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Poème : Le tort

Publié le jeudi 15 août 2013 à 19h05min

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Poème : Le tort

Enfants, j’ai le souvenir de nos parents musulmans debout sur la pédale du frein, tentant vainement de nous empêcher d’aller au catéchisme avec nos camarades catholiques. Pères et mères ignoraient qu’à la fin de chaque séance de récitations, il y avait le goûter. Dans l’ensemble, nous formions un groupe de catéchumènes plutôt distraits. Néanmoins, aujourd’hui on peut donner à lire cette version tropicale de l’œil de Caïn.

C’est dans la misère d’un coin de savane,
Lors que dans son dos chacals et hyènes ricanent
Que l’homme comprend qu’il a tort
Un tort bien gros, bien joufflu, bien grand et largement étalé
Un tort méchamment pimenté et durement salé
Il sait que son cas est au-delà de tout remords

Pour effacer les récriminations, il décide de faire peur
On me refuse le respect, eh bien, je rôtirai la rumeur
Si bien que les bonnes gens se taisent quand il approche
Salutations prudemment écourtées et silence sans reproche

Mais l’homme n’est guère satisfait
L’attitude des gens donne plus de chair à son forfait
On n’est pas loin de le considérer comme un fauve
Les lèvres sont closes, mais le regard n’est pas chauve

Sur un coude du sentier, on ignore grossièrement son salut
La sagaie virevolte et transperce l’insolent, marque l’insolente
Après cela, des chansons lui sculptent une statue
De toute la largeur de la bouche, avec une ferveur évidente

Mais l’homme n’est toujours pas satisfait
On dit que je suis le plus beau, que je suis parfait
Comment savoir si ces chiens le pensent vraiment
Comment distinguer le dos qui appelle le châtiment

Il lui faut une admiration sans condition, sans soupçon
Donc éliminer les fortes têtes, les hésitants et les mollassons
Ne pas lésiner sur le sang, on pend, on égorge, on étouffe
On étripe, on noie, on broie, on ébouillante, on affame, on assoiffe

L’épuration réalisée, l’homme est toujours circonspect
Les cris et les acclamations rappellent son péché originel
Les braillards les plus véhéments étant les plus suspects
La faiblesse est une faute, il lui faut une cruauté sacrificielle

Qu’on l’admire ne suffit plus, l’exorcisme doit être total
Les espions de tout poil vivent avec bonheur ce temps fatal
On surveille sa femme, ses fils, son voisin, tout le natal
On dénonce, on pourchasse l’ami, le concurrent et le rival

Le village ayant fait sa purge, la nature peureuse se tait
L’homme est maintenant face à un seul survivant
Les vents deviennent muets, mais il n’est toujours pas satisfait
Assurément, a survécu l’admirateur le plus décevant

Deux dans un coin de brousse, il y en a toujours un de trop
Un autre que soi porte sans souci une gerbe de quiproquos
Frapper avant que le singleton verse son tort dans d’autres oreilles
La nuit tombée, le festin des hyènes laboure son sommeil

L’humain a beau s’agiter, le jour surgit derrière les collines
Tout seul, la tête s’enflamme et les soucis s’agglutinent
Voir un être vivant, un être de chair et de sang comme lui
Impératif, devancer la course du feu intérieur qui le détruit

Prévenu par l’odeur d’humain, le cheval s’immobilise
Les naseaux prennent dans le vent ce pas qui se précise
Le regard de la bête lui hurle sa solitude au visage
Cet œil, ce regard qui fouille ses entrailles le ravage

L’étalon agonisant à ses pieds amplifie son désarroi
Avant tout la toilette, éternelle illusion de purifier les âmes
Trouver l’eau, pure traîtresse refusant de chasser les drames
Il s’avance vers l’onde qui murmure, attendant paisiblement sa proie

L’homme se penche sur la flaque qui passe son chemin
Il demeure suspendu à observer ce liquide parchemin
Enfin, il se surprend à parler au reflet étranger

- Je te cherche au sec, ignorant que tu savais nager.

Sayouba Traoré

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Vos commentaires

  • Le 16 août 2013 à 08:05, par LA Veuve Noire En réponse à : Poème : Le tort

    Très beau et émouvant....

  • Le 16 août 2013 à 14:18, par Tchientigui En réponse à : Poème : Le tort

    Le coq a chanté

  • Le 16 août 2013 à 15:06 En réponse à : Poème : Le tort

    Le frère du Canada a raison. La poésie, ce n’est pas pour le Faso...

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