LeFaso.net, l'actualité Burkinabé sur le net
Proverbe du Jour : “Soyez un repère de qualité. Certaines personnes ne sont pas habituées à un environnement où on s’attend à l’excellence.” Steve jobs

Révoltes de jeunes à Bobo : Le mort de trop de la nationale N°1

Publié le jeudi 25 juillet 2013 à 22h05min

PARTAGER :                          
Révoltes de jeunes à Bobo : Le mort de trop de la nationale N°1

Dans la nuit du mercredi 3 au jeudi 4 juillet 2013, un accident mortel est survenu sur la route nationale N°1 à l’entrée Est de la ville de Bobo. Cet accident est le énième accident mortel sur cette route depuis sa reconstruction en 2008. L’accident de ce 4 juillet est sans doute celui qu’on retiendra pour longtemps au regard de la réaction qu’il a suscité. Pendant une journée entière (de 2h du matin à 18h, le 4 juillet), les jeunes riverains principalement des secteurs 24 et 25 de Bobo ont bloqué la route en y dressant des barricades qui ont coupé le trafic routier.

Une longue queue de véhicules est restée clouée pendant plusieurs heures sur le goudron. Après de longues tractations et des négociations infructueuses, le blocus a été levé aux forceps sous une pluie de gaz lacrymogènes. Le problème en lui-même reste entier. En attendant une solution définitive, le manque d’éclairage sur cette partie de la voie demeure un danger permanent.

Quand Bobo se révolte

Tristement réputée pour ses accidents mortels, l’ « Avenue de l’Union Européenne » est devenue l’ « Avenue de la mort » dans une certaine opinion bobolaise. Selon Eloi Sawadogo de la Ligue des jeunes, une organisation qui discute du problème de la route depuis plus d’un an, ce n’est pas la première fois que l’Avenue est bloquée suite à un accident. Au moins trois ou quatre fois, la route a déjà été bloquée par des riverains après un accident mortel. Ce jeudi 4 juillet, c’est un enseignant admis à titre posthume à son baccalauréat (source L’Express du Faso) qui trouve la mort sur cette route.

L’accident du 4 juillet est survenu aux environs de 1h30mn. La voiture, une Mercédès qui sortait de la ville en direction de Ouagadougou, a terminé sa course dans le caniveau à grand diamètre qui longe la voie juste à côté du pont, à l’Est du Rond-point de la Femme. Selon les témoignages notamment un gardien cité par notre confrère Sidwaya Bobo, le conducteur de la Mercédès a été dérouté par les phares d’un camion qui venait dans le sens inverse, mais ce véhicule qui serait à la base de l’accident n’a pas marqué d’arrêt. Le bruit du choc a résonné dans les quartiers riverains, à savoir les secteurs 24 et 25, respectivement des arrondissements 4 et 5 de Bobo-Dioulasso. Les populations n’ont pas tardé à se rendre sur les lieux de l’accident. Le constat fait état d’un mort, le chauffeur de la voiture, et deux blessés qui sont les deux autres occupants du véhicule. Les secouristes évacuent les blessés à l’hôpital, mais le corps du chauffeur va rester coincé dans le véhicule pendant plusieurs heures. Depuis l’heure précise de l’accident, l’avenue de l’Union Européenne (nom de baptême donnée à la route le 28 janvier 2011), est progressivement envahie par les populations. De simples curieux, observateurs dépités, le rassemblement prend la forme d’une manifestation.

Elle va se renforcer et se radicaliser progressivement avec le levé du jour et le soleil qui monte. Comme l’effet de la levure sur une pâte, la colère et l’indignation des manifestants les transportent. Les premières autorités à se signaler sur le lieu de l’accident sont les maires des arrondissements concernés. C’est Jacqueline Momo, maire du 4ème arrondissement qui est la première à se présenter sur le lieu aux premiers instants de la grogne. Sa tentative de dissuader les manifestants ne réussit pas. C’est le matin que le corps du chauffeur a pu être retiré de la carcasse du véhicule après une longue négociation conduite par Mme le Haut-commissaire, Nandy Somé. Pendant ce temps, sur l’Avenue, il se forme une longue file de véhicules tous pris dans le piège de la manifestation. Sur environ 10 kilomètres, des camions de marchandises, des véhicules de passagers, des véhicules de chantiers sont au pilori. Certains tentent des manœuvres pour se frayer des passages par les six mètres des quartiers riverains afin de rallier l’intérieur de la ville. Le calvaire va ainsi durer jusqu’à 17h et demie, heure à laquelle, les forces de sécurité passent à l’offensive. Les manifestants sont dispersés à coup de gaz lacrymogènes. La police et la gendarmerie procèdent également à plusieurs interpellations. Une dizaine de jeunes sont mis aux arrêts.

Le maire Salia et le Gouverneur se sont faits désirés

La route a été bloquée aux environs de 2h du matin. Certaines autorités comme Mme le Haut-commissaire, les maires Momo Jacqueline et Seydou Sanou des arrondissements 4 et 5, le Directeur régional de la police, Mme le Procureur, se sont présentés sur le lieu de l’accident et de la manifestation, certains dans la nuit même et d’autres de bonne heure le matin. Même si leur négociation n’a pas permis la levée du blocus, leur présence en elle-même est saluée. Ce sont les manifestants eux-mêmes qui le disent. La présence et la patience de Mme le Haut-commissaire a été particulièrement reconnue. Quid du maire de la commune et du Gouverneur de la région ? Le maire Salia Sanou et le Gouverneur, les deux premières autorités de la ville, ont été les derniers à se rendre sur le lieu de la manifestation. Alors que les manifestants se faisaient entendre depuis la nuit, c’est aux environs de 13h que le maire Salia s’est rendu sur les lieux.

Sur place, le maire n’a pas hésité à s’en prendre à certains de ses proches collaborateurs à qui il reproche de ne lui avoir pas informé de l’accident et de la manifestation. Le maire n’était-il pas véritablement au courant de ce qui se passait dans sa ville depuis la nuit ? Certains estiment que le maire n’a pas voulu se rendre sur le lieu pensant que la manif allait être vite désamorcée. D’ailleurs, dans la matinée, l’information qui circulait sur l’Avenue faisait croire que le maire est en déplacement. Il était récemment en France, mais il est rentré bien avant l’accident. C’est le durcissement du mouvement qui a fait sortir le maire de sa cache. Et lorsqu’il s’est présenté aux manifestants, ceux-ci ont eu une rage de plus. Certains manifestants ne voulaient pas du tout voir le maire qui a été forcé de se tenir à une distance respectable de la foule. Rejeté, le maire ne semblait pas être ni de corps ni d’esprit avec la situation qui prévalait. C’est ainsi que certains interprètent l’attitude du premier responsable de la commune qui s’est réfugié sous l’ombre où il a le temps de boire un rafraichissement pendant que la grogne tient tout le monde en haleine. Pendant une semaine que nous avons séjourné à Bobo, nous avons souhaité rencontrer le maire, mais la demande d’audience que nous avons introduite auprès de son protocole est restée sans suite.

Acte 2 : entrée en médiation de la communauté musulmane

Impuissantes face aux manifestants de plus en plus intransigeants, les autorités décident d’abattre une nouvelle carte. Elles mettent en jeu la communauté musulmane pour dialoguer avec les jeunes. Il est midi. Une délégation de la communauté musulmane arrive sur l’Avenue de l’Union Européenne et entre en contact avec les manifestants. On cherche les responsables de la manif pour constituer un comité de dialogue. Malgré la présence d’organisations au sein des manifestants, le mouvement ne semble pas être organisé. Il est composé d’une foule hétéroclite, les uns plus radicaux que les autres. Il faut donc procéder à la désignation de ceux qui vont représenter les manifestants pour une réunion envisagée au gouvernorat. Un comité de 9 personnes est ainsi formé.

Qui sont les représentants des jeunes ? Depuis le matin, des politiques sont bien présents dans la foule. Ils sont soit du pouvoir soit de l’opposition. Un conseiller du CDP estime qu’il y avait la main de l’opposition dans la manifestation parce que certains lançaient des slogans hostiles à la mise en place du sénat. Il faut rappeler que la manifestation a eu lieu dans l’intervalle des marches anti et pro-sénat organisées respectivement le 29 juin par l’opposition et le 6 juillet par le CDP et la mouvance. Les propos du genre, « il faut utiliser l’argent du sénat pour éclairer la route » sont attribués à des militants de l’opposition. Le CDP aussi veut être de la manifestation. D’une main à peine dissimulée, Drissa Guiré, 2ème adjoint au maire du 5ème arrondissement et par ailleurs président du conseil régional des jeunes des Hauts-bassins, arrive à pousser des jeunes dont il a le contrôle à prendre la direction du mouvement. Mamadou Coulibaly, un de ses pions placés, sera d’ailleurs retenu à la tête de la délégation des 9 personnes qui vont discuter avec les autorités au niveau du gouvernorat. La manifestation est désormais sous contrôle, c’est un coup amer pour l’aile radicale du mouvement.

A 13H, les jeunes sont emmenés au Gouvernorat pour un « face à face » avec les autorités et sous la médiation de la communauté musulmane. Les doléances des jeunes se résument désormais, à l’implantation de poteaux électriques, à la fermeture des caniveaux béants, à la pose de ralentisseurs sur l’avenue. Leur retour sur le lieu de la manifestation est presque simultané avec l’arrivée de deux véhicules de la SONABEL transportant quelques poteaux électriques. Les poteaux ne seront pas finalement plantés. Les manifestants estiment que les sept poteaux ne sont pas suffisants pour éclairer le tronçon qui est long de 5 kilomètres environs. Mais la SONABEL avait-elle vraiment l’intention de planter ces poteaux ? Le vendredi 12 juillet, lors du procès des jeunes arrêtés pour « participation à cette manifestation illicite », Me Farama qui défendait les prévenus avec Me Bénao, s’est exclamé : « Ah donc, c’était possible ».

L’avocat s’étonne que les autorités aient décidé de planter ces poteaux en une seule journée alors que la route est inaugurée depuis 2009 et depuis, plusieurs accidents mortels sont survenus sur la route pour faute d’éclairage. Les jeunes après le départ de la SONABEL sont restés sur l’Avenue en maintenant le barrage de la voie. C’est aux environs de 17H30mn que la police a commencé à les charger avec des gaz lacrymogènes. Une dizaine de jeunes ont été arrêtés par la police et la gendarmerie le même soir du 4 juillet. Deux autres jeunes seront arrêtés trois jours après soit le 7 juillet après une nouvelle tentative de manifestation.

Cédric Kalissani

MUTATIONS N° 33 du 15 juillet 2013. Bimensuel burkinabé paraissant le 1er et le 15 du mois (contact:mutations.bf@gmail.com site web :www.mutationsbf.net)

Polémiques autour de Sam’s K et Smockey à Bobo

Le vendredi 5 juillet, dans l’après-midi, Sams K Le Jah et Smockey arrivent dans la ville de Bobo. Ils ne sont pas seuls, ils sont en compagnie de Tamini Julien alias Le Pivot (artiste musicien) et Zinaba Rasmané du Mouvement des Sans Voix (MSV). Ils ont effectué le voyage ensemble à l’invitation de Souleymane Yaméogo, promoteur du jeu concours « Thé-Batteur », un concept qui vise à promouvoir l’art oratoire et dont la finale se tenait ce vendredi à 20h au Centre culturel français Henry Matis de Bobo. Nous sommes au lendemain de la manifestation des jeunes. Bien que les manifestants aient été dispersés la veille, le mouvement ne semble pas être totalement éteint. Des soubresauts se font entendre avec pour revendication la libération des jeunes arrêtés le 04 soir sur l’Avenue. Le vendredi, après la finale et la prestation des artistes au CCF, une petite concertation a eu lieu entre le groupe venu de Ouaga et quelques jeunes qui avaient participé à la manifestation. Suite à cette entrevue, les artistes décident d’apporter un soutien aux jeunes en vue de libérer leurs camarades, nous ont-ils confié. Le lendemain, conduit par le comité de suivi de l’électrification de la voie, l’équipe venue de Ouagadougou se rend au secteur 24.

Là, le groupe a été reçu par les sages du secteur et en présence de deux émissaires (les adjoints) des maires des arrondissements 4 et 5. La rencontre vise à demander la libération des jeunes arrêtés, mais dans les échanges, tout ne se passe pas bien entre les artistes et les adjoints aux maires. Sam’s K déclare que si l’avenue n’a pas été éclairée, c’est parce que « l’argent a été bouffé ». Ces propos font réagir les adjoints aux maires, notamment le 1er adjoint au maire de l’arrondissement N°5, qui proteste. La foule s’en mêle en prenant parti pour Le Jah et ses camarades qui sont au passage traités par le maire adjoint comme étant des étrangers dans une affaire qui les concerne de loin. Les émissaires des maires finissent par se retirer. Quant aux sages, ils promettent de s’engager pour la relaxe des jeunes. Nous sommes au samedi 6 juillet, c’est le jour de la marche du CDP et ses alliés dans les villes de Ouagadougou et de Bobo-Dioulasso.

Pour cela, les vieux ne peuvent rien faire avant la fin de la marche. Ils donnent rendez-vous à 14h. En attendant, le groupe ne se disperse pas. La présence de Smockey et de Sam’s K attire davantage de jeunes sur le lieu. Pour attendre les résultats de la négociation des sages du quartier, le groupe qui s’est formé autour des artistes improvise un meeting au terrain du lycée Gasmo situé à quelques pas seulement de la cour où a eu lieu la rencontre avec les sages. Sur le champ, ils se cotisent et s’achètent un mégaphone de 15 000F. Le meeting et les aller-retour chez les sages durent jusqu’à 17H, mais finalement, aucune libération n’a été obtenue. Le même soir, Sam’s K et Smockey et les autres membres de l’équipe regagnent Ouagadougou. Mais après leur départ, la polémique va s’enfler sur la participation des deux artistes au meeting des jeunes. D’abord des responsables du CDP puis les autorités administratives, tous de façon implicite, laissent entendre que les manifestants ont été manipulés par des adversaires politiques et des gens venus de Ouagadougou, notamment Smockey et Sam’s K. Quant aux artistes Smockey et Sam’s K que nous avons rencontrés, ils réitèrent leur soutien aux jeunes.

Ils trouvent « inadmissible qu’une route nationale N°1 de surcroit ne soit pas éclairée ». Ils se disent surtout offusqués par des propos qui tendent à les présenter comme des étrangers à Bobo. Ils disent avoir pris un engagement avec des jeunes de Bobo de s’intéresser davantage à l’affaire de la route jusqu’à ce que la lumière soit faite au propre comme au figuré sur l’Avenue de l’Union Européenne.

Les autorités choisissent leurs jeunes pour dialoguer

Une réunion a eu lieu le 7 juillet au gouvernorat entre les autorités dont le gouverneur, Mme le Haut-commissaire, le maire de la commune, les maires d’arrondissement, avec les jeunes et les sages des secteurs 24 et 25. Le motif de cette rencontre, ce sont les jeunes des deux quartiers qui seraient venus pour demander pardon aux autorités pour leur manifestation. Ces jeunes se réclamant être les vrais résidents des secteurs 24 et 25. En définitive, les autorités les ont chargés d’une mission, celle de veiller au maintien de l’ordre en « tenant les autorités compétentes informées de tout regroupement suspect » pour parer à un éventuel rebondissement de la manifestation. Le comité de suivi qui avait été mis en place depuis au moins un an par des jeunes pour dialoguer sur l’électrification de l’Avenue n’était pas au rendez-vous du gouvernorat. Eloi Sawadogo, un des responsables du Comité estime que lui et ses camarades ont été écartés par les autorités. Et pourtant, poursuit Eloi Sawadogo, « le Gouverneur nous connait très bien. Il sait que personne ne s’est jamais intéressé à l’éclairage de cette voie comme nous ». C’est donc d’autres groupes qui auraient été suscités par les autorités elles-mêmes qui ont été mis au-devant de la négociation.

Sana Abdoul Aziz qui conduisait la délégation des jeunes au gouvernorat ne s’estime pas moins légitime pour dialoguer avec les autorités. Il dit être d’accord avec la manifestation mais rejette la manière dont elle a été menée. Selon lui, ce sont eux qui ont sollicité cette rencontre pour « demander pardon aux autorités et la libération des personnes arrêtées ». On peut reconnaitre que le pardon a été accepté mais la libération des jeunes est une autre paire de manche. Les autorités politiques n’ont rien pu faire à ce niveau. Les prévenus au nombre de 15 personnes qui avaient déjà été déférés devant le parquet sont allés au bout de leur calvaire. Après la garde à vue à la police et à la gendarmerie où ils ont été soumis à des interrogatoires, ils sont passés à la barre le vendredi 12 juillet. Ils ont eu leur salut grâce aux avocats Me Prosper Farama et Me Batibié Bénao venus la veille de Ouagadougou à la demande du MBDHP pour leur défense. Le procès qui a commencé à 9H45 a pris fin après 15H. Deux prévenus ont été condamnés à 6 mois d’emprisonnement avec sursis tandis que les 13 autres ont été simplement relaxés pour infraction non constituée. Me Farama à la fin s’est dit satisfait du verdict quoique son confrère Benao et lui soutiennent que la requête du Ministère public contre les jeunes n’était pas recevable dans la forme.

Les avocats estiment qu’il y a vice de forme parce que leurs clients ont été jugés comme en « flagrant délit » alors que le procureur avait opté pour « la comparution immédiate ». Globalement, la foule qui a assisté au procès est repartie satisfaite du verdict et de la prestation des avocats qui ont affirmé que les autorités sont les véritables coupables dans cette affaire, elles qui assistent depuis 5 ans à des accidents mortels sur l’Avenue sans agir.

Cédric Kalissani

MUTATIONS N° 33 du 15 juillet 2013. Bimensuel burkinabé paraissant le 1er et le 15 du mois (contact:mutations.bf@gmail.com site web :www.mutationsbf.net)

PARTAGER :                              

Vos commentaires

 LeFaso TV
 Articles de la même rubrique
Gaoua : L’ONG MERCY CORPS dresse le bilan de son projet PILAND