes de la résolution de la « crise malo-malienne » au titre de la Cédéao et de l’Union africaine ; mais aussi un inattendu Mohammed VI, « invité d’honneur » au titre de l’Afrique musulmane et de l’islam et aujourd’hui dans le collimateur d’AQMI ; Obiang Nguema Mbasogo, présenté par IBK comme « le doyen des chefs d’Etat africains » et le promoteur, « au plan social, d’un modèle nouveau qui est en train de voir le jour » (ce qui ne manquera pas de surprendre les Equato-guinéens qui n’appartiennent pas à la sphère du pouvoir, les nombreux Africains qui « font tourner la machine » dans un contexte qui n’est pas sans évoquer les pires heures de la colonisation espagnole et les ONG qui ne cessent de dénoncer une corruption érigée en mode de production). Le très « républicain » IBK, figure de proue africaine de l’Internationale socialiste, n’avait pas, en ce jour de gloire, l’ambition de faire le tri parmi ses amis. Il est vrai qu’il n’était pas plus dans la nuance concernant ses « modèles ».

Rappelant qu’il avait été comparé à Charles de Gaulle, François Mitterrand, Edgar Faure (président du Conseil sous la IVème République dont il a été une des figures emblématiques), IBK déclarera sans sourciller que « mieux que De Gaulle, mieux que Mitterrand, mieux que Faure, je suis moi-même ». On mettra cela, bien sûr, sur l’emballement qu’a pu provoquer cet étonnant jamboree de chefs d’Etat. IBK n’en revient pas d’être admis, enfin, au club des présidents de la République ! Il est vrai que, jamais, la cérémonie d’investiture d’un chef d’Etat africain n’avait mobilisé autant de personnalités et d’équipes de télévisions étrangères. L’espace de quelques heures, Bamako est devenu la « capitale de l’Afrique » : il faudra bien du temps avant qu’un événement national africain rassemble autant de beau monde continental… !

Ce jeudi 19 septembre 2013 n’a pas été une journée de fête populaire : rien d’autre que la consécration d’un homme. La cérémonie du stade du 26-Mars a débuté – très tardivement – par un court documentaire à la gloire d’IBK. Puis Hollande, Ouattara, Déby et Mohammed VI sont venus dire leur satisfaction d’être là en lieu et place des « djihadistes » qui ambitionnaient, dit-on depuis le 11 janvier 2013, de s’installer à Bamako. Oubliée la « guerre » déclenchée par le MNLA ; oublié le coup d’Etat foireux du capitaine Sanogo ; oubliée la débandade politique d’un Mali coupé en deux ; oubliées les tribulations d’une « transition » au cours de laquelle les « bérets verts » ont entrepris d’éradiquer les « bérets rouges » tout en matraquant le pouvoir civil ; oubliée la trouille de Bamako face à l’offensive des « djihadistes ».

Le 11 janvier 2013 et l’opération « Serval » ont redonné la « pêche » à la classe politique malienne qui, cependant, a été bien incapable d’unir la nation autour d’un projet de reconquête du territoire. Il a fallu l’engagement massif des troupes françaises, le savoir-faire guerrier des Tchadiens, le soutien de la « communauté internationale » et « l’infatigable » travail de médiation des Burkinabè pour que, enfin, quelque peu contre le cours des événements maliens, un président de la République soit élu. Ce que les chefs d’Etat sont donc venus célébrer le 19 septembre 2013, ce n’est donc rien d’autre qu’une… élection présidentielle qui s’est bien déroulée. C’est dire que cet événement banal et national est devenu, en Afrique, un événement exceptionnel et international : on avait déjà vécu cela lors de la prestation de serment de Ouattara, à Yamoussoukro en 2011.

Autant dire que IBK bat le tambour d’un Mali glorieux avec les tibias des morts venus d’ailleurs. Idriss Déby, acclamé plus qu’aucun autre par la foule présente au stade du 26-Mars, lors de la conférence de presse, n’a pas manqué de faire remarquer que lorsque les troupes tchadiennes sont arrivées sur le terrain malien, elles n’ont « trouvé que la France seule ». Façon de dire que les Maliens ne se sont pas bousculés pour aller défendre leur territoire et que les troupes africaines promises par la Cédéao n’ont pas été beaucoup plus motivées.

La meilleure preuve en est - et Déby Itno*, là encore, a relevé le fait - que le contingent tchadien qui devait être relevé en août ne l’était toujours pas alors « qu’il n’y a pas que le Tchad qui devait être là » (c’est pourquoi, explique-t-il, plus d’une centaine de soldats tchadiens ont pris la poudre d’escampette dans le Nord-Mali ; pour rejoindre des groupes « rebelles » qui, eux, tiennent leurs promesses ?). IBK, lors de cette conférence de presse, a dit que le Mali était « en attente d’un chef ». Le « chef » est arrivé. Promettant « plus jamais ça ». L’Histoire nous dira si Kankélétigui (« L’homme qui n’a qu’une parole ») mérite son blaze !

*Promu par le fait d’armes de ses soldats « parrain de l’Afrique francophone », le président Idriss Déby Itno n’est plus dans la retenue. Lors de son intervention au stade du 26-Mars, il a donné ces conseils à son « protégé » : « Vous devez faire face à des exigences de transparence, d’unité, de justice et de réconciliation. Vous n’avez pas droit à l’erreur, d’où la nécessité d’associer toutes les forces vives du pays à l’œuvre titanesque de réconciliation qui vous attend ». Les « opposants » tchadiens à Déby Itno, ceux qui croupissent en prison, ceux qui ont choisi la route de l’exil, ceux qui sont réfugiés dans les pays voisins ont dû se poser la question de savoir où le chef de l’Etat tchadien a été chercher ces mots de « transparence, unité, justice, réconciliation » qui, d’ordinaire, ne font pas partie de son vocabulaire.

Jean-Pierre BEJOT
LA Dépêche Diplomatique

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Vos commentaires

  • Le 23 septembre 2013 à 13:24, par FITINI DRON En réponse à : Mali : IBK bat le tambour d’un Mali glorieux avec les tibias des morts venus d’ailleurs.

    DE SOUDJATA A IBK : DEUX KEITA MAIS DEUX MONDES !
    En faisant référence à tout bout de champ au passé du Mali de ses ancêtres, il y a un risque qu’IBK ne confonde l’épopée et la réalité.
    Le mali est profondément divisé et ce ne sont les incantations d’un passé glorieux qui l’unifiera. Ce n’est pas le recours aux conseils d’un tyran comme comme Moussa Traoré ni les parades d’un général fort en gueule qui n’est pas allé au front comme Sanogo qui aideront à remettre sur pied l’armée malienne. Car celle-ci n’a jamais rien fait que réprimer son peuple. Lisez le roman du père de l’actuel Premier Ministre, Toile d’araignée, pour avoir une idée d’un homme comme Moussa Traoré, celui qui a retenu le président Hollande trente secondes durant la cérémonie d’investiture d’IBK (pour lui dire quoi, d’ailleurs ?).
    Le Mali a trois problèmes fondamentaux : croire que tout le monde est musulman (se vautrer aux pieds des Marocains n’arrangera rien), croire que tout le monde est bambara (même entre les Noirs, il faut faire justice à toutes les ethnies : certains ont vomi Soumaïla Cissé au seul fait qu’il est du nord) et surtout croire qu’une armée tournée vers le passé et sensible aux flatteries des griottes peut défendre son territoire.
    ON NE CONSTRUIT PAS UNE NATION SUR LE MYTHE DU PARADIS PERDU !

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