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Présidentielle en Centrafrique : Bozizé choisit ses adversaires

Publié le lundi 10 janvier 2005 à 07h32min

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L’ex-Oubangui-Chari, on le savait, est coutumier des secousses politiques depuis les années 70, où l’empereur ubuesque Jean Bedel Bokassa, de par la bénédiction de la France (1), s’était installé aux commandes du pays.

En effet, un petit inventaire à la Prévert atteste que les coups d’Etat ou tentatives de même type confinent là-bas à un sport national : en 1965 Bokassa renverse David Dako ; en 1979, l’opération Barracuda rétablit le même Dako... entre 2000 et 2003 Patassé essuye sept tentatives de putsch.

Jusqu’au 15 mars 2003, où le président agronome, spécialiste de la spiruline, fut renversé par son chef d’état-major, le général François Bozizé, alors qu’il participait à un sommet des présidents de la CEN-SAD à Niamey. A vrai dire, la venue aux affaires de Bozizé n’a pas surpris plus d’un Centrafricain, car l’homme a toujours été cité parmi les acteurs des coups d’Etat intervenus ces dernières années en Centrafrique.

Et même qu’avant son coup réussi de mars, il avait échoué dans un premier temps quelques mois auparavant, ce qui, soit dit en passant, lui avait valu une condamnation par contumance par le même Patassé, qui le graciera plus tard. Il faut donc dire que Bozizé a eu le jarret ferme en récupérant la chose en mars. Petitement quoiqu’avec beaucoup de bruit à coups de fusils, il entra dans l’histoire de son pays. Boudé d’abord par ses pairs de l’Union africaine (UA), qui ont appliqué contre lui la résolution selon laquelle "pas de putschistes à nos sommets", Bozizé prendra son mal en patience.

C’est ainsi que par touches graduelles, Bozizé parviendra à se faire admettre dans ce syndicat très fermé des chefs d’Etat, tout en essayant au passage un stratagème qui commence à faire recette en Afrique : un militaire, généralement le chef d’état-major ou un looser galonné, renverse le président, proclame ensuite qu’il est venu pour mettre de l’ordre ou plutôt "balayer la maison" et s’en aller ; l’appetit venant en mangeant, finalement le nouveau venu s’y installe. L’exemple le plus achevé en l’espèce cité récemment est le cas du général Robert Guéi en Côte d’Ivoire, qui, après s’être mué en père-Noël fouetard le 24 décembre 1999 pour chasser Henri K. Bédié, a pris goût au pouvoir jusqu’à ce que Laurent Gbagbo l’en chasse en 2000. En réalité, c’est l’actuel président malien, ATT, qui a réussi cet exercice ces derniers temps.

En ce qui concerne Bozizé, nous avions à l’époque posé la question suivante dans un des commentons l’événement : "Bozizé sur les traces d’ATT ou de Guéi ?". Aujourd’hui, la réponse s’impose puisqu’après dénégations feintes, le général s’est parjuré officiellement le 11 décembre 2004 en ces termes : "Centrafricains et Centrafricaines, j’ai compris le sens profond de vos appels... conformément à vos vœux, j’accepte de me soumettre au suffrage universel en vue de poursuivre l’œuvre de reconstruction nationale qui m’est si chère... Je me présente donc à l’élection présidentielle de 2005", non sans auparavant avoir fait voter un "oui franc et massif", au référendum constitutionnel. On l’aura compris, Bozizé a fini de balayer la maison et veut s’y coucher. En faisant tomber bas le masque, le général Bozizé semble donc prendre le sillon de son devancier ivoirien Guéi, qui avait aussi de façon studieuse choisi ceux avec qui ils allaient chercher le "naam".

A l’évidence, sur les onze candidats, Bozizé a trié ses adversaires à savoir Jean-Paul NGoupandé, Charles Massi et Martin Ziguelé. Exit les 7 autres, qui ne "méritent" pas de se mettre sur la ligne de départ. Une décision qui n’est ni plus ni moins qu’une intrusion inacceptable dans le mode de validation des candidatures, un rôle dévolu à la Cour constitutionnelle de transition.

En effet, le 30 décembre dernier, cette Cour, au regard des critères à remplir pour être candidat, a rejeté les dossiers de onze prétendants au fauteuil présidentiel. Que consécutivement, un tollé général s’en soit suivi est compréhensible, encore que dans le cas d’espèce la Cour a joué sa partition, même si son chef, le magistrat Malonga, est qualifié de "véreux" par certains recalés et que certains arguments spécieux tels l’expression "apparemment en bonne santé" ont été utilisés pour invalider des candidatures. Mais il faut cependant être juste également et ne pas avaliser des candidatures fantaisistes, notamment celles de ceux qui n’ont pas par exemple versé la caution de 5 millions FCFA.

Même dans les pays à tradition démocratique, tous les dossiers ne reçoivent nullement le feu vert de la structure habilitée à le faire. La Cour consitutionnelle centrafricaine aura donc rempli sa mission. Bozizé semble donc avoir abusé de l’article 20 de la Constitution, qui lui donne un droit régalien de repêcher les trois recalés. Une illégalité dénoncée par le président du Conseil national de transition (CNT), Parlement centrafricain de transition, Me Nicolas Tiangaye, qui qualifie ce geste de "sans portée juridique, le principe constitutionnel de la séparation des pouvoirs et l’ordonnance créant la Cour constitutionnelle de transition lui interdisant de valider ou d’invalider des candidatures".

Les apparences qui semblaient donc sauves dans ce processus électoral, donc l’acte final est prévu pour le 13 février prochain, ne le sont plus, loin s’en faut, avec ce geste plus que maladroit du maître de Bangui. En décidant qui doit être face à lui en février, Bozizé sait à quoi il se prépare : une victoire quasi certaine. La Centrafrique est en effet un pays où les clivages ethniques sont exacerbés à chaque scrutin par les politiques. Ce n’est pas pour rien que Bozizé, après son limogeage le 26 octobre 2001 et sa fuite le 6 novembre, pourchassé par l’unité de sécurité présidentielle (USP), a rejoint d’abord son fief de Bossangoa, avant de se réfugier dans la ville tchadienne de Sahr.

Les 7 recalés sont plus ou moins des ressortissants de cette région, où domine l’ethnie Gbaya. Une trouvaille pas nouvelle du tout du président-candidat, qui écarte du même coup ceux qui sont susceptibles d’émietter son électorat. Mon général n’est donc pas passé par quatre chemins pour se frayer un boulevard vers le palais présidentiel. Une "guéisation" qui ne dit pas son nom, encore que l’illustre balayeur ivoirien crût dur comme fer qu’un Laurent Gbagbo ne pourrait pas lui ravir son fauteuil.

En Centrafrique, le général n’ignore pas également que généralement, celui qui est déjà au pouvoir bénéficie d’un préjugé favorable du fait que l’électorat est souvent légitimiste. Alors autant mettre toutes les chances de son côté par ce tri. Il faut pourtant craindre que cette sorte de ségrégation et ce hold-up électoral programmé ne conduisent à des situations déplorables observables ailleurs, toutes les politiques d’exclusion menant souvent au chaos. Et comme toute chose étant égale par ailleurs...

(1) Le 4 décembre 1977, Bokassa se fait couronner empereur à grandes pompes. La France paie une grande partie de la facture, dont le montant est égal au quart du budget de la Centrafrique.

Observateur Paalga

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