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Le FPI va-t-il une fois encore rater son rendez-vous avec l’Histoire de la Côte d’Ivoire (2/2)

Publié le mardi 17 septembre 2013 à 22h31min

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Le FPI va-t-il une fois encore rater son rendez-vous avec l’Histoire de la Côte d’Ivoire (2/2)

La mise en liberté provisoire, le 5 août 2013, du « groupe des 12 », ces cadres dirigeants du FPI, a permis à Pascal Affi N’Guessan de reprendre la présidence du parti « gbagboïste », abandonnée pendant son emprisonnement à Bouna. Cette remise « provisoire » en liberté avait été saluée, depuis Accra, au Ghana, le 13 août 2013, par le Dr. Assoa Adou, porte-parole de la coordination FPI en exil, comme un premier aboutissement du combat politique menée par le parti, ses « militants » et les « forces populaires », depuis les événements du 11 avril 2011 (cf. LDD Côte d’Ivoire 0415/Lundi 19 août 2013).

Le parti était alors géré par un « intérimaire » : Miaka Oureto. Le retour de Affi N’Guessan est, tout à la fois, celui de l’homme qui a signé pour le compte du FPI les accords de Marcoussis en 2003 et de l’homme lige de Laurent Gbagbo. On pouvait espérer que le patron du FPI serait sur une ligne politique qui viserait à reconstruire le parti sur ses fondamentaux : social ; anti-libéral ; anti-impérialiste ; souverainiste. Même s’il n’est pas le mieux placé pour cela (cf. LDD Côte d’Ivoire 0417/Mardi 10 septembre 2013). Alors que la palabre entre leaders et générations mine le PDCI, alors que le RDR sombre dans « l’économisme » (pour ne pas dire le clientélisme), le FPI « nouveau » avait un boulevard devant lui (selon la formule de la rue abidjanaise c’est même : « maïs devant lui » - cf. LDD Côte d’Ivoire 0416/Lundi 26 août 2013). Il pouvait espérer rassembler, au-delà des « socialistes » ivoiriens (ou ce qu’il en reste), les laissés-pour-compte du « ouattarisme » et les frustrés « bédiéistes ». Ce qui fait du monde.

Mais, et c’est le premier aspect de ce questionnement au sujet du devenir du FPI, le plus emblématique des partis d’opposition ivoirien pose un préalable : la libération des Gbagbo. Mamadou Koulibaly, quant à lui, ancienne figure majeure du parti mais en rupture avec lui depuis 2011, explique qu’à l’instar de l’ANC qui a fait sans Nelson Mandela, le FPI devrait apprendre à faire sans Gbagbo. Affi N’Guessan a choisi une autre démarche ; que Le Patriote, quotidien ivoirien, qualifie « d’inertie intellectuelle ». Même si le débat intellectuel n’est pas exactement la caractéristique majeure du journal du ministre d’Etat, ministre de l’Intérieur, Hamed Bakayoko. Ayant repris les rênes du FPI, Affi N’Guessan a renoué avec la pire diatribe contre le régime d’Alassane D. Ouattara.

Or, on peut être opposé à la politique qui est celle menée par Ouattara – priorité à l’économique au détriment du social –, nul ne peut nier que la Côte d’Ivoire aujourd’hui ne ressemble plus à celle d’hier. Quand Affi N’Guessan affirme que « Ouattara a rendu le pays méconnaissable en deux ans », ce n’est pourtant pas pour lui rendre hommage. « La Côte d’Ivoire va mal, dit-il, elle va à vau-l’eau, elle se désagrège et tombe en ruine sous nos yeux ». Nostalgique des « performances observées sur la gouvernance de Laurent Gbagbo », Affi N’Guessan dénonce, par ailleurs, pour faire bonne mesure, un « désordre sécuritaire généralisé ». La diatribe, étonnamment, fait suite à une revendication de « dialogue politique » accélérée. C’est dire que dans ce qu’il appelle son « discours d’orientation », Affi N’Guessan ne fait pas dans la dentelle. Etonnant pour un type en « liberté provisoire » qui traîne derrière lui les années de feu et de sang de la « gouvernance de Laurent Gbagbo » et qui, pourtant, entend revenir dans le jeu politique.

Le FPI risque de rater son rendez-vous avec l’Histoire cette année comme il l’a perdu au cours des années passées. « Tout le monde en est convaincu : un Laurent Gbagbo devenu opposant d’Alassane Ouattara, c’était la vie politique ivoirienne qui gagnait. Surtout, la probabilité pour que le leader du FPI retrouve un jour le palais de Cocody par les urnes était grande. Hélas on ne fait pas l’histoire avec des si ! ». C’est l’édito du quotidien privé burkinabè L’Observateur Paalga (lundi 9 septembre 2013) qui le dit, commentant « le retour d’Affi ». Dans Le Pays, l’autre grand quotidien privé burkinabè (lundi 9 septembre 2013), le ton est plus sévère encore. Boundi Ouoba dénonce « ceux qui ont agi dans l’ombre pour l’élargissement de Affi N’Guessan » et de ces « pro-Gbagbo […] qui excellent dans la provocation » et seront « les premiers à jouer les victimes […] en cas de dérapage ».

Pour Ouoba, si Affi N’Guessan, « qui, à sa sortie de prison, tenait un discours conciliant et lénifiant, se mue subitement en fauve enragé, sitôt après avoir respiré le vent de la liberté », c’est pour mieux « dénoncer la volonté de Ouattara de casser de l’opposant » dès lors que la justice ivoirienne décidera de renvoyer le président du FPI en prison. Le quotidien gouvernemental Sidwaya, de son côté, a choisi de donner la parole (vendredi 6 septembre 2013) au jeune député RDR de Korhogo, Kanigui Mamadou Soro, qui se trouve, lui aussi, sur une ligne de stricte rigueur : « Ceux qui sont en prison ont fauté et de par leur refus de se soumettre aux résultats des urnes, beaucoup d’Ivoiriens et même de ressortissants de pays amis sont morts. Beaucoup de biens détruits. Si on les libère sans situer les responsabilités, pensez-vous que les familles des victimes resteront les bras croisés ? Surtout qu’ils [il s’agit des « cadres du FPI »] semblent n’avoir aucun remord ? ».

Provocation du FPI ? Ou absence de réflexion ? Quoi qu’il en soit, c’est jouer la politique du pire. Et ce n’est pas ce dont a besoin la Côte d’Ivoire. ADO a pris, enfin, pleinement la mesure de la difficulté de sa tâche ; y compris dans le domaine qui est le sien : l’économie. Il milite activement pour l’annulation de la dette de la Côte d’Ivoire. A Nice, le samedi 7 septembre 2013, en marge des Jeux de la Francophonie, il a demandé à François Hollande « l’abandon pur et simple » de sa dette à l’égard de la France : 2,9 milliards d’euros. Un accord de conversion a été signé avec Paris en cette matière ; mais Abidjan le trouve contraignant : il oblige la Côte d’Ivoire à engager les fonds afférents à la dette remise dans des programmes « sociaux ».

Or ADO veut avoir les mains libres et choisir, lui-même, ses priorités. Dans l’entourage du chef de l’Etat, on ne manque pas de dénoncer l’ostracisme de Paris à l’égard d’Abidjan. Ou, plus exactement, de Hollande vis-à-vis de Ouattara. Le président de la République française, dit-on, ne respecterait pas les engagements souscrits à l’égard du président de la République de Côte d’Ivoire par son prédécesseur. Esprit revanchard à l’égard de Nicolas Sarkozy ? Internationale socialiste (dont le FPI est membre) contre Internationale libérale (dont le RDR est une figure significative en Afrique) ?

Le contexte économique est actuellement tendu en Côte d’Ivoire. 2011 et 2012 ont été des années de rattrapage de la croissance. Faciles. 2013 n’est pas une promenade de santé. La « modernité » de la Côte d’Ivoire ne va pas au-delà de l’axe Le Plateau/La Riviera/Cocody. Et pour booster la croissance au-delà du simple « entretien » de la machine économique, ADO sait qu’il faut passer à la vitesse supérieure. Il sait aussi que, bien que chantre de l’économie privée, ce sont les politiques publiques qui maintiennent l’économie ivoirienne à flot. D’où cette annonce (que l’on peut juger politiquement prématurée) qu’il sera candidat à sa réélection parce qu’il ne pourra pas réaliser d’ici 2015 le programme pour lequel il a été élu en 2010. Ce qui pourrait être jugé inconséquent.

Or cette préoccupation économique qui est celle de la Côte d’Ivoire d’aujourd’hui – préoccupation fondamentale pour le pays mais aussi pour la région ouest-africaine – est actuellement absente du discours politique du FPI. L’œil dans le rétroviseur et obnubilé par la situation de ses fossoyeurs : les Gbagbo et les « gbagboïstes » ! Face aux « libéraux » (globalement les « houphouëtistes »), qui pédalent le nez dans le guidon pour grimper la pente de la croissance qui conduit à « l’émergence », les « socialistes » ont une mission de représentation politique des intérêts sociaux des populations. Ils ont dû l’oublier.

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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