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« L’appel du Sud » de Rachad Farah, candidat à la direction générale de l’Unesco.

Publié le lundi 24 juin 2013 à 22h25min

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« L’appel du Sud » de Rachad Farah, candidat à la direction générale de l’Unesco.

Il ne reste que peu de mois avant que l’Unesco ne soit appelée à choisir son prochain directeur général. L’UA, l’OCI, la Ligue arabe, la Cen-Sad…, autrement dit l’Afrique et le monde arabe, se sont mis d’accord sur un candidat unique : Rachad Farah, ambassadeur de la République de Djibouti en France et auprès de l’Unesco*.

Depuis sa création, la plus prestigieuse des institutions des Nations unies a été dirigée par cinq Européens (dont l’actuelle directrice, la Bulgare Irina Bokova), deux Américains (dont un Mexicain) mais seulement un Africain et un Asiatique. Autant dire que le Sud n’a pas été le mieux loti dans cette affaire. Il est vrai que lors de la création de l’Unesco, en 1946, sur les 40 pays fondateurs on ne comptait que 16 pays non-occidentaux dont 3 pays africains : Egypte, Ethiopie, Liberia. La décolonisation du continent africain a changé la donne et, depuis, le Sud est majoritaire au sein de cette institution.

Majoritaire en nombre d’Etats mais également majoritaire pour ce qui est des besoins dont l’Unesco est, statutairement, en charge : éducation, science et culture. Partant de ce constat, Rachad Farah a choisi d’emblée de lancer un « appel du Sud » pour que l’Unesco cesse d’être seulement une prestigieuse institution internationale qui se complait dans sa magnificence (à l’exemple de son siège à Paris) et ronronne gentiment à coups de colloques, de distribution de prix et de billets d’avions en first pour ses cadres qui parcourent le monde. « Si nous voulons que cette organisation reste active pendant encore 70 ans [l’âge qu’elle aura en 2015], ses objectifs doivent être concentrés autour des défis auxquels le Sud doit faire face. Si les pays du Sud sont prêts à s’approprier ces objectifs, si nous renforçons la présence de l’Unesco sur le terrain - en particulier dans le Sud - mais aussi sa capacité à tenir des dialogues sur la paix et la civilisation, elle redeviendra un lieu d’échanges, d’expertise et de réflexion entre les scientifiques, les experts et les dirigeants politiques, devenant ainsi un véritable laboratoire d’idées ». Mais, ajoute-t-il aussitôt : « Ces échanges ne doivent pas rester au stade des mots, mais se traduire en programmes sur le terrain. Ce sont des gens du Sud qui sauveront l’Unesco plutôt que l’inverse, parce que sans le Sud, l’Unesco est vouée à disparaître. Je le crois sincèrement »**.

Le mardi 25 juin 2013, à Paris, Rachad Farah organise un dîner-débat sur « l’avenir de l’Unesco » et son combat contre le racisme et l’intolérance érigés en systèmes étatiques. Il aura ainsi l’occasion de préciser sa vision de ce que doit être l’Unesco dans un monde globalisé. Ce qui se passe dans le « corridor sahélo-saharien », et tout particulièrement au Mali, mais aussi, et plus significativement encore, en Turquie, au Brésil – deux pays considérés comme « émergents » et donc souvent présentés comme des modèles d’évolution – donne une actualité particulière à la candidature de Rachad Farah parce qu’il est porteur d’une autre vision sur notre monde et ses attentes. « Même si cela a un coût financier et humain, l’une des réponses aux fléaux qui frappent nos sociétés – fondamentalisme, loi du marché entre autres – se nomme éducation et société du savoir. C’est la voie pour que la démocratie et un monde plus juste s’imposent demain et cela passe par une démocratisation de l’accès à l’éducation et à la culture » a écrit Rachad Farah dans son livre « Un ambassadeur au cœur des événements » (éd. L’Harmattan, Paris, 2013).

Rachad Farah ambitionne de faire de l’Unesco « le Think tank des Think Tanks » et entend sortir la réflexion sur le monde actuel du ghetto « occidentalisé » dans lequel elle est enfermée. Intellectuellement et géographiquement. « Je trouve quelque peu dommage que des Think Tanks africains par exemple se créent à Paris ou à Bruxelles et non à Abidjan, Addis Abeba ou Nairobi ». Or c’est au Sud, et tout particulièrement en Afrique, que se trouve ce que l’on peut appeler le « marché » de l’Unesco : alphabétisation, formation technique, formation des formateurs, enseignement supérieur, éducation des filles et des femmes (Rachad Farah rappelle que « les deux tiers des analphabètes dans le monde sont des femmes »)… Au passage, Rachad Farah ne manque pas de s’interroger : « Pourquoi ce qui n’a pas marché depuis près de deux décennies après que l’Unesco eut décrété cette priorité Afrique risque-t-il de connaître demain encore un même échec ? ». « Il est quand même paradoxal, ajoute-t-il, qu’une organisation dont l’objet est l’éducation, la culture, ne soit pas en mesure de promouvoir des cadres du continent ou d’ailleurs dans ses bureaux quitte, naturellement, à les accompagner, à les former ».

Cet « appel du Sud » n’aurait pas de sens s’il était seulement l’affirmation de la nécessité de prendre en compte les pays du Sud et ne s’inscrivait pas dans une nouvelle vision de ce que doit être l’Unesco. Cette institution a été créée en 1946 mais « pensée » dès 1942 alors que l’Europe, à l’exception du Royaume uni, était sous la botte des nazis et de régimes fascistes. Il s’agissait alors de penser l’Europe démocratique et de tourner la page des régimes totalitaires. Quand l’Europe a décolonisé en Asie et en Afrique, quand le Moyen-Orient s’est imposé comme partenaire économique de « l’Occident », quand l’Amérique latine a commencé à « émerger », l’Unesco s’est mondialisée. Mais cette mondialisation s’est faite sous la férule de « l’Occident ». Et dans un contexte géopolitique particulier : celui de la « guerre froide ». Soixante-dix ans plus tard, la donne a changé. Le centre de gravité du monde a basculé de l’Ouest vers l’Est et du Nord vers le Sud. Depuis les années 1970, on a assisté à la « fin des idéologies » et à la montée en puissance du terrorisme. Dix ans après la chute de l’Union soviétique, qui a bouleversé le monde, l’attaque contre l’Amérique du « 11-septembre » a été l’expression d’un nouveau courant : « l’islamisme fondamentaliste ». L’univers occidental à vacillé et a pensé trouver dans la « globalisation » et la « mondialisation » la réponse à son interrogation : où va le monde ? La réponse a été brutale : crise financière, crise économique, crise identitaire et irruption des populismes surfant sur une crise sociale sans précédent en Europe.

Partant de ce constat, Rachad Farah « pense que l’Unesco aujourd’hui doit revenir aux sources, c’est-à-dire aux fondamentaux qui ont été arrêtés à ses origines, dès ses débuts, même si l’organisation a aussi appréhendé au fil des années de grandes thématiques comme celles de « l’éducation pour tous », de la « diversité culturelle », de la « société de la connaissance » en contribuant à l’instauration d’un monde privilégiant « le dialogue des civilisations ». Aujourd’hui, les fondamentalistes comme tous les formes d’intégrisme donnent une nouvelle actualité à la Constitution de l’Unesco et prouvent son bien-fondé ». Il ajoute : « L’Unesco ne peut pas tout faire, multiplier ses interventions sur tous les grands sujets, lancer de multiples projets hétéroclites, coûteux. Ne vaut-il pas mieux qu’elle se recentre sur quelques programmes pour agir avec plus d’efficacité ? ».

L’Unesco est devenue, au fil des décennies, une structure bureaucratisée. Elle doit être rénovée. Le moment s’y prête. L’opportunité lui en sera donnée d’ici peu de mois. Elle doit redevenir, selon les mots de Rachad Farah, un « vecteur privilégié de circulation du savoir et de dialogue des civilisations ». Autrement dit « avoir les pieds sur terre ». Et cette terre est, aujourd’hui, celle du « Sud ».

* Au sujet de la candidature de Rachad Farah et de Rachad Farah lui-même, cf. LDD Nations unies 028/Mercredi 20 mars 2013 et LDD Djibouti 010 et 011/Jeudi 16 et Vendredi 17 mai 2013.

** Entretien de Rachad Farah avec SciDev. Net. Toutes les autres citations sont tirées de son livre : « Un ambassadeur au cœur des événements ».

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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