LeFaso.net, l'actualité Burkinabé sur le net
Proverbe du Jour : “Soyez un repère de qualité. Certaines personnes ne sont pas habituées à un environnement où on s’attend à l’excellence.” Steve jobs

Alassane D. Ouattara deux ans après : détermination économique et flexibilité politique (1/2)

Publié le dimanche 11 août 2013 à 23h15min

PARTAGER :                          
Alassane D. Ouattara deux ans après : détermination économique et flexibilité politique (1/2)

Le temps passe. Inexorablement. Et le mandat d’Alassane D. Ouattara à la tête de la République de Côte d’Ivoire s’amenuise alors qu’il a déjà été amputé des mois dits de « crise post-électorale » qui se sont écoulés du deuxième tour de la présidentielle en novembre 2010 jusqu’à sa prestation de serment au printemps 2011. Ce qui, naturellement, même si personne ne l’aborde actuellement, pose la question de savoir quand sera organisée la prochaine consultation électorale : fin 2015 ou mi-2016 ?

Dans son entretien avec des journalistes de la RTI au soir de la célébration de l’anniversaire de l’indépendance, le mercredi 7 août 2013, ADO l’a rappelé : son mandat a été amputé et ce n’est pas la meilleure des choses. Le temps qui passe est d’ailleurs chez lui une préoccupation majeure. A trois reprises, en début d’entretien, il a évoqué « ces dix dernières années [qui] ont été terribles pour les Ivoiriens et les populations qui vivent ici ». Or, voilà quand même plus de deux ans que la Côte d’Ivoire a retrouvé un mode de fonctionnement normal dès lors que les scrutins présidentiel, législatif, régional et local ont pu être organisés aussi convenablement que possible. Les « dix années terribles » sont, dans l’esprit d’ADO, celles de Laurent Gbagbo ; il fait ainsi l’impasse sur la gestion calamiteuse de Henri Konan Bédié (1994-1999), qui s’est soldée par le premier coup d’Etat militaire qu’ait connu la Côte d’Ivoire, et celle tout autant calamiteuse mais dans un contexte différent, du général Robert Gueï.

Aujourd’hui, ADO n’a qu’une ambition : « Retrouver la Côte d’Ivoire dont nous avons hérité des pères fondateurs, dont notamment le président Félix Houphouët-Boigny ». La Côte d’Ivoire devenue mythique, celle du « Vieux » et du « miracle économique ». C’est faire l’impasse sur les « dix années terribles » que les Ivoiriens ont vécu au cours de la décennie 1980 quand il est apparu que le « miracle économique » avait des allures de mirage ; pas pour les nomenklaturistes du PDCI, alors parti unique, mais pour la population ivoirienne. Mais bon, hier, jour de fête de l’indépendance, ce n’était pas le moment « d’injurier le passé ». Les journalistes qui interrogeaient ADO n’ont d’ailleurs pas eu la curiosité de savoir qui il classait parmi ces « pères fondateurs ». Par contre, à trois reprises également, le chef de l’Etat a affirmé : « La page est tournée ». Pas celle des « années Houphouët », celle des années « Gbagbo » ! Enfin, parfois, il a nuancé : « Nous avons tenté de tourner la page ».

Début d’interview particulièrement difficile, d’ailleurs, pour le chef de l’Etat ivoirien, manifestement pas encore « chaud bouillant » pour tourner à la bonne vitesse. Interrogé sur la question de la souveraineté de la Côte d’Ivoire, il a cette phrase sibylline : « L’indépendance ne vaut que si l’espace est une quantité suffisante. C’est pour cela que nous devons aller au-delà de nos indépendances territoriales, et penser plus loin à des unions économiques et politiques plus larges. Ceci viendra avec le temps ». Manifestement, les interviewers et l’interviewé ne sont pas sur la même longueur d’onde, les premiers pensant sans doute (mais ne l’exprimant jamais) à la reconduction de la mission de l’ONUCI ; ADO, quant à lui, étant calé sur une préoccupation autre : l’intégration régionale. Il va même plus loin sur cette question en ajoutant : « Je pense que nous sommes un grand peuple et que nous pouvons élargir cette ambition, même au-delà de nos frontières ». Est-ce à dire que la République de Côte d’Ivoire a des ambitions hégémoniques régionales ? Ce serait une nouveauté.

Ce qui me conforte dans l’idée que, pour les interviewers, la question sur la « souveraineté » était liée à la situation sécuritaire qui prévaut dans le pays et, du même coup, à la présence (depuis plus de dix ans !) de la mission de l’ONUCI, c’est qu’ils embrayent aussitôt sur le programme DDR. « Difficile, complexe, coûteux », dira ADO qui évoque aussitôt – il est plus à l’aise dès qu’il y a des chiffres – 64.777 personnes armées qu’il convient de démobiliser. Une opération qui se chiffre à 85 milliards de francs CFA. D’où une inflation des forces armées : 27.000 personnes contre 15.000 alors que les effectifs de la gendarmerie et de la police restent stables. Il souligne que l’état des forces armées ivoiriennes (qui veulent récupérer leur dénomination de FANCI en lieu et place des FRCI dont ADO convient qu’elle a une « connotation négative ») est catastrophique : c’est une armée démunie de tout, y compris « les tenues, les chaussures, les moustiquaires ». Il souligne que « ce sont des questions [qu’il a] eu à régler il y a vingt ans, quand [il était] premier ministre. Je retrouve les mêmes problèmes » commente-t-il. ADO, qui a mis en place un « Conseil national de sécurité » dont il assure la présidence, annonce 500 milliards de francs CFA de dépenses, dans les trois années à venir, pour équiper l’armée, la gendarmerie et la police : des 4 x 4, des motos, des chars, des avions…

La question de la souveraineté et son corollaire, la sécurité, ayant été abordés, les interviewers vont passer tout naturellement à celle de la « réconciliation ». La Commission dialogue, vérité et réconciliation (CDVR) n’a pas convaincu les interviewers par son efficacité, c’est le moins que l’on puisse dire. En matière d’hommage rendu, ADO a fait le service minimum. Il a rappelé que le mandat de la CDVR s’achève le mois prochain et que c’est à cette occasion qu’elle lui remettra son rapport. Il ajoute aussitôt que la CDVR n’a pas vocation à perdurer. Ce qui est important, dit-il, c’est le « Programme national de cohésion sociale » qui, lui, « va durer des années et des années » ; il vise à « soulager les familles des victimes » des violences post-électorales et fait « partie d’un programme d’ensemble de développement de la Côte d’Ivoire ». ADO va zapper le bilan de la réconciliation pour passer à l’essentiel : la mise en liberté provisoire du « groupe des 14 » (cf. LDD Côte d’Ivoire 0412/Mercredi 7 août 2013). La réconciliation, va-t-il préciser, c’est autre chose que le dialogue politique. Et il affirme ainsi, ouvertement, que le FPI est « l’expression d’un courant politique ». Tout est dit.

Cette affirmation n’est pas neutre, d’ailleurs ; pas plus qu’elle n’est une complaisance à l’égard des « pro-Gbagbo ». ADO sait où il va et comment il doit y aller. Il a deux problèmes majeurs face à lui, avant la prochaine présidentielle : la question de la nationalité et la question du foncier rural. En ramenant le FPI dans le jeu politique national, il veut le replacer face à ses responsabilités, notamment celles qui étaient les siennes quand il était représenté à l’Assemblée nationale. ADO rappelle ainsi qu’il y a eu trois phases dans la gestion de cette question. 1 – Avant 1960, ceux qui vivaient en Côte d’Ivoire avaient droit à la nationalité ivoirienne par simple déclaration mais, dit ADO, cela n’a pas été porté à leur connaissance. 2 – De 1960 à 1972, c’est le droit du sol qui a été en vigueur : est Ivoirienne toute personne née en Côte d’Ivoire. 3 – Depuis 1972, c’est le droit du sang qui est en vigueur : est Ivoirienne toute personne n’est d’un parent ivoirien. « La loi, dit ADO, va restituer ce qui n’a pas été fait ». Il rappelle que c’est d’ailleurs un engagement pris dans le cadre des accords de Linas-Marcoussis signés par le PDCI, le FPI, le RDR, l’UDPCI… (On comprend dès lors sa volonté de réintégrer le FPI dans le jeu politique national). « Il n’est pas question de brader la nationalité ivoirienne, déclare-t-il. Il s’agit de régulariser des situations qui sont restées en dehors du circuit et ont créé des difficultés à certaines personnes qui résident sur notre territoire ».

Linas-Marcoussis ! C’était en début d’année 2003, au lendemain des événements du 18-19 septembre 2002 qui avaient coupé la Côte d’Ivoire en deux. C’est contraint et forcé que Gbagbo avait dû permettre au FPI d’être signataire de cet accord qui deviendra le symbole de l’ingérence de Paris dans le dossier ivoirien. On n’en parle plus guère et personne, sans doute, ne se souvient de ce qui a été décidé à l’issue de cette longue médiation.

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

PARTAGER :                              

Vos commentaires

 LeFaso TV
 Articles de la même rubrique