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Abdoul Karim Sango : « J’ai insisté auprès d’Obama sur la nécessité de ne pas transiger sur la question de la limitation des mandats »

Publié le jeudi 27 juin 2013 à 21h27min

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Abdoul Karim Sango : « J’ai insisté auprès d’Obama sur la nécessité de ne pas transiger sur la question de la limitation des mandats »

En 2010, une centaine de jeunes leaders africains étaient reçus à la Maison Blanche par le président américain, Barack Obama. Au moment où ce dernier effectue une tournée sur le continent, Lefaso.net revient sur les enjeux de cette visite, en compagnie du juriste burkinabè, Abdoul Karim Sango. Lui qui était de l’expédition américaine, évoque également les moments forts de cette rencontre avec Obama, il y a trois ans, et le sens de la visite du président américain en Afrique.

Lefaso.net : Abdoul Karim Sango, vous avez eu le privilège d’être convié à la Maison Blanche en compagnie d’autres jeunes leaders du continent il y a quelques années. Pouvez-vous nous rappeler brièvement le contexte de cette invitation ?

Abdoul Karim Sango : Merci de me donner l’occasion de revenir sur cet événement qui a eu lieu précisément en août 2010. Je pense que le Président Obama nous avait invités au moment où partout en Afrique on célébrait le cinquantenaire des indépendances acquises en 1960.
Le but de ce voyage était de réfléchir avec les jeunes africains que nous étions (à peu près 120) sur notre vision de l’Afrique des cinquante prochaines années afin de permettre à l’administration américaine de mieux orienter sa politique en direction de notre continent dans une perspective où chaque continent gagne quelque chose.

Nous avons ainsi réfléchi trois jours durant sur les questions de démocratie, de l’emploi des jeunes, des droits des femmes, du SIDA et du paludisme, des TIC… Personnellement, j’avais insisté sur la nécessité pour les dirigeants américains de ne pas transiger sur la question de la limitation des mandats. Autrement dit, les Etats-Unis devraient soutenir de façon claire tous les peuples africains qui combattent les longs règnes. Beaucoup d’autres jeunes sont revenus sur la même problématique.

Lefaso.net : Qu’est-ce que vous en avez tiré comme acquis en tant que participant venu du Burkina ?

AKS  : D’abord un sentiment de fierté personnelle à travers le fait que le président de la première puissance mondiale m’avait fait l’honneur de m’associer aux jeunes africains qu’il avait invités à la Maison blanche. En effet, un des critères qui avait été pris en compte dans la sélection c’était la contribution de chacun des invités à faire avancer certaines valeurs comme la démocratie et les libertés en général dans son pays. Je crois que personnellement c’est ce critère qui a permis que l’on me retienne sur la liste des invités du président. Ce voyage m’a conforté sur la justesse du combat que je mène dans mon pays afin d’y créer les conditions d’une démocratie véritable où les institutions prennent plus de places que les individus qui les animent.

De ce fait j’invite tous les jeunes du Burkina à défendre les principes démocratiques plutôt que les hommes. Les hommes ont beau être utiles à leur peuple, tôt ou tard ils disparaîtront. Si nous arrivons à créer des institutions fortes en Afrique et au Burkina en particulier, on fera l’économie de toutes les dérives qu’on constate souvent dans la gouvernance politique, économique et sociale.

Lefaso.net : L’événement a-t-il été à la hauteur de vos attentes à l’époque ?

AKS : Oui je pense que ça n’a pas été du tourisme ! Très souvent ce type de voyage se transforme en la simple découverte d’un pays pour lequel vous avez de la curiosité à travers les images que les médias en donnent. Nous avons appris beaucoup de choses. Un seul exemple, la culture du bénévolat aux Etats Unis qui est institutionnalisée avec les « peace corps ». J’y ai retenu un enseignement que je voudrais encore partager avec vos lecteurs, « qui que tu sois, où que tu sois, tu peux être utile à ta communauté ».

Autrement dit, au-delà des titres, de l’origine sociale, de la fortune, nul n’est inutile dans sa communauté. Vous voyez, j’ai beaucoup d’admiration pour les jeunes volontaires qui se lèvent spontanément pour réguler la circulation en cas de panne d’électricité. Malheureusement, j’ai lu dans la presse qu’ils auraient des soucis avec le nouveau maire. J’espère qu’ils pourront s’entendre.

Lefaso.net : Cette semaine, Barack Obama effectue une tournée en Afrique. Cette visite peut-elle se situer dans le prolongement du message qu’il vous a adressé lors de votre séjour américain ?

AKS : Je pense que oui ! A travers des courriers que j’ai reçus et la lecture de la presse, j’ai appris que le voyage du président va lui donner l’opportunité d’échanger sur les questions liées à la jeunesse, à la gouvernance démocratique, aux droits des femmes et des jeunes filles…

Lefaso.net : Concrètement cette visite n’est-elle pas guidée par des intérêts américains que par autre chose ?

AKS : C’est évident ! Il n’y a que les africains pour croire que les relations entre Etats se fondent sur autre chose que sur les intérêts ! Un homme d’Etat français a dit que les Etats n’ont pas d’amis ils n’ont que des intérêts. Quand on a discuté en 2010 avec le président Obama, une amie ghanéenne lui avait posé une question plus ou moins pareille, pourquoi il avait eu l’idée de nous inviter et de s’intéresser à la jeunesse ? Le Président a reconnu que s’il était intéressé par l’Afrique c’était premièrement au profit des américains. En substance, il disait que si l’Afrique se développe cela profiterait aux investisseurs et entreprises américaines qui fabriquent beaucoup de biens exportables.

Lefaso.net : Que faut-il en attendre alors en termes d’impulsion de la démocratie et de la bonne gouvernance sur le continent africain ?

AKS : Je pense que pour ce qui concerne ce thème, le président va reprendre et améliorer son discours d’Accra de 2009. Il reviendra très certainement aussi sur les printemps arabes et leur impact en termes d’avancées démocratiques. Sans nul doute que le voyage de Dakar et les discours que le président va y prononcer vont donner des orientations sur la vision américaine de la bonne gouvernance, et cela devrait renforcer le camp des défenseurs de la démocratie et des droits de l’homme de notre sous région ouest africaine. Il ne faut cependant pas se faire d’illusions, il appartient à chaque peuple d’opérer ses choix en terme de bonne gouvernance et de modèle démocratique. Les autres ne peuvent que nous accompagner. Au Burkina, le peuple semble l’avoir compris !

Lefaso.net : Le Burkina ne figure pas dans liste des pays visités. Qu’en pensez-vous ? N’est-ce pas un peu frustrant pour vous ?

AKS : Non je ne me sens pas du tout frustré ! Le choix des pays qui reçoivent le président a été fait sur la base de critères précis dont un fondamental a un lien avec la qualité de la gouvernance démocratique. On note que le président ne se rend pas dans le pays de son père, le Kenya, qui sort d’une élection démocratique et libre. Pour nous africains, ce n’est pas compréhensible ! Mais nous africains devons apprendre à sortir du sentimentalisme.

Ce sont les sentiments qui nous maintiennent en partie dans la pauvreté endémique. Il faut rester sur les principes. De ce point de vue, le Burkina n’est peut être pas une dictature, mais nous sommes encore loin de la démocratie véritable.

Il suffit de lire le rapport du MAEP pour voir les efforts que nous devons accomplir encore afin d’améliorer notre gouvernance démocratique. Très certainement, notre président mène beaucoup d’actions en termes de médiation dans les autres pays, mais il faut qu’il améliore le dialogue démocratique vrai et sincère chez nous. Et les américains ont une idée claire de la qualité de notre gouvernance démocratique, on ne peut pas les tromper à travers des médiations même réussies !

Lefaso. net : Ces deux dernières années, le président Obama a invité des chefs d’Etats africains à la Maison blanche. Pensez-vous que le président Blaise Compaoré pourrait y être reçu un jour par Obama ?

AKS : Pourquoi pas ? Je vous disais un peu plus haut que les Etats n’ont que des intérêts ! Mais souvent il faut arbitrer entre les intérêts et les valeurs qu’on défend. Par exemple au proche et moyen orient, les américains sacrifient souvent leurs valeurs au profit de leurs intérêts. Mais pour un pays comme le Burkina, je ne crois pas que ce soit possible. Le Président Blaise n’a devant lui qu’une seule véritable année d’exercice de sa fonction de chef d’Etat, je ne pense pas qu’il pourra être reçu par Obama en tant que président. Peut être qu’il sera reçu un jour en tant que grand médiateur de conflit en Afrique, mais ce ne sera plus en sa qualité de chef d’Etat.

Lefaso.net : Le gouvernement américain a salué l’accord inter-malien de Ouagadougou. Quelle lecture vous en faites ?

AKS : Je pense que c’est une bonne chose que finalement cet accord ait été signé. En tant que Burkinabé et africain, j’en suis fier. Pour ma part, je pense que le président Blaise, en tant que doyen des chefs d’Etat de la CEDEAO a très certainement de bonnes qualités en la matière et tous les Burkinabè ne peuvent qu’en tirer une légitime fierté. Il connaît apparemment beaucoup d’acteurs politiques des pays en conflit, et il a l’avantage d’être une personnalité qui parle peu et donc probablement écoute beaucoup. Ce sont des atouts ! Je souhaite simplement que ceux qui lui conseillent de s’éterniser au pouvoir, travaillent avec lui pour capitaliser son expertise en médiation. L’Afrique probablement aura plus besoin de ses talents en dehors du pouvoir. Et il sera plus disponible.

Lefaso.net : Pour vous qui êtes membre de la CENI du Burkina, pensez-vous que la tenue de la présidentielle malienne en juillet prochain peut se faire dans des bonnes conditions optimales d’équité et de transparence ?

AKS : C’est complètement irresponsable de penser que l’on pourra organiser les élections au mali le 28 juillet prochain. Il vaut mieux se donner le temps pour bien organiser. Il ne faut pas oublier que c’est une élection de sortie de crise. Nous devons tirer leçons de ce qui est arrivé en Côte d’Ivoire. Du reste en général, dans les pays du Sahel, on évite toujours d’organiser les élections pendant la saison des pluies. Je crois savoir que c’est peut être un moyen de pression pour tenir au moins l’élection avant fin décembre 2013.

Interview réalisée par Fulbert Paré et Juvénal Somé
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