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Interview de Jerry John Rawlings : « La richesse de l’Afrique est entre les mains d’une minorité »

Publié le samedi 22 juin 2013 à 08h14min

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Interview de Jerry John Rawlings : « La richesse de l’Afrique est entre les mains d’une minorité »

L’ex-président ghanéen était bien présent à Addis Abeba pour le jubilé
d’or de l’organisation panafricaine. Il faisait partie des invités
d’honneur de l’Union Africaine parmi d’autres anciens chefs d’Etat comme
Obasanjo, Sam Nujoma, Chissano, etc. Il est resté jusqu’à la fin du
sommet contrairement à d’autres. Il a volontiers accepté de nous
recevoir (avec deux consoeurs de Deutsch welle et de la SABC) dans
son hôtel pour aborder diverses questions sur la marche de l’UA, les
questions de gouvernance au Ghana, ses souvenirs de Mandela et de
Sankara.

Vous faites partie des anciens
chefs d’Etat conviés à ce jubilé
d’or de l’organisation
panafricaine. Quelle
appréciation faites-vous du
parcours des pays africains
durant ces 50 dernières années ?

A première vue, on a l’impression
que l’Afrique est sur le chemin du
développement avec les
investissements de la Chine et des
pays occidentaux dans nos pays.
Mais de quel développement s’agit-il
réellement. Moi je constate que c’est
un développement plutôt aliénant,
une forme d’assimilation. Il n’est pas
impulsé par nous-mêmes. En
d’autres termes, je ne suis pas sûr que
nous nous approprions ce qui se passe.
Permettez-moi de vous donner des
illustrations. L’Egypte semble être un
pays développé avec toutes les
infrastructures dont elle dispose.
Toutefois, vous avez vu ce qui s’est
passé en 2011. Ce qui veut dire que le
développement des infrastructures
n’a pas été suivi de développement
humain. On avait mis de côté la
justice sociale et économique. Les
citoyens ne ressentaient pas le
développement dont on leur parlait.
Conséquences, ce sont les révoltes
qui ont chassé les anciens dirigeants.
En Tunisie, c’est pareil. Avec tous les
investissements, pourquoi est-ce
qu’un diplômé aurait-il des difficultés
pour vendre l’orange ou des légumes
dans la rue pour sauver sa vie parce
que empêché par les lois
gouvernementales en vigueur ? Je ne
pense pas qu’on mesure la richesse
d’un pays avec les infrastructures comme indicateur. Les
bâtiments et les routes que nous
voyons ne doivent pas être des
paravents pour nier l’équité sociale et
économique. L’écrivaine nigériane
Amina m’a beaucoup impressionné
dans son discours et je ne sais pas
combien d’entre nous ont pris ce
qu’elle a dit à coeur ainsi que la
pertinence de ses propos. Elle a
dépeint les symptômes de tous les
pays africains. L’Afrique est
confrontée au problème d’inégalité
qui mérite que l’on s’y pense
sérieusement. Desmond Tutu avait
fait une déclaration sur l’Afrique du
Sud en fustigeant l’abandon des
couches populaires par les dirigeants
de l’ANC. Cette réflexion vaut pour
la plupart des pays de l’Afrique, pas
seulement pour l’Afrique du Sud et
j’ai peur. La direction que nous avons
prise n’est pas bonne. Pour moi, les
dirigeants africains doivent
reconnaitre que le prétendu rythme
accéléré de développement de
l’Afrique qu’on nous vante a besoin
d’être réajusté pour prendre en
compte les besoins réels de nos
masses populaires.

Dans ce contexte, pensez-vous
que l’Union Africaine est outillée
pour inverser la tendance avec
tous les problèmes qu’elle a pour
juguler les nombreuses crises sur
le continent ?

Je vais vous dire une chose, la
meilleure façon d’être en sécurité,
c’est de s’assurer que vous avez
renforcé les capacités de vos
populations. Cela suppose les
respecter en pratiquant une bonne
gouvernance, une gouvernance qui
rend compte aux populations, une
gouvernance qui va rester en
communication constante avec son
peuple, une gouvernance qui
s’identifie à son peuple. Dans notre
situation, les autorités devraient être
aussi simples que possibles. Leur
train de vie ne doit pas être trop en
décalage avec celui des citoyens
ordinaires. Ce n’est qu’ainsi qu’ils
peuvent faire pleinement confiance à
leurs dirigeants. C’est là la meilleure
façon d’assurer la sécurité. Mais
quand on laisse l’impunité, la
corruption à divers endroits, la
richesse et le pouvoir entre les mains
d’un petit nombre et en plus des
gens fautifs, cela va générer des
malaises car vous savez, certaines
des richesses dont on parle viennent
de cette impunité causée par certains
d’entre nous et par les étrangers
parmi nous. C’est comme si nous
étions économiquement recolonisés,
par cette forme d’impunité. S’il y a
des injustices socio-économiques,
vous aurez des instabilités.

Dans vos discours, vous insistez
sur l’importance de se prendre en
charge. Or, nous savons que près
de 60% du budget de l’UA vient
de l’étranger, comment est-ce
que l’organisation peut-elle être
plus indépendante ?

Le président Obasanjo a fait une
suggestion pour résoudre cette
question et je me réjouis que
quelques uns l’aient accepté. Nous
devons être préparés pour pouvoir
faire les sacrifices nécessaires, si
nous voulons notre propre modèle
de développement. Nous ne devons
pas compter sur l`étranger.
Mais je dis que l’essentiel n’est pas
forcément dans la disponibilité des
ressources s`il manque une
cogérance politique entre nos
différents gouvernements.
Dans les relations internationales, il
y a très peu d’éthique. Nous ne
devons pas nous permettre de nous
laisser égarer, de perdre ce qui nous
reste, l`essence, la spiritualité de
notre être, la compassion dans notre
humanité.

Comment est-ce que nous
pouvons changer cette situation ?

Certaines situations ne peuvent être
changées s`il y a un écart entre les
gouvernants et les gouvernés et
c`est pour cela que les tentatives de
changements difficiles provoquent
des problèmes. Si le gouvernement
et le peuple sont en harmonie, s`ils
ont une bonne compréhension et du
respect l`un pour l`autre, tout
devient simple. Mais s`il n`y a pas
d`harmonie, on va essayer de faire la
violence au peuple et il ne va pas
l`accepter.

Parlons de votre pays, le Ghana.
Beaucoup de gens apprécient ce
qui y est fait depuis des années
en termes de gouvernance
politique et économique.
Pourtant, quand on vous entend
parler de votre pays, vous êtes
très critique envers les différents
gouvernements qui se sont
succédé. Qu’est-ce qui explique
une telle attitude ?

Oui, vous avez raison. Mais je vais
vous expliquer pourquoi je ne suis
pas satisfait. Ce qui se passe dans
mon pays n`est pas différent de ce
que je viens de dépeindre. Vous
savez, le modèle économique suivi
par nos pays plait à certains
investisseurs étrangers. Les media
occidentaux ne voient que l`argent
injecté dans les différents pays dans
la construction des routes et d’autres
infrastructures. Les politiques de
privatisation, la construction
d’infrastructures, de routes, etc. tout
cela plait. Mais le constat est que le
secteur privé commence
littéralement à l`emporter sur le
gouvernement. Il y a parfois des
mariages incestueux. Ce n`est pas
cela que nous voulons. Nous avons
été conduits comme des troupeaux
par la propagande occidentale et
nous sommes en train d`avaler ce
type de développement. La réalité,
c`est que la richesse est entre les
mains d`une minorité et la majorité
de la population souffre. Allez voir
les statistiques sur la santé. Le
« capitalisme sauvage » du secteur
privé n’a que faire d’un bon système
de santé. L`argent est un tyran
silencieux, parce qu`il échappe à
notre contrôle et lorsque nous
laissons l`argent nous contrôler, il
nous mène dans le décor. La
civilisation n`avance pas sans les
valeurs humaines. Tous ces pays
développés n`ont pas perdu leurs
valeurs, pourquoi est-ce qu`on va se
permettre d`être intoxiqué à ce
point alors ?

Vous avez soutenu la candidature
de votre épouse lors des
primaires du NDC pour la
présidentielle. Finalement, elle a
été battue. Qu’est-ce qui se passe
entre vous et la direction du
NDC ?

C`est une longue histoire, parce que
tout d`abord, si l`ancien président
n`était pas mort, notre parti allait
perdre misérablement. Après lui, le
parti a misé sur un plus jeune pour
donner plus de chance au parti. Cela
nous a facilité la victoire. Mais notre
parti reste miné par des gens
corrompus. Il faut combattre la
corruption partout où elle se trouve.
Nous avons des gens qui viennent au
parti non pas par conviction, par
intégrité, mais simplement parce
qu’ils veulent des postes ; ils veulent
gérer le pouvoir. Nous ne devons
pas accepter de faire la promotion de
ce genre d’individus. C’est une
bataille politique qu’il faut mener.
C’est pourquoi, nous avons livré
notre bataille politique avec
conviction et intégrité.
La conviction et l`intégrité, c`est ceque mon épouse a offert au parti comme
projet de société. Je l’ai soutenue parce que
je crois à la conviction et à l`intégrité dans la
politique. Pour moi, la démocratie ne doit
pas se résumer au choix entre le pire et le
mauvais. Nous avons gardé nos principes et
nos principes sont ceux de notre parti, mais
ils étaient très nerveux, ils ont eu trop peur
de l`opposition.

Que fait Rawlings depuis qu’il a quitté le
pouvoir ?

Je donne un coup de main par-ci par-là.
Nous faisons des forages dans les villages
pour offrir de l`eau potable aux populations.
Ma femme est occupée aux activités des
femmes.

Malgré tous les problèmes que vous avez
décrits, vous dites que vous êtes fier du
Ghana et de l`Afrique. Où puisez-vous
cet optimisme ?

Peu importe les erreurs que nous faisons,
peu importe l`intensité de la douleur que
nous pouvons ressentir vis-à-vis de ces
erreurs, vous ne pourrez jamais me séparer
de l`amour que j`ai pour mon pays, mon
peuple et mon continent. Vous savez, je suis
extrêmement fier de mon continent, de mon
pays, mais j`aurais aimé que nous puissions
faire les choses beaucoup mieux.

S’il y a quelqu’un dont l’Afrique est très
fière, c’est bien Nelson Mandela. On sait
que sa santé est très chancelante. Qu’est-ce
qu’on doit garder de cet homme
comme souvenir ?

Une voix qui a exprimé une conscience
générale. Il a été la voix qui a mis Bush et
Blair à leur place. C’est une voix dont on se
rappellera toujours.

Quels sont vos meilleurs souvenirs de
Mandela ?

Nelson Mandela est une personnification de
la beauté, de la sincérité et de l`honnêteté de
l`homme ordinaire. Le pouvoir ne l’a pas
changé et c`est là, la beauté de cet homme.
Quand nous le regardons, voyons les valeurs
des gens ordinaires sur le terrain, c’est ce
qu’il décrivait.

Un autre héros qui vous tient à cœur, c’est votre
défunt ami Thomas Sankara.

(Long silence). C`est une perte douloureuse. Je
me réjouis que son successeur ait commencé
à réhabiliter son image.

Son portrait ne figure pourtant pas dans
celles des pères fondateurs et héros de
l’organisation panafricaine. Les autorités
burkinabè ont choisi quelqu’un d’autre.

Et qui a été choisi comme héros par le
gouvernement burkinabè ?

Maurice Yaméogo, le premier président
du pays.

Ah, je vois…

Interview réalisée par Idrissa Barry
En collaboration avec Ramata Soré de la
Deutsche Welle et Fazila de la SABC
(Afrique du Sud)

MUTATIONS N° 30 du 1er juin 2013. Bimensuel burkinabé paraissant le 1er et le 15 du mois (contact :mutations.bf@gmail.com ; site web : http://www.mutationsbf.net)

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Vos commentaires

  • Le 22 juin 2013 à 12:51, par Le citoyen En réponse à : Interview de Jerry John Rawlings : « La richesse de l’Afrique est entre les mains d’une minorité »

    Belle interview, nous avons cotoyé des dirigeants différents...!?, nous avons donc eu la chance de connaître "l’hisoire de la beauté du choix". Connaître seulement Jesus ne permet pas d’apprécier.

  • Le 22 juin 2013 à 12:59, par dera En réponse à : Interview de Jerry John Rawlings : « La richesse de l’Afrique est entre les mains d’une minorité »

    vous êtes aussi une fierté pour nous jeunesse africaine Mr JJR

  • Le 22 juin 2013 à 15:12, par Mariam SORE En réponse à : Interview de Jerry John Rawlings : « La richesse de l’Afrique est entre les mains d’une minorité »

    SACRE Burkina. Nous avons peur de regarder notre histoire. Si nos autorites n’ont pas le courage de choisir Sankara qu’ils aient en tete Ouezzin Coulibaly au lieu de Maurice Yameogo(Je n’ai rien contre lui). SANKARA hero en quoi cela est mauvais et Ouezzin Coulibaly pere fondateur pourquoi doit on choisir quelqu’un d’autre ?.

  • Le 22 juin 2013 à 15:47, par Math En réponse à : Interview de Jerry John Rawlings : « La richesse de l’Afrique est entre les mains d’une minorité »

    Merci de cette interview qui confirme la lâcheté de nos dirigeants. eux qui communiquent tous azimuts, ils n’ont pas été capable d’affronter le peuple en nous disant qui ils avaient choisi comme héros, à moins que je n’ai raté quelque chose. l’histoire retient que Maurice était le chien aboyant d’Houphoët-Boigny. L’homme de la rupture, c’est Sankara et c’est vraiment dommage.

  • Le 22 juin 2013 à 15:48, par Math En réponse à : Interview de Jerry John Rawlings : « La richesse de l’Afrique est entre les mains d’une minorité »

    Merci de cette interview qui confirme la lâcheté de nos dirigeants. eux qui communiquent tous azimuts, ils n’ont pas été capable d’affronter le peuple en nous disant qui ils avaient choisi comme héros, à moins que je n’ai raté quelque chose. L’histoire retient que Maurice était le chien aboyant d’Houphoët-Boigny. L’homme de la rupture, c’est Sankara et c’est vraiment dommage qu’ils n’aient pas eu la hauteur d’esprit. .

  • Le 22 juin 2013 à 20:19, par yizom En réponse à : Interview de Jerry John Rawlings : « La richesse de l’Afrique est entre les mains d’une minorité »

    Peu importe les erreurs que nous faisons, peu importe l`intensité de la douleur que nous pouvons ressentir vis-à-vis de ces erreurs, vous ne pourrez jamais me séparer de l`amour que j`ai pour mon pays, mon peuple et mon continent. Vous savez, je suis extrêmement fier de mon continent, de mon pays, mais j`aurais aimé que nous puissions faire les choses beaucoup mieux. cette pensée est très profonde !!!

  • Le 24 juin 2013 à 10:25, par Simpliste En réponse à : Interview de Jerry John Rawlings : « La richesse de l’Afrique est entre les mains d’une minorité »

    "Je vais vous dire une chose, la meilleure façon d’être en sécurité, c’est de s’assurer que vous avez renforcé les capacités de vos populations. Cela suppose les respecter en pratiquant une bonne gouvernance, une gouvernance qui rend compte aux populations, une gouvernance qui va rester en communication constante avec son peuple, une gouvernance qui s’identifie à son peuple. Dans notre situation, les autorités devraient être aussi simples que possibles. Leur train de vie ne doit pas être trop en décalage avec celui des citoyens ordinaires. Ce n’est qu’ainsi qu’ils peuvent faire pleinement confiance à leurs dirigeants. C’est là la meilleure façon d’assurer la sécurité. Mais quand on laisse l’impunité, la corruption à divers endroits, la richesse et le pouvoir entre les mains d’un petit nombre et en plus des gens fautifs, cela va générer des malaises car vous savez, certaines des richesses dont on parle viennent de cette impunité causée par certains d’entre nous et par les étrangers parmi nous. C’est comme si nous étions économiquement recolonisés, par cette forme d’impunité. S’il y a des injustices socio-économiques, vous aurez des instabilités." Il a tout dit

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