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A la veille du sommet ivoiro-burkinabè, Alassane D. Ouattara vu de Ouagadougou

Publié le dimanche 30 juin 2013 à 19h36min

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A la veille du sommet ivoiro-burkinabè, Alassane D. Ouattara vu de Ouagadougou

L’Afrique de l’Ouest est en méforme. La situation n’est pas catastrophique mais tendue. Il y a les pays en crise ; ceux qui l’ont été ; ceux qui en sortent avec peine ; ceux qui vont y sombrer. Faites le tour des pays de la Cédéao et de l’UEMOA : si vous trouvez une raison d’espérer, vous êtes optimistes. Certes, au plan macro-économique, les indices sont dans le vert. Mais il faudrait être aveugle (et sourd) pour ne pas prendre conscience que le schéma désormais proposé aux populations est celui d’un développement séparé pour quelques privilégiés et un statut de seconde classe pour les masses.

Pire encore, l’Afrique n’a pas de vision ; que des intérêts à court ou à long terme. Nous avons connu « l’Afrique des présidents » : celle où les populations, contraintes et forcées, chantaient à longueur de journée les louanges de leur chef (et du parti tout autant unique que le chef lui-même), tandis que celui-ci leur concédait une part de la richesse nationale via l’aide au développement, les entreprises publiques, les créations d’écoles et d’universités, les équipements sociaux... On est confronté, désormais, à « l’Afrique des gérants ». Ils sont dans la distanciation, managent l’existant, encaissent les bénéfices de la « mondialisation » quand il y en a, sont encensés par la « communauté internationale » pour leur libéralisme économique et leur « démocratie » politique, voyagent partout dans le monde… mais ne donnent pas l’impression d’avoir pris la vraie mesure de la fracture sociale qui caractérise les sociétés contemporaines. La jeunesse de ces pays est ouverte au monde, maîtrise les nouvelles technologies, est mieux formée que ses aînés mais vit dans la même insalubrité que ses parents, peinant à trouver un emploi, plus encore à la hauteur de ses ambitions.

L’Afrique de l’Ouest est malade. De l’absence de perspectives offertes à sa jeunesse. Et c’est une des raisons qui expliquent la montée en puissance des mouvements religieux. Quels qu’ils soient. La classe politique n’étant plus crédible, c’est vers Dieu que l’on se tourne. Dans les pays musulmans (le Sénégal en est le meilleur exemple) comme dans les pays chrétiens. Pas nécessairement, d’ailleurs, dans une perspective radicale. Si « l’Occident » a stigmatisé la montée en puissance des mouvements « islamistes », il n’a pas eu la même préoccupation vis-à-vis des mouvements « évangéliques » dont le prosélytisme est tel que certains Etats (à l’instar du Bénin) sont submergés. En Afrique de l’Ouest, tout s’étiole ; c’est un effet collatéral de la « crise malo-malienne » qui a débuté alors que la « crise ivoiro-ivoirienne » n’était pas encore totalement résolue tandis que d’autres pays (à commencer par la Guinée) ont bien du mal à trouver leur point d’équilibre politico-social.

Dans ce contexte, l’axe Ouagadougou-Abidjan demeure, plus que jamais, la colonne vertébrale de l’Afrique de l’Ouest. Parce qu’il a un fondement historique et social, parce qu’il s’articule autour d’une liaison ferroviaire et d’un port, parce qu’il n’y en pas d’autre. 2013 est l’année du vingtième anniversaire de la mort de Félix Houphouët-Boigny (7 décembre 1993) qui a toujours voulu articuler autour de cet axe sa diplomatie régionale. C’est aussi l’année du cinquième anniversaire du Traité d’amitié et de coopération (TAC) signé le 29 juillet 2008, au lendemain des accords de Ouagadougou mais alors que Laurent Gbagbo était encore au pouvoir. Et le fait que cette relation privilégiée entre Ouaga et Abidjan perdure est une raison de ne pas désespérer totalement de l’Afrique de l’Ouest.

Burkina Faso et Côte d’Ivoire sont confrontés au même calendrier présidentiel : octobre 2015. Ce qui suscite des interrogations. Les deux pays ont déjà connu, à des degrés divers, une année post-présidentielle 2011 « agitée » : guerre pour le pouvoir en Côte d’Ivoire ; mutineries au Burkina Faso. Constitutionnellement, Blaise Compaoré achève son dernier mandat. Alassane D. Ouattara a droit encore à un tour de manège. Dans les deux pays, les tensions politiques et sociales sont fortes. A Ouaga, c’est dans la presse (et, demain, dans la rue avec la « marche » du 29 juillet) que s’exprime ces tensions. Explication de texte.

J’ai dit (cf. LDD Sénégal 0193/Jeudi 27 juillet 2013), le coup de coeur de Colette Drabo, dans le quotidien privé Le Pays, pour le Sénégal qui « force respect et admiration », dénonçant « les longs règnes […], la gouvernance approximative, les régimes présidentialistes, avec tous les pouvoirs concentrés entre les mains du chef de l’exécutif ». « L’Afrique en général, et dans sa partie francophone en particulier, doit se réveiller, œuvrer à avoir des institutions fortes et mettre fin aux régimes présidentialistes », écrit-elle. Passons sur les approximations concernant la démocratie sénégalaise et le « présidentialisme ».

Le plus significatif se trouve de l’autre côté de ce « papier » de Drabo : l’édito du Pays. Il commente l’annonce de Ouattara : il sera candidat à sa succession en 2015*. Qui, pour Le Pays, apparaît « comme une innovation politique majeure, originale […], une sérieuse avancée politique ». Le Pays dresse un portrait d’ADO détonnant : « Un homme politique […] qui a affronté et subi toutes les humiliations, toutes les souffrances ; un homme qui a frôlé la mort à plusieurs reprises […] On peut même dire que, durant toutes ses années de lutte, la mort fut la compagne la plus constante d’ADO. Son histoire politique personnelle lui a donc donné un sens très vif du bien et du mal, du juste et de l’injuste. C’est pourquoi, il faut éviter de jeter un regard superficiel sur cet homme, mais aussi sur son intention rendue publique, de briguer un nouveau mandat en 2015 ». Drabo fustige le « présidentialisme » mais son journal encense un des chefs d’Etat les plus « présidentialistes » d’Afrique de l’Ouest (le quotidien économique Les Echos a récemment qualifié sa gestion de « stratosphérique » - cf. LDD Côte d’Ivoire 0405/Jeudi 23 mai 2013).

Drabo fustige les chefs d’Etat qui s’incrustent au pouvoir mais son journal encense un président qui dit être le seul à pouvoir redresser le pays. Le courage politique n’est-il pas, aujourd’hui, d’arrêter de penser que l’on est un homme providentiel et que c’est « moi ou le chaos » ? Le courage politique n’est-il pas de laisser la place à d’autres plutôt que de vouloir « repiquer au truc » ? (ADO aura 74 ans à l’entame de son deuxième mandat et près de 79 ans à son achèvement !).

Il faut replacer cet enthousiasme pour ADO** dans le contexte burkinabè. 2015 est, aussi, une échéance présidentielle pour Blaise Compaoré. Selon l’article 37 de la Constitution, il ne lui sera pas possible de se représenter. D’où ce parallèle entre un ADO qui annonce, deux ans avant l’échéance, qu’il sera candidat, et Blaise qui, face à la même échéance, se refuse à dire (jusqu’à présent) qu’il ne fera pas modifier la Constitution pour pouvoir se représenter (l’opposition burkinabè base sa stratégie anti-Blaise sur ce fameux article 37). Dans quelques semaines (16-19 juillet 2013), les deux hommes sur lesquels repose le devenir de l’axe Ouaga-Abidjan, vont se retrouver dans le cadre du TAC. La bonne santé économique et sociale de la Côte d’Ivoire conditionne celle du Burkina Faso. C’est dire que c’est un événement majeur. Espérons que ce sera l’occasion pour les deux chefs d’Etat de diffuser un message d’espoir à leurs jeunesses.

* Alassane D. Ouattara l’avait déjà dit à Jeune Afrique (28 avril 2013) : « A priori, je ne pense pas qu’il soit possible de redresser la Côte d’Ivoire comme je le voudrais dans les trois ans à venir » ; du même coup, il sera « vraisemblablement […] amené à solliciter un second mandat » (cf. LDD Spécial Week-End 0582/Samedi 27-dimanche 28 avril 2013).

** Enthousiasme que ne partage pas, ce matin (28 juin 2013), le quotidien gouvernemental Sidwaya. Adama Bayala écrit au sujet de la politique musclée de déguerpissement des populations des forêts classées : « Alassane Ouattara a suscité tellement d’espoir qu’il aurait dû consacrer entièrement son premier mandat à la réconciliation nationale, à la restauration de la justice et à la relance de l’économie […] Le président de la République gagnerait donc à éviter de donner l’impression qu’il danse plus vite que la musique ».

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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