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Cameroun : Lutte contre la piraterie maritime au pays de la piraterie politique.

Publié le jeudi 27 juin 2013 à 09h21min

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Yaoundé, capitale du Cameroun, est loin de la mer. Mais proche de la chambre à coucher du président Paul Biya. Chacun sait – et ses pairs plus encore que les autres – que le président de la République du Cameroun n’aime pas avoir de servitudes protocolaires. C’est d’ailleurs Philémon Yang, le premier ministre, qui se « tape » les attentes des chefs d’Etat sur le tarmac de l’aéroport de Nsimalen.

J’ai le souvenir d’une panne de réveil de Biya, lors d’un sommet de l’OUA à Yaoundé auquel participait Nelson Mandela, alors nouvel héros de l’Afrique et du monde. Mandela, oui, même Mandela, attendra. Mais il est vrai que le président camerounais était jeune marié*. 1982-2013. Ce n’est plus à l’âge qui est le sien (il a eu 80 ans le 13 février 2013) que Biya va changer ses habitudes.

C’est donc à Yaoundé qu’a été organisé, hier et aujourd’hui (24-25 juin 2013), un sommet des chefs d’Etat et de gouvernement de la Communauté économique des Etats de l’Afrique centrale (CEEAC), de la Cédéao et de la Commission du Golfe de Guinée (CGG). A l’ordre du jour la sûreté et sécurité maritimes dans le golfe de Guinée. Une rencontre prévue initialement en avril dernier. Le 10 janvier 2013, l’Union européenne avait lancé « un nouveau projet destiné à renforcer la sûreté des routes maritimes entre les sept pays dans le golfe de Guinée » (Sao-Tomé & Principe, Guinée équatoriale, Gabon, Cameroun, Nigeria, Bénin, Togo).

Baptisé « Routes maritimes critiques du golfe de Guinée » (Crimgo), il vise à former des garde-côtes et à mettre au point un système de surveillance des côtes des pays concernés. La réunion de Yaoundé, quant à elle, vise à étudier les voies et moyens de faire face à la recrudescence de la piraterie maritime dans le golfe de Guinée qui voit passer 13 % des importations de pétrole européen et 6 % de ses importations de gaz naturel (d’où l’intérêt de l’UE pour la question). La piraterie maritime est un phénomène mondial contre lequel la lutte est engagée depuis de longues années au large de la Somalie et dans le golfe de Guinée. Le nombre d’attaques a chuté de 48 % en 2012 (297 selon l’International Maritime Bureau contre 439 en 2011) : 585 personnes ont été prises en otage lors de ces opérations (802 l’avaient été en 2011). Mais le golfe de Guinée est devenu la côte des pirates : 58 incidents enregistrés en 2012 (dont 27 au Nigeria), 10 navires et 207 marins capturés. A ces actes de piraterie s’ajoutent trafics d’armes et de drogues, traite d’êtres humains…

Il n’est pas une semaine sans que l’hebdomadaire spécialisé Le Marin n’annonce une capture de bateau, une prise d’otages, le détournement d’un pétrolier avant qu’il ne soit délesté de son chargement, l’attaque de navires de servitude chargés de l’approvisionnement des plateformes pétrolières…, l’insécurité dans le golfe de Guinée est devenue une préoccupation économique et politique. Car cette piraterie alimente les groupes « terroristes » qui pullulent désormais sur la côte. D’autant plus que le golfe de Guinée a la spécificité d’abriter des îles qui sont aussi des Etats (Guinée équatoriale et Sao Tomé & Principe) et quantité d’îlots qui peuvent être des refuges pour des pirates.

Certes, ce n’est pas les Caraïbes des XVIIème et XVIIIème siècles, mais compte tenu de l’intense activité pétrolière et gazière, notamment offshore, de plus en plus loin des côtes, c’est un véritable « tiroir-caisse » pour des pirates de mieux en mieux équipés et… informés. Car il ne faut pas s’y tromper. Ces opérations de capture de bateaux ou d’équipages ne se font pas au petit bonheur la chance. Leur réalisation implique des complicités.

Si du côté du golfe d’Aden, c’est la situation qui prévaut en Somalie qui a permis à la piraterie maritime de se développer, dans le golfe de Guinée, c’est le laxisme des Etats de la région et la prévarication qui règne dans les administrations et la classe politique qui expliquent cette montée en puissance. Sao-Tomé & Principe, Guinée équatoriale, Gabon, Cameroun, Nigeria, Bénin, Togo : il n’est pas un pays du golfe de Guinée stricto sensu qui, sans être un modèle de bonne gouvernance politique et économique, ne soit en proie à des problèmes sécuritaires liés soit à une richesse pétrolière et gazière (très) inégalement répartie, soit à un régime politique autoritaire patrimonial fondé sur les connexions affairistes de la classe politique (dans la plupart des cas, l’autoritarisme du pouvoir est proportionnel aux richesses pétrolières).

La réunion de Yaoundé a été ouverte à des pays qui, à priori, n’ont rien à voir avec la sûreté et la sécurité maritimes dans le golfe de Guinée ; mais elle était convoquée au titre des organisations régionales : CEEAC/Cédéao/CGG. C’est dire que le « terrorisme » d’un côté et la « piraterie » de l’autre sont désormais les fléaux qui minent une Afrique qui, cinquante ans après son indépendance, n’a pas été encore en mesure de se sécuriser. C’est aussi, sans doute, que l’émergence du « terrorisme » et de la « piraterie » résulte de la corruption et la prévarication qui ont été érigés en mode de production politique dans trop de pays africains. Des pratiques qui, en créant une nébuleuse affairo-politique, ont fragilisé les Etats qui ont accepté, finalement, que la garantie de leur souveraineté soit assurée par des puissances étrangères, même si c’était au nom de la « communauté internationale ». Quelle capitale africaine peut dire aujourd’hui qu’elle fait une confiance totale à son armée ? Or l’armée a toujours été considérée comme la prérogative de l’Etat et le bouclier de la nation.

Peut-on revendiquer d’être un Etat souverain et une puissance économique significative (ne serait-ce qu’au niveau de l’Afrique) sans une armée à la hauteur de ses ambitions ? Peut-on vouloir être un pays maritime sans une marine nationale digne de ce nom ? Peut-on vouloir mener une politique régionale de sûreté et de sécurité et être en bisbille (si ce n’est plus) avec les pays de la région dès lors que les enjeux territoriaux et maritimes restent forts (Cameroun/Nigeria ; Guinée équatoriale/Gabon…) ? Le problème est aussi que, dans trop de pays, l’armée est perçue comme une menace non pas tant pour les institutions que pour les « pouvoirs personnels » en place. La question mérite d’être posée : l’Afrique a-t-elle abandonné toute idée d’assurer sa sûreté et sa sécurité ?

Il faudrait pourtant y penser. Entre « terrorisme » et « piraterie », l’Afrique, du Nord au Sud et de l’Est à l’Ouest, est prise en sandwich. Parce que les Etats n’assurent pas les responsabilités qui sont les leurs en matière de sûreté et de sécurité. N’ayons pas d’illusions. Si les Etats d’Afrique de l’Ouest (ceux qui ont la façade atlantique en commun pour le transport de leurs marchandises) ne font pas le ménage chez eux pour éradiquer les « pirates » des entourages gouvernementaux, ils pourront multiplier les rencontres internationales mais ne résoudront pas le problème. Or, il y a urgence. Si les « démocraties » africaines sont en péril du fait du « terrorisme », la « piraterie », quant à elle, pourrait mettre à mal leurs économies (fondées sur le transport de marchandises et la recherche pétrolière offshore) si les risques deviennent ingérables. Et Alassane D. Ouattara l’a dit à Yaoundé, ce serait alors la porte ouverte aux « crises socio-économiques ».

* Cela me semble être une innovation (ou plutôt une dérive) majeure : sur la « photo de famille » de ce sommet des chefs d’Etat et de gouvernement de la CEEAC, de la Cédéao et de la CGG, figurent l’épouse du chef de l’Etat camerounais et celle de son homologue équato-guinéen. Que signifie cette irruption de deux « premières dames » qui n’assument pas, officiellement, de rôle politique ? Est-ce l’expression du caractère « familial » de la gestion de ces deux pays ? Paul Biya et Obiang Nguema Mbasogo sont au pouvoir depuis une éternité (1979 pour Nguema et 1982 pour Biya) et imaginent une succession qui ne sorte pas
de la « maison ». A noter que le deuxième vice-président de Guinée équatoriale, chargé de la défense et de la sécurité, par ailleurs vice-président du PDGE, Teodoro Nguema Obiang Mangue, le très controversé « Teodorin », fils du chef de l’Etat équato-guinéen, vient de faire élire, à l’occasion de son 45ème anniversaire une « Miss Teodoro Nguema Obiang Mangue 2013 » parmi vingt jeunes filles venues d’Afrique mais aussi d’Amérique latine. Pendant ce temps-là les pirates peuvent naviguer tranquillement dans le golfe de Guinée.

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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