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Côte d’Ivoire : Bédié dans le brouillard, Soro à Gagnoa et le FPI en liberté provisoire. Ainsi va la Côte d’Ivoire de Ouattara.

Publié le mercredi 21 août 2013 à 12h55min

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Côte d’Ivoire : Bédié dans le brouillard, Soro à Gagnoa et le FPI en liberté provisoire. Ainsi va la Côte d’Ivoire de Ouattara.

Il y a vingt ans, alors que l’été 1993 finissait, la Côte d’Ivoire de Félix Houphouët-Boigny vivait ses derniers instants. Le « Vieux » mourra le 7 décembre 1993. Mais déjà, alors que le chef de l’Etat était absent du pays depuis de longs mois, la bataille faisait rage dans les coulisses du pouvoir. Alassane D. Ouattara était premier ministre, Henri Konan Bédié présidait l’Assemblée nationale tandis que le leader de l’opposition s’appelait Laurent Gbagbo. Le FPI, son parti, avait alors un seul adversaire : le PDCI-RDA, ex-parti unique.

Ce n’était pas une configuration politique idéale pour l’opposition. Un parti de « gauche », fondé principalement par des enseignants syndiqués, face à la toute puissance d’un appareil bureaucratique soudé par le clientélisme, une administration aux ordres, des hommes (et des femmes) d’affaires dont le fonds de roulement devait beaucoup à la cassette du « Vieux » (et aux ressources générées par la production de cacao et les monopoles étatiques), une flopée d’anciens ministres dont la fortune financière était liée à leur bonne fortune politique et aux alliances familiales…

Vingt ans plus tard, la configuration n’est plus la même. Certes, il y a toujours ADO, Bédié et Gbagbo qui, tous trois, ont présidé la Côte d’Ivoire, mais le RDR s’est immiscé entre le PDCI et le FPI. Bédié avait sauvegardé un pouvoir obtenu par la voie constitutionnelle en mettant le RDR et le FPI dans le même sac. Gbagbo l’avait conquis dès lors que le général Robert Gueï, qui l’ambitionnait pour lui, avait disqualifié le PDCI et le RDR. ADO ayant reconstitué un front PDCI-RDR dit des « houphouëtistes », est parvenu, à son tour à s’en emparer.

Trois partis majeurs se disputent donc le pouvoir, désormais, au fil des alliances, parfois contre nature. Mais comme le dit Sylvain Miaka Oureto, patron intérimaire du FPI depuis juillet 2011, il vaut « mieux confier la bergerie au chien plutôt qu’au loup ». Autrement dit, dans ce jeu trouble du pouvoir ivoirien dont ADO n’a jamais cessé de fustiger « l’ambiance délétère », il faut savoir choisir un allié qui ne dévorera pas le troupeau.

C’est aussi, aujourd’hui, le point de vue du PDCI qui réuni en « conclave », le samedi 17 août 2013, à Yamoussoukro, a dénoncé « un manque de clarté et de lisibilité dans l’exécution des clauses de la coalition » avec le RDR, appelant du même coup à « décrisper les relations ». Ce que le PDCI reproche au RDR c’est d’accaparer le pouvoir et de « mettre au chômage des cadres du parti [PDCI] par leur remplacement systématique » au profit de proches de Ouattara, ce recrutement s’opérant au sein de « son groupe ethnique ».

Mais ce front commun contre les nomenklaturistes du RDR se fissure dès lors que la campagne pour la présidence du PDCI fait d’ores et déjà rage. C’est dans moins de deux mois (3-5 octobre 2013) que se tiendra le congrès du plus vieux des grands partis ivoiriens. Sur lequel Bédié, 79 ans, entend conserver la main. Sauf que le congrès du PDCI se tiendra deux ans avant la prochaine présidentielle 2015. Et si, dans cette perspective, Bédié entend, dit-on, sauvegarder l’alliance des « houphouëtistes » (à condition bien sûr que « l’argent circule »), il est au sein du parti des ambitions qui s’expriment. Dont celle de Bertin Konan Kouadio, chef de file de la nouvelle génération (cf. LDD Côte d’Ivoire 0409/Jeudi 25 juillet 2013), qui n’entend pas laisser gouverner le RDR quand l’opportunité est offerte au PDCI de revenir au pouvoir. Et lui avec.

Dans ce jeu à trois, chacun sait qu’il faut qu’un autre lui fasse la courte échelle pour accéder au pouvoir. C’est vrai pour les deux partis qui, aujourd’hui, n’y sont plus : PDCI et FPI. Bertin Konan Kouadio, challenger de Bédié pour la présidence du PDCI, le sait mieux que quiconque. Sylvain Miaka Oureto, l’intérimaire de Gbagbo à la tête du FPI, le sait aussi lui qui préfère « confier sa bergerie au chien plutôt qu’au loup ». Autrement dit plutôt le PDCI que le RDR.

C’est pourquoi le Dr Assoa Adou, porte-parole et coordonnateur du FPI en exil, a, depuis Accra, rédigé une déclaration très explicite à l’issue de la mise en liberté provisoire du « groupe des 14 », des proches de Gbagbo. 1 – « Ces camarades […] ont subi des traitements inhumains et dégradants dans leurs geôles ». 2 – Ce n’est pas d’une liberté provisoire mais « de liberté tout court » que ces « camarades ont besoin ». 3 – « C’est la seule mobilisation des militants et des forces populaires qui a rendu possible » leur libération. 4 – « Une camarilla de mercenaires, venus de la sous-région, occupe leurs terres et leurs maisons ». 5 – Il n’y aura pas de réconciliation nationale tant que Gbagbo et « les prisonniers politiques, civils ou militaires » n’auront pas été libérés et que les exilés n’auront pas bénéficié d’un « retour sécurisé ».

Assoa Adou, médecin membre fondateur du Parti ivoirien des travailleurs (PIT) en 1990-1993 avant de rejoindre le FPI en 1994, a été, au sein du parti de Gbagbo chargé des relations avec les syndicats, les partis politiques et la société civile (il a participé au gouvernement dès octobre 2000 et a été élu député de Cocody-Abidjan dès décembre 2000), autant dire qu’il appartient à la génération « militante » du FPI, la plus authentique. Parmi les exilés regroupés essentiellement au Ghana, il représente la branche politique (par opposition à celle qui prône la lutte armée pour la reconquête du pouvoir).

Son état des lieux de la Côte d’Ivoire « ouattariste » s’inscrit dans cette ligne : « destruction de l’Etat grâce au coup d’Etat de la droite française et à une communauté internationale instrumentalisée à souhait » ; « braderie de notre patrimoine national, de notre foncier rural et de la nationalité ivoirienne » ; « politique économique extravertie au service des intérêts des multinationales ». Compte tenu de ce discours particulièrement « idéologique », il est évident que ce n’est pas du côté du RDR que le FPI d’Assoa Adou et de Sylvain Miaka Ouareto va rechercher une alliance.

Zowenmanogo Dieudonné Zoungrana, dans le quotidien privé burkinabè L’Observateur Paalga (19 août 2013), qualifie joliment de « callinothérapie » la démarche du FPI vis-à-vis du PDCI. Il n’est personne en Côte d’Ivoire, d’ailleurs, pour nier que les grandes manœuvres ont débuté dans la perspective de 2015. La preuve en est qu’un visiteur s’est rendu, ces derniers jours (du 15 au 17 août 2013), là où on ne l’attendait pas : la boucle du cacao autrement dit Gagnoa, Mama, Guibéroua. Ce visiteur inattendu n’est autre que Guillaume Soro, président de l’Assemblée nationale. La région visitée est celle de celui que l’on a appelé « l’enfant terrible de Mama » : Gbagbo !

Aux dires de Boulkindi Couldiati, dans Le Pays (19 août 2013), autre quotidien privé burkinabè, Soro « n’a pas hésité à demander « pardon » pour les fautes commises par le pouvoir actuel dans la crise post-électorale ». Couldiati ajoute : « Un acte d’humilité qui le grandit et peut constituer un ferment pour la réconciliation ». Du côté des « gbagboïstes », on s’enthousiasme pour cette visite et ces propos. Soro ne vient-il pas du camp de Gbagbo même si, depuis, son cheminement a été chaotique ? N’est-il pas l’ancien compagnon de « jeu » politico-universitaire de Charles Blé Goudé, figure emblématique du FPI ? Et même s’il a annoncé qu’il soutiendra la candidature d’ADO en 2015, cela ne l’empêche pas de prendre date pour l’avenir là où, justement, le RDR a parfois joué, aux récentes élections régionales, la carte des FPI sous étiquette « indépendante », plutôt que des PDCI stricto sensu.

Toutes ces « grandes manœuvres » politiques sont à des années lumières du mode de production politique d’ADO. « Ce sont des affaires de famille qui lui échappent » me dit-on en substance dans l’entourage… « familial » de Gbagbo. L’ex-directeur général adjoint du FMI, manifestement, n’en n’a pas fini avec les « ambiances délétères » qui, en 1994, l’avaient conduit à reprendre du service à Washington avant de se sentir obligé de venir mener bataille à Abidjan. Une bataille qu’il a mis plus de onze ans à gagner (1999-2010) !

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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