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Sénat burkinabè. Le consensus des « décideurs » n’est pas, pour autant, la concertation avec les « acteurs ».

Publié le jeudi 5 septembre 2013 à 22h20min

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Sénat burkinabè. Le consensus des « décideurs » n’est pas, pour autant, la concertation avec les « acteurs ».

L’impatience était telle qu’il n’a pas fallu longtemps pour que le « rapport d’étape circonstancié sur l’opérationnalisation du Sénat » (cf. LDD Spécial Week-End 0600/Samedi 31 août-dimanche 1er septembre 2013) soit disponible. Avec un « comité de suivi et d’évaluation de la mise en œuvre des réformes politiques consensuelles » de trente membres, d’horizons divers, il était évident que le secret ne pouvait pas être gardé. D’autant moins longtemps qu’il n’y a rien de secret dans ce rapport. Dont la lecture est, par ailleurs, quelque peu ennuyeuse.

Une introduction (qui rappelle l’historique des « réformes politiques ») et cinq parties + une très courte conclusion. Qui espère que les décisions qui seront prises permettront le retour d’un « climat social apaisé » et contribueront au « raffermissement de la stabilité, de la cohésion sociale, de la paix et de l’approfondissement de la démocratie ».

C’est dire qu’il y a prise de conscience qu’il y a des tensions sociales et que ces tensions sont liées, pour une part, au projet de mise en place d’un sénat. C’est d’ailleurs l’objet de la IIIème partie de ce rapport clairement intitulée : « De l’analyse des controverses et préoccupations exprimées sur la mise en place du Sénat ». Le rapport évoque non seulement les « marches de protestation » et les « marches de soutien » mais également « des articles contre la mise en place du Sénat […] publiés dans la presse de façon récurrente ». Le rapport évoque longuement ces « controverses » que l’on peut résumer, en vrac, par les mots suivants : budgétivore ; inutile ; monocolore ; clientéliste ; inopportun ; « gérontiste » (enfin, si tant est qu’on soit un « vieillard » au-delà de 45 ans !).

Le rapport n’oublie pas de noter que les controverses portent sur « la possibilité de modifier l’article 37 de la Constitution par le Parlement bicaméral afin de permettre au Président du Faso de briguer un mandat en 2015 », ainsi que sur « la succession du chef de l’Etat » et « l’insatisfaction de certaines revendications sociales ». Autrement dit, il ne saurait y avoir de sujets interdits.

A lire le « rapport d’étape » (chapitre 2 de la IIIème partie), on note qu’au sein même du Conseil consultatif sur les réformes politiques (CCRP), des « controverses et préoccupations » avaient été exprimées par « certaines composantes ». Et qu’elles rejoignent, largement, celles exprimées par « l’opinion » : « le caractère trop partisan du Sénat ; l’insuffisance de concertation et de communication autour de la mise en place du Sénat ; les insuffisances relevées dans la loi organique portant organisation et fonctionnement du Parlement ; le Sénat comme un instrument inavoué de révision éventuelle de l’article 37 de la Constitution ».

Les membres du Comité de suivi ne sont pas pour autant gens à tailler des bâtons pour se faire battre. Ils rappellent, longuement (Ière partie : « Des réformes politiques consensuelles mises en œuvre »), que « la création du Sénat » n’est qu’un aspect parmi d’autres des « réformes politiques consensuelles ». Celles-ci ont permis, hormis le Sénat, l’adoption d’une douzaine de textes fondamentaux et l’organisation du Forum national sur la laïcité (27/29 septembre 2012). De la même façon, ils vont rappeler que le projet de création du Sénat n’a pas été improvisé et qu’il résulte d’une réflexion approfondie. C’est la révision de la Constitution (11 juin 2012) qui a institué un Parlement à deux Chambres : Assemblée nationale et Sénat.

C’est l’objet de la IIème partie du « rapport d’étape » : « Des dispositions prises pour l’opérationnalisation du Sénat ». Lieu de représentation « des collectivités territoriales, des autorités coutumières et religieuses, du patronat, des travailleurs, des Burkinabè vivant à l’étranger et de personnalités nommées par le Président du Faso ». C’est donc un Sénat à 89 membres dont 29 nommés par le Président du Faso qui devait être mis en place. Les 39 sénateurs représentant les collectivités territoriales ont été élus le 28 juillet 2013, élection validée par le Conseil constitutionnel. Le 4 août 2013, une partie des sénateurs représentant les Burkinabè de l’étranger l’ont été aussi. Au total, 44 sénateurs sont d’ores et déjà désignés.

Le débat qui a fait l’objet de la session extraordinaire du 16-31 août 2013, à la suite de la demande du Président du Faso le 12 août 2013 (cf. LDD Burkina Faso 0376/Lundi 12 août 2013), fait l’objet de la IVème partie de ce « rapport d’étape » : composition ; âge ; nombre ; quota du chef de l’Etat ; candidatures ; relation Sénat/Assemblée nationale ; coût ; modalités de mise en place, ce sont là les 8 chapitres qui ont fait l’objet d’une discussion. Avant que la Vème partie n’aborde les « Propositions et recommandations du Comité de suivi et d’évaluation de la mise en œuvre des réformes politiques consensuelles ». C’est là, bien sûr, l’essentiel. Nul doute que tout le monde va rester sur sa faim. Il s’agit de « propositions » et de « recommandations » qui s’inscrivent dans le projet de Sénat et ne le remettent pas en question. Un Sénat moins nombreux (71 sénateurs au lieu de 89) ; plus jeune (30 ou 35 ans comme âge plancher au lieu de 45 ans) ; moins clientéliste (le quota de nomination par le chef de l’Etat serait révisé à la baisse) ; moins coûteux (réduction du nombre de jours de sessions parlementaires, étude budgétaire…). Pour le reste, ce ne sont pas les préoccupations majeures des « anti-Sénat ».

Les rédacteurs du « rapport d’étape » ont, semble-t-il, conscience de l’insuffisance de leurs propositions (difficile de mieux faire : le Sénat est inscrit dans la Constitution). Ils préconisent la saisie du Conseil constitutionnel ; ce qui ne changera rien. Plus significatif : ils appellent à « maintenir les concertations avec toutes les couches sociopolitiques du Burkina Faso afin de préserver la paix et la cohésion sociale » et à « prendre des mesures sociales fortes au profit de l’ensemble de la population notamment dans le cadre de la lutte contre la vie chère », toutes recommandations qui sont, par ailleurs, hors sujet. Ils ajoutent qu’il convient « de rappeler à l’opinion publique que le maintien en l’état ou la modification de l’article 37 de la Constitution a fait l’objet, au cours du CCRP et des Assises nationales, de débats qui n’ont donné lieu à aucun consensus. Par conséquent, la mise en place du Sénat n’a pas pour but de modifier cette disposition constitutionnelle ». Autrement dit, le « 37 », cela ne les concerne pas… ! Autres recommandations : « accélérer la mise en place du Conseil national des sages et de l’observatoire national de prévention, de gestion et de résolution des conflits », « accélérer l’opérationnalisation des cadres de dialogue notamment entre le gouvernement et l’opposition ».

Autant dire qu’on a le sentiment que le « comité de suivi » a conscience qu’il y a le feu dans la maison et qu’avant d’appeler les pompes funèbres il serait bon de téléphoner aux pompiers. Sauf que des voyous les empêchent d’approcher du lieu du sinistre. Et sans que la police identifie qui sont les uns et les autres. Pas simple.

Toute cette opération a souffert d’un déficit de dialogue et d’information. Le « rapport d’étape » le dit ; il souligne « l’insuffisance de concertation et de communication autour de la mise en place du Sénat » (IIème partie, § 2). En fait, le pouvoir semble avoir pensé que le consensus des « décideurs » pouvait tenir lieu de concertation avec les « acteurs ».

Chez les marxistes-léninistes, on caractérisait cela, autrefois, comme un comportement « aristocratique ». Cela devrait rappeler quelque chose à Bongnessan Arsène Yé. Le rapport souligne d’ailleurs qu’il conviendrait « d’élaborer et de mettre en œuvre un plan de communication adapté à la situation ». Autrement dit, il y a urgence à faire de l’action politique, ce que l’équipe au pouvoir a su faire très longtemps (et plutôt bien) mais un exercice auquel elle répugne désormais, considérant que les institutions sont là et que leur bon fonctionnement est un cadre suffisant pour le débat politique. N’est-ce pas Monsieur Assimi Kouanda ?

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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